Le gavage est surtout répandu en Mauritanie, au Niger et dans le Nord du Mali. Cette pratique consiste à faire consommer une quantité très importante d’aliments riches aux fillettes pour forcer leur développement physique et permettre un mariage précoce. Alors qu’elle tend légèrement à reculer pour les enfants, l’« auto-gavage », qui consiste à ingérer volontairement des médicaments pour animaux pour grossir, prend de l’ampleur chez les femmes noires, soucieuses d’attirer le regard des hommes.
Plus tu grossiras, plus tôt tu te marieras. Le gavage est une pratique très répandue en Mauritanie, au Niger et dans le Nord du Mali. Elle vise des filles, en majorité âgées de cinq à dix ans (période faste de croissance), obligées de manger des quantités gargantuesques de nourriture. L’idée est de forcer le développement physique de la fillette pour qu’elle soit aussi ronde qu’une femme mature, qu’elle plaise aux hommes et soit donc bonne à marier. Cette tradition reste vivace, bien qu’elle tende à régresser dans certains endroits des pays concernés. En revanche, l’« auto-gavage » se répand. Cette nouvelle forme de séduction consiste à créer des formes généreuses artificielles en consommant des médicaments destinés à favoriser la croissance des bovins.
Au cœur du gavage, il y a l’orgueil. Cette pratique est en effet l’apanage des familles aisées, seules à pouvoir débourser les sommes nécessaires et pour qui gaver leurs filles est un signe extérieur de richesse. Plus la fille est grosse et plus les gens considèrent que sa famille est opulente. Mais cette tradition se maintient surtout pour une raison purement économique. « Les filles ne vont pas l’école. Alors plutôt que de les entretenir alors qu’elles ne rapporteront pas d’argent à leurs familles, ces dernières préfèrent les marier rapidement pour qu’elles vivent chez la belle famille au plus tôt », explique Khalidou Fall, communicateur traditionnel maure. Et parce que les hommes aiment les femmes avec des courbes bien rondes, les filles sont gavées. Souvent par les grands-mères ou des gaveuses lors d’un séjour en vacances organisé par la mère, à l’insu du père. C’est une affaire des femmes.
Menotter pour faire manger
« On leur met des menottes en bois au niveau des tibias. Devant elles, de grandes calebasses d’eau ou de lait sont disposées. Elles doivent tout boire. Et sitôt le récipient vidé il est à nouveau rempli et ainsi de suite. Si la jeune fille sent qu’elle va vomir, on appuie sur les menottes, ce qui est très douloureux, on la pince ou on la frappe. Si elle vomit tout de même, on rapporte encore de quoi boire encore et encore. Dans l’ancien temps, si on récupérait le vomi, on le lui redonnait parce que le lait était rare », poursuit celui que tout le monde nomme Kals.
L’objectif est d’agrandir l’estomac pour que la fille puisse manger de très grandes quantités de nourriture. « On lui donne pendant une semaine du pain dans du lait, des dattes, du thô (pâte à base de céréale) ou encore du riz avec quelques morceaux de viande de mouton, mais sans sauce. Il y a peu de sel et pas d’huile, car la graisse du mouton est plus riche que celle vendue dans les marchés. Ce n’est pas très bon, mais si on leur donne une marmite à finir, elles doivent en venir à bout », souligne Kals. Dans le Nord du Mali, « on tue un mouton tous les jours et on en fait une soupe que la fillette doit manger. On lui donne aussi de la bouillie de mil et du lait. Elle mange toute la journée, parfois toutes les deux heures, elle se repose et reprend », explique Kadidia Aoudou Sidibé, présidente de l’Association malienne pour le suivi et l’orientation des pratiques traditionnelles (AMSOPT).
« A 12 ans, elle en fait 40 »
Avec tant de nourriture riche en glucides, la fillette devient très vite méconnaissable. « A 12 ans, certaines en font 40 », commente Kals. « Certaines sont tellement grosses qu’elles ne peuvent même plus se lever pour aller aux toilettes. On leur apporte tout sur place pour qu’elles fassent leurs besoins », précise Kadidia Aoudou Sidibé. Quasiment invalides, mais physiquement rondes comme des femmes, elles sont mariées.
Parce que leurs estomacs sont habitués à recevoir de grosses quantités de nourriture, elles mangent toujours énormément une fois mariées, alors que plus rien ne les y oblige. Et elles ne perdent pas de poids car bien souvent elles restent au foyer et ont des domestiques, que certains appellent même esclaves, qui se chargent de toutes les corvées quotidiennes. Leurs maris sont prêts à payer de grosses sommes pour que leur femme reste inactive et donc ronde à souhait.
Ces filles-femmes obèses risquent donc de sérieux problèmes cardio-vasculaires, d’hypertension et de diabète. Ce n’est rien face au regard des gens. Alors certaines essaient de maigrir. Avec peine. « De six heures du matin à six heures du soir, on voit des femmes obèses voilées qui font le tout du stade olympique de Nouakchott pour transpirer et perdre du poids. Elles sont très complexées car on constate que ce n’est que lorsque les gens ont le dos tourné qu’elles essaient de courir », commente Kals.
Timide recul
Plusieurs facteurs contribuent au léger recul de la pratique en Mauritanie. Le Président mauritanien a demandé aux femmes, qui restaient très largement à la maison, de se lever et de participer à l’économie du pays. Les filles sont de plus en plus scolarisées et un certain nombre de femmes travaillent, ce qui impose une corpulence qui leur permet de se mouvoir. Avec l’accès facilité à l’éducation les filles, conscientes des risques de la pratique, appliquent moins le gavage en devenant mères.
Par ailleurs, « dans les grandes villes, les hommes des nouvelles générations recherchent moins des femmes avec beaucoup de formes. Certains Maures menacent même les filles d’aller voir des Peuls si les femmes maures ne maigrissent pas », explique Amadou Ndiaye, communicateur traditionnel mauritanien. « On voit aussi que les nouvelles générations de femmes noires du pays sont influencées par la mode européenne et ont tendance à faire des régimes. Et certains hommes dépensent moins pour leurs femmes pour pouvoir partir à la Mecque ou encore voyager », ajoute Kals.
Avaler des médicaments pour animaux
Mais ces cas sont encore minoritaires et la pratique se poursuit dans la majeure partie du pays, par tradition, mais aussi parce que la majorité des hommes ne se lassent pas des femmes fortes. C’est ce critère esthétique qui a amené les femmes a développé ce que Kadidia Aoudou Sibibé appelle l’« auto-gavage ». « Certaines femmes prennent des médicaments utilisés pour le développement de la masse corporelle des animaux. Avec cela, elles ne grossissent pas , mais gonflent véritablement. Elles en prennent pour plaire, mais aussi pour ne pas être soupçonnées d’avoir le sida, car c’est ce que l’on dit en voyant une femme trop mince », explique la présidente de l’AMSOPT.
Un phénomène que connaît aussi la partie de la Mauritanie qui fait frontière avec le Sénégal. « Ce sont surtout les Noirs qui utilisent ces produits chimiques. Des Sénégalaises laoubés en vendent dans le marché du cinquième arrondissement de Nouakchott pour une somme dérisoire : 100 ouguiyas (0,33 euros) », explique Kals. Une pratique très dangereuse qui laisse cette question en suspens : jusqu’où une femme est-elle prête à aller pour plaire à un homme ?
Cet article a été réalisé lors du Forum des communicateurs traditionnels d’Afrique de l’Ouest sur les violences faites aux femmes au nom de la tradition qui s’est déroulé à Ouagadougou (Burkina Faso) du 27 septembre au 3 octobre derniers |