Madiba nous a quittés. Ou presque. Bientôt les Sud-africains et nos contemporains n’entendront plus la voix de ce sage et héros de notre époque. Chacun d’entre nous se sentira orphelin. Pour l’activiste que je suis, Mandela incarne la figure du militant qui a réussi à mettre en pratique ses idées pour devenir un homme d’Etat, sans jamais compromettre ses idéaux.
On a voulu voir en Obama un héritier de Mandela. Il n’en est rien. Le locataire de la Maison blanche n’a pas su et ne parviendra pas à mettre en pratique l’idéal qui se dégage de ses discours et est incapable de faire coïncider les valeurs de liberté et de démocratie qu’il défend dans sa parole avec la pratique de la géopolitique américaine. Mais si Madiba nous quitte, son héritage lui, survivra. On pourrait noircir des pages entières sur le parcours de ce Prométhée des temps modernes, capable de transcender ses haines légitimes, ses peurs pour aller vers plus de compassion et réconcilier les ennemis les plus farouches.
S’il y a une région, plus que d’autres sur notre planète, qui crève et a besoin d’un Nelson Mandela, c’est bien la Palestine. On connaît tous l’attachement de Madiba à la cause palestinienne et chacun gardera en souvenir sa phrase culte: « Nous savons trop bien que notre liberté n’est pas complète sans la liberté des Palestiniens ». Cette défense du droit des Palestiniens a été un leitmotiv pour le premier Président sud-africain noir. Aujourd’hui, ce n’est pas d’un Kerry dont la région a besoin. Ses voyages nombreux en Israël et en Palestine n’y feront rien. Les négociations ont échoué. La « séparation clinique », pour reprendre la formule d’Edward Said, des peuples et entités politiques sur ce bout de territoire n’apparait plus comme la seule option possible et souhaitable sur le plan éthique. Sur un plan pratique, elle en devient absurde.
Nombreux sont les hommes et femmes qui rêvent d’un Nelson Mandela dans cette région, capable de surmonter la haine séculaire, les guerres et divisions. Ce dont a besoin la région, c’est d’hommes de vision qui, comme Mandela, seront capables d’appréhender le conflit avec toutes les approches, à la fois identitaire, religieuse, psychologique, collective et individuelle et non plus uniquement sous les angles politique et territorial. Ce dont a besoin la Palestine c’est d’un homme capable de plaider comme Madiba l’avait fait en 1964, lors de son procès pour un état démocratique et libre où chaque individu pourrait vivre en harmonie et en paix avec les mêmes opportunités, rejetant la domination d’un peuple ou d’une ethnie sur une autre. Aujourd’hui, 30% d’Israéliens et de Palestiniens semblent prêts à cette vision, selon les derniers sondages.
Quand Madiba a prononce cet idéal en 1964, beaucoup le prenaient pour un fou. Cet idéal, les Sud-africains le vivent au quotidien et ce, depuis la fin de l’apartheid en 1994. Soit 30 ans après avoir prononcé ces paroles. Ceux qui aujourd’hui prônent l’égalité, la coexistence et la réconciliation des peuples sur ce territoire exigu, eux aussi sont traités de fous comme l’était Madiba dans le passé.
Par Samia HATHROUBI