Le photographe malien Malick Sidibé sera le premier africain récipiendaire du Prix international de la photographie 2003 décerné par la fondation suédoise Hasselblad. C’est un portraitiste, témoin de la jeunesse yéyé, celle de la période des indépendances, que cette récompense consacre.
Malick Sidibé, 67 ans, sera le premier photographe africain à recevoir le Prix international de la photographie 2003 décerné par la fondation Hasselblad. Il lui sera remis le 25 octobre prochain à Göteborg (Suède). Ce prix a déjà consacré les plus grands photographes de la planète comme Richard Avedon, Jeff Wall ou encore Cindy Sherman. » C’est une grande surprise. Je suis très très fier et très content. Cela veut dire que mon travail est d’une certaine manière reconnu « , indique Malick Sidibé.
Cette récompense, dotée de cinq cent mille couronnes suédoises, soit 36,5 millions de F CFA, vient récompenser une carrière de près de cinquante ans. Les connaisseurs retiennent du photographe malien son rendu de la vie de la jeunesse bamakoise entre la fin des années cinquante et le début des années soixante-dix, la période des indépendances. » C’est la période où la jeunesse malienne découvre la musique occidentale, le twist, le cha-cha. Les bals populaires sont une occasion pour les jeunes gens de se rencontrer « , se souvient Malick.
Du pinceau à l’appareil photo
Malick Sidibé est né à Soloba, à 300 km de Bamako. Il fréquente à partir de 1952 l’école des Artisans Soudanais à Bamako où il obtient le diplôme d’artisan-bijoutier. A la recherche d’un dessinateur, Gérard Guillat, surnommé » Gégé la pellicule « , fait appel à lui pour décorer la devanture de son studio de photo. Son travail terminé, son nouveau patron lui demande d’être son premier employé. C’est ainsi que sa carrière de photographe démarre. Ses premières photos datent de 1955 et 1956. En 1958, il crée son propre studio, » le Studio Malick « , toujours en activité mais peu fréquenté. » Aujourd’hui, les gens ressentent moins le besoin de venir en studio puisqu’ils peuvent se procurer des appareils photos que je continue de leur réparer « , explique-t-il.
Plus qu’un photographe de studio, il est le reporter et le portraitiste de la population africaine et plus particulièrement des jeunes Bamakois à travers des clichés en noir et blanc plein de gaieté et d’authenticité. Alors que Gérard Guillet se consacre à la société européenne et mondaine, Malick Sidibé est de toutes les cérémonies – baptêmes, mariages, célébrations de réussite au bac – et de tous les bals populaires où la jeunesse malienne se laisse aller à sa joie et à son insouciance. Une insouciance que le photographe regrette aujourd’hui. » La jeunesse est moins gaie. Les gens ne s’amusent plus comme avant. Les jeunes vont maintenant en boîte de nuit. » Pourtant, il continue de s’amuser de la conversation des enfants qu’il rencontre dans la rue et qu’il photographie quand les parents lui en donnent la permission. » Leurs conversations m’amusent beaucoup, je suis étonné par les propos qu’ils échangent à leur âge. Ils n’arrêtent d’ailleurs pas de me taquiner quand je les croise. »
Reconnu par ses modèles
En 1994, il est découvert aux premières Rencontres de la Photographie africaine à Bamako. C’est le début d’une carrière internationale. Ses oeuvres sont visibles dans les plus prestigieuses salles d’exposition du monde telles la Fondation Cartier à Paris, le musée Guggenheim à New-York et en ce moment à la National Portrait Gallery de Londres. En 1998, André Magnin, spécialiste de l’art contemporain africain, lui consacre une biographie.
Avec feu Seydou Keita, qu’il a peu connu mais admiré, Malick Sidibé est l’une des figures emblématiques de la photographie malienne. Peu célébré dans son pays, l’artiste confirme l’adage. » Je suis reconnu par les gens jusque dans les villages car j’ai fait des portraits de nombreuses personnes à Bamako qui sont retournées dans leurs villages avec des photographies de moi mais il n’y a rien d’officiel. Bien qu’il y ait un peu plus d’agitation depuis ma nomination au prix Hasselblad relaté entre autres par le journal Le Monde » explique-t-il. Pourtant, Malick Sidibé est officiellement depuis 2002 Chevalier des Arts et Lettres de l’ordre du mérite français…
Faire des photos, c’est comme écrire
Ses projets ? » Je souhaite faire des clichés des cérémonies traditionnelles, de la vie dans les campagnes qu’on oublie souvent, parfois même au sein de l’administration. Déjà dans les années 55-56 quand j’allais en vacances au village, je prenais des photos de ma famille. Pour moi, faire des photos, c’est comme écrire ! » Cette partie de son oeuvre reste méconnue, les collectionneurs semblent être subjugués par ses clichés de la période des indépendances. » C’est une question de goût, d’enjeu commercial aussi « , constate Malick Sidibé. » Mais j’ai envie de faire quelque chose sur le sujet. Je suis en train de rassembler quelques-uns de mes différents clichés. »
Il souhaite réaliser des bustes ou encore des profils. Faire découvrir la nature, l’être humain en particulier, sous toutes ses coutures. » C’est bien de voir ce qui nous entoure ! » Il voudrait aussi continuer ses photos de femmes vues de dos, une façon pour lui de magnifier les pagnes africains. » En Europe, les femmes sont toutes serrées dans leurs pantalons et dans leurs jeans. Leurs formes ne sont absolument pas mises en valeur. C’est une évolution « , remarque-t-il même s’il ne semble pas vraiment l’apprécier. Il n’apprécie pas également les appareils numériques. » On peut faire du faux et cela m’inquiète beaucoup. » On le comprend car Malick Sidibé est un homme généreux, ouvert, sérieux, plein de joie mais surtout authentique.
Expositions :
« Malick Sidibé », jusqu’au 11 mai 2003 au Musée Pincé, 32 bis, rue Lenepveu, Angers, France.
Tél : (00 33) 2 41 88 94 27
« You look beautiful like that », jusqu’au 8 juin 2003 à la National Portrait Gallery, St Martin’s Place, Londres.