Fier attaquant des Lions du Sénégal entre 1994 et 2000, Mamadou Diallo, aujourd’hui âgé de 50 ans, est une légende vivante dans son pays. En seulement 46 sélections, l’ancien joueur de New England Revolution aux États-Unis a marqué 22 buts et il est le quatrième meilleur buteur de tous les temps du football sénégalais, derrière Mamadou Niang (23 buts en 59 sélections), Sadio Mané (29 buts en 86 sélections) et Henri Camara (31 buts en 99 sélections). Retrouvé dans une de ses maisons à Ngor, à Dakar, il est revenu sur sa carrière professionnelle en équipe nationale, ses relations avec les légendes mondiales, comme le Colombien Carlos Valderrama, l’Allemand Lothar Matthäus ou encore le Bulgare Hristo Stoitchkov, qu’il a côtoyés en Major League Soccer américaine, dans les années 2000.
Entretien
Vous êtes un ancien international sénégalais qui a joué un peu partout à travers le monde et sur plusieurs continents. Pouvez-vous un peu revenir sur votre carrière professionnelle ?
J’ai joué dans plusieurs pays différents au cours de ma carrière de footballeur professionnel, mais j’ai commencé d’abord ici au Sénégal. J’ai débuté ma carrière dans un club qu’on appelait la Sotrac FC, en 1988, en première division. Après, je suis allé au Maroc, où j’ai joué au Kawkab de Marrakech puis en Suisse, au FC Saint-Gall. J’ai également joué en Turquie à Zeytinburnu, à Lillestrøm SK et Vålerenga IF en Norvège. J’ai aussi évolué à MSV Duisbourg en Allemagne, puis à Oslo en Norvège. J’ai joué en Suède à l’IFK Göteborg, ensuite je suis parti en Arabie Saoudite à Al Ahly Djeddah. J’ai passé un moment de ma carrière aux États-Unis, à New York Red Bull et New England Revolution ou j’ai été d’ailleurs meilleur buteur. J’ai été en Malaisie à Pahang FA, puis en Afrique du Sud pour terminer ma carrière à Jomo Cosmos où j’ai pris la Coupe Coca-Cola. C’est mon parcours en tant que footballeur professionnel.
Vous avez été meilleur joueur de la Major League Soccer américaine dans les années 2000, pouvez-vous revenir sur cette étape de votre carrière ?
Oui, j’ai jouée à la Major League Soccer. J’ai été meilleur joueur, meilleur buteur et MVP (Most Valuable Player, meilleur joueur) en 2000. Donc, j’ai fait une saison extraordinaire là-bas. Je peux dire que pratiquement dans tous les clubs ou j’ai eu à jouer, j’ai eu la chance d’être toujours le meilleur buteur. Mais, la Major League Soccer, c’était quelque chose de spécial, parce que j’ai eu à faire la rencontre de plusieurs grands joueurs comme Carlos Valderrama, Lothar Matthäus, Hristo Stoitchkov… C’était un rêve de voir ces gens-là. Quand tu as eu la chance de jouer avec eux, c’est quelque chose d’extraordinaire.
Quelles étaient vos relations avec Carlos Valderrama, Lothar Matthäus ou encore Hristo Stoitchkov ?
Je pense que j’ai eu de très bonnes relations avec eux, surtout avec Carlos Valderrama. C’est un joueur avec qui je rêvais de jouer, du fait de ses passes. Quand je l’ai fréquenté, il m’a monté les mêmes choses qu’il faisait. Un joueur très talentueux, un joueur qui a des qualités énormes. Un joueur pour qui il est plus facile de délivrer des passes décisives que de marquer lui-même des buts. Cette saison-là, il m’a délivré 27 passes décisives et j’ai mis 27 buts.
Vous avez aussi été international sénégalais de 1994 à 2000. Pouvez-vous nous parler de votre passage sous les couleurs nationales ?
J’ai fait la CAN 1994 en Tunisie, à Sousse, avec notre groupe la Guinée, le Ghana et on a été qualifié pour les quarts de finale où on a été éliminé par la Zambie (0-1). Un match extraordinaire. J’ai longtemps été le troisième meilleur buteur de l’équipe nationale, mais j’ai reculé en quatrième position. C’est Henri Camara qui occupe toujours le première place avec 31 buts, devant Sadio Mané (29 buts), puis Mamadou Niang (23 buts). Après, il y a El Hadji Diouf, Jules François Bocandé. Je pense que ça fait plaisir d’être international et jouer une CAN. Il y a beaucoup de très bons joueurs qui n’ont jamais eu la chance de jouer une CAN. Je rends grâce à Dieu pour ça. Certes, on n’a rien gagné, mais on peut rendre grâce à Dieu, parce qu’on peut dire qu’on a gagné quelque chose, dans la mesure où nos jeunes ont pu mettre l’étoile sur notre maillot. Et c’est une longue chaîne, qui a vu la participation de tout le monde. Quand on voit l’équipe nationale et la longue attente avant de décrocher ce trophée, on peut dire que chacun a apporté sa pierre à l’édifice. Mais, ce sont nos frères qui ont terminé le travail. Ça fait toujours plaisir de jouer pour son peuple, parce qu’après, il y a une reconnaissance. C’est ce que je dis toujours aux jeunes. Peu importe ce que vous faites dans vos clubs, l’équipe nationale est primordiale. Car à la fin de votre carrière, c’est ce qu’on va retenir de vous.
Les anciens internationaux que vous êtes, étiez nombreux à venir soutenir vos jeunes frères lors de la dernière Coupe d’Afrique des nations au Cameroun. Quel a été votre apport ?
Je pense que c’était très important. Personnellement, j’ai vu que pour cette CAN, beaucoup d’internationaux sénégalais étaient présents. Rien que notre présence, c’était important pour les jeunes, parce que quand Sadio Mané prend une vidéo de moi et vient me dire « tu es ma référence et tu es notre grand. On est derrière vous, pas devant », je pense que ces mots sont très forts et très importants. Nous étions dans notre rôle. Ce que nous n’avions pas dans le passé, c’est ce que les jeunes ont aujourd’hui, parce qu’il n’y avaient pas des anciens derrière nous. J’ai beaucoup discuté avec Cheikhou Kouyaté, Famara Diedhiou, Bamba Dieng. J’ai beaucoup échangé avec eux, pour les galvaniser et les rectifier. Mais, aussi pour leur remonter le moral pendant les moments difficiles. Parce que notre qualification de la phase de poules n’a pas été facile. On a terminé avec 5 points, on a marqué un seul but et on en n’a pas encaissé. C’est là que j’ai fait mon discours. Je pense que c’est une équipe qui montait en puissance et je leur ai dit qu’on commençait un autre tournoi. J’ai dis que nous allons jouer quatre finales et ils ont joué et gagné tous ces matchs.
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Il faut dire que ce n’était pas gagné d’avance, mais la bande à Sadio Mané est parvenue à décrocher cette étoile tant attendue. Un soulagement après ce dernier tir Sadio Mané ?
Ce sont des choses qu’on ne peut même pas expliquer, parce qu’on attendait ça depuis des années. Moi, je croyais aux jeunes, parce que, aller deux fois de suite en finale d’une CAN, je pense qu’il n y jamais deux sans trois. On est parti en finale au Mali et on a perdu en Égypte devant l’Algérie (0-1). Sadio Mané a raté le premier penalty, j’ai été un peu surpris, parce qu’il l’a bien tiré, mais le gardien était parti du bon côté. Après le deuxième penalty, j’avais peur, mais je savais qu’il allait le marquer. En voyant Sadio Mané, un grand joueur et comment il est fort mentalement, on sait qu’il ne peut pas rater deux penaltys dans un même match. Je me suis dit qu’il allait marquer et quand il l’a fait, ce sont des choses qu’on ne peut pas expliquer. Ce qu’on a ressenti dans nos cœurs, on ne peut pas l’expliquer. Je pense que c’était comme une montagne qu’on avait porté et qu’on venait de déposer. On remercie donc ces jeunes pour ce qu’ils viennent de faire pour le football sénégalais.
Dans moins de trois semaines, le Sénégal retrouvera l’Égypte, qui est en train de tout mettre en œuvre pour pouvoir prendre sa revanche, lors des barrages de la Coupe du monde Qatar 2022. Des matchs difficiles en perspective ?
Ça ne va pas être des matchs faciles. Il faut qu’on fasse très attention, parce que j’ai un peu peur, pour être honnête avec vous. Donc, vous savez, on se laisse parfois aller dans l’euphorie. On a une très bonne équipe, une grande équipe, mais il faut qu’on fasse très attention. Je pense que le match de la qualification se jouera en Égypte. Pour se qualifier, il faut le faire depuis le Caire. C’est là-bas qu’on doit bien gérer et faire tout ce qui est en notre pouvoir. Il faut faire au moins un match nul, ou gagner, ce sera extraordinaire pour le Sénégal. Ce que je peux dire, en matière de football, tout est possible. Je dis toujours à mes jeunes frères de faire toujours très attention. C’est un match très dangereux, qui va être difficile. L’Égypte va venir avec l’idée de ne pas perdre deux fois devant le Sénégal. Comme on l’a gagné en finale, ça ne sera pas facile. L’Égypte, si elle a envie de faire match nul avec une équipe, elle le fera. Maintenant, c’est un grand risque. Mais, il est plus facile de gagner là-bas, parce que l’Égypte va ouvrir le jeu et on peut en profiter pour essayer de gagner ce match. Si on ne gagne pas ce match là-bas, ça sera difficile.
L’Égypte prévoit plus de 60 000 supporters pour booster son équipe. Selon vous que doit faire l’État sénégalais pour pousser l’équipe nationale à se surpasser ?
Pour moi, on n’est pas obligé d’amener tous nos supporters, parce que même si tu amènes jusqu’à 300 000 supporters, ils ne feront rien sur le terrain. Ce qui est important, c’est d’amener les anciens internationaux, qui ont de l’expérience, qu’ils vont apporter à l’équipe, ainsi que leurs discours pour galvaniser les joueurs. C’est le plus important. Après, il ne faut pas oublier que le match ne se joue pas dans les tribunes, mais sur le terrain.
Vous qui avez joué dans les pays de l’Afrique du Nord, avez-vous été victime de racisme ?
Bien sûr, nous avons tous vécu le racisme. C’est partout dans le monde, parce que quand on est Noir, on regarde la couleur de notre peau. Il y a un autre regard qu’on porte sur toi quand tu es Noir. C’est différent que tu es Algérien, Marocain ou Egyptien. Quand on est Noir, on est toujours pointé. C’est pour cette raison que nous devons toujours faire le maximum et plus que les autres. C’est pourquoi on doit être toujours costaud, tout le temps.
Avec Sadio Mané, Kalidou Koulibaly, Édouard Mendy,… les Sénégalais jouent aussi les premiers rôles dans les plus grands championnats européens…
Je pense que c’est une bonne chose, quand vous voyez Kalidou Koulibaly, Sadio Mané…, évoluer au plus haut niveau du football mondial. Dès que tu entres dans la cours des grands, il n’y a plus de place pour le complexe. Les joueurs africains ne doivent pas avoir de complexe. Ce sont les Européens qui ont plus besoin des joueurs africains. Quand vous regardez toutes les équipes en Europe, vous voyez que les Africains sont les meilleurs. Il est temps qu’on reconnaisse nous-mêmes nos qualités.
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