A peine l’Apartheid enterré, Nelson Mandela et Monseigneur Desmond Tutu engagent leur force dans la lutte abolitionniste. L’Afrique du Sud vit, depuis le 6 juin 1995, sans la peine de mort.
Le temps a passé. Les chaînes se sont envolées. Et la parole a retrouvé ses droits. Pour des millions de Noirs d’Afrique du Sud, Nelson Mandela et Desmond Tutu ont ouvert la voie. Celle de la liberté et de l’affirmation de soi. Ensemble, ils ont mis fin à la discrimination raciale et à son instrument privilégié : la peine de mort. Le combat a duré plusieurs décennies et s’est souvent révélé d’une violence inouïe : vingt-sept années de prison pour Mandela qui ne souhaitait qu’une « société plus juste et plus égalitaire ». Un militantisme acharné pour Desmond Tutu, ordonné pasteur en 1961 et nommé archevêque de l’Église anglicane du Cap en 1986.
A la libération de Mandela en 1990, les destins de ces frères de couleur se rejoignent. Grâce à leur rayonnement et leur force de persuasion, leur cause prend une amplitude inespérée. En 1994, première grande victoire : Nelson Mandela devient le premier Président noir du pays. Très vite, il impulse une série de mesures destinées à mettre l’Afrique du Sud sur les rails de la démocratie. Le premier chantier, piloté par Desmond Tutu, à la tête de la commission « Vérité et Réconciliation », confronte les bourreaux et les victimes de l’Apartheid, pour qu’enfin arrive le temps du pardon.
6 juin 1995
Dans la foulée, le 6 juin 1995, les deux hommes forcent une opinion publique hostile à accepter l’abolition de la peine de mort. La mesure est essentielle, car entre 1980 et 1989 (date de la dernière pendaison), l’Afrique du Sud connaît l’un des taux les plus élevés au monde en matière d’exécutions judiciaires : 1 217 prisonniers tués, soit une moyenne de 100 personnes par an. Et à la veille de l’abolition, plus de 400 condamnés, majoritairement des Noirs, attendent encore d’être fixés sur leur sort. Malgré ces tristes records, nombre de politiques et même des membres de l’African National Congress (ANC) que dirige Mandela, demandent le rétablissement de la peine capitale. Ils ont le soutien de l’opinion publique. En 1996, une enquête du Johannesburg Star révèle que 93 % de la population souhaite la réintroduction de la peine de mort. Mais Mandela ne vacille pas : « Il n’y aura pas de retour en arrière. Mes concitoyens manquent d’informations et notre tâche est d’aller sur le terrain pour les convaincre. »
Pour appuyer leur cause, les deux compagnons mettent en avant un argument implacable : la peine de mort est « un acte barbare » et d’ajouter que « dans les pays où la peine capitale est encore en vigueur la criminalité n’a pas baissé. » Avec les années, le message de ces prix Nobel de la Paix (1984 pour Desmond Tutu, 1993 pour Mandela), tout comme leur aura, ont dépassé les frontières du pays. Les deux hommes soutiennent les mouvements abolitionnistes de par le monde et ne relâchent pas leur pression sur les États-Unis.
Faire plier les Etats-Unis
Desmond Tutu est de tous les combats : le 4 novembre 1998, il appelle le Texas a faire preuve de clémence à l’égard de Napoleon Beazley. Le 25 juin 2000, deux jours après l’exécution à Huntsville de Gary Graham, dont la culpabilité n’a pas été prouvée, l’archevêque demande fermement aux États-Unis d’abolir la peine de mort. « Trop d’innocents ont été envoyés dans les couloirs de la mort. Et d’autres erreurs risquent d’être encore faites. Un moratoire sur la peine de mort ne suffit pas, il faut l’abolition. Je ne comprends pas pourquoi un pays si enclin à défendre les droits de l’Homme ne réalise pas que la peine de mort est une obscénité. » Dans l’univers policé de la bienséance politique, les propos détonnent. Et bien évidemment restent sans réponse. Mais peu importe, les deux hommes continuent d’encourager les initiatives.
En janvier 2003, lorsque George Ryan décide de suspendre les exécutions dans son Etat de l’Illinois, Mandela, 85 ans, décroche son téléphone et Tutu, 72 printemps, prend sa plume. Nelson lui rappelle que « les États-Unis sont une référence pour le reste du monde » et Desmond insiste : « Prendre une vie lorsqu’une vie a été perdue, c’est de la vengeance, pas de la justice ». Inlassables défenseurs des droits de l’Homme, les deux hommes affichent aujourd’hui des cheveux blancs, quelques rides au coin des yeux. Le temps passe. Mais sur leur énergie et leur volonté, il glisse.
Christelle Pangrazzi et Olivia Marsaud