Mali : retour sur la dernière journée de IBK au pouvoir


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Le désormais ex-Président du Mali, Ibrahim Boubacar Kéïta
Le désormais ex-Président du Mali, Ibrahim Boubacar Kéïta

La journée du mardi 18 août 2020 fait désormais date dans l’histoire du Mali. Commencée comme une journée ordinaire, elle s’achève avec la démission du Président malien. Retour cette journée marathon.

En se réveillant ce mardi 18 août 2020, peu de Maliens pouvaient imaginer que la journée leur réservait de grosses surprises. En effet, tout paraissait normal jusqu’à ce qu’entre 7 heures 30 minutes et 8 heures du matin, des coups de feu se fassent entendre dans le camp Soundiata Keïta de Kati, ville-garnison située à 15 km de Bamako. Une mutinerie avait éclaté. La garnison de Kati était passée sous le contrôle des mutins. Rapidement, le bruit d’un coup d’Etat se répand, et un visage fait le tour des réseaux sociaux : celui du colonel Malick Diaw, chef d’état-major de la 3ème Région militaire de Kati. L’Office de radio-télévision du Mali (ORTM) se vide d’une grande partie de son personnel. C’était la confusion et un calme précaire durant toute l’après-midi jusqu’à l’annonce de l’arrestation du Président IBK et son Premier ministre, Boubou Cissé.

Le Président et son Premier ministre arrêtés

Certains hauts gradés de l’armée sont arrêtés et conduits à Kati. Dans la soirée, l’annonce de la mise aux arrêts de Ibrahim Boubakar Keïta et de son Premier ministre, Boubou Cissé, est faite. Tout s’est passé très facilement, sans résistance de la garde présidentielle. Les deux hommes se trouvaient à la résidence privée du chef de l’Etat. Ils sont également conduits sous escorte à la garnison de Kati. Le bruit de la prochaine démission du Président court et devient persistant.

Démission d’un Président vomi par son peuple depuis des mois

Tout est allé très vite. Vers minuit, IBK apparaît à la télévision pour annoncer officiellement sa démission dans une courte allocution dont voici la substance : « Officiers, officiers supérieurs, officiers généraux de l’armée malienne, pendant sept ans, j’ai eu le bonheur et la joie d’essayer de redresser ce pays du mieux de mes efforts. Car, dès l’abord, dès ma première mission de chef du gouvernement de ce pays, je suis convaincu des efforts fabuleux qu’il fallait mettre en œuvre pour redonner corps et vie à l’armée malienne (…). Je pense qu’à chaque moment, sa vérité. Si aujourd’hui, après des semaines de turbulences, de manifestations diverses ponctuées hélas par des victimes devant lesquelles je m’incline, que je n’ai jamais souhaité, chacun dans ce pays le sait, pourquoi j’avais toujours mis en garde, dire que, on vient dans la rue, on ne sait jamais ce qui peut en résulter, le bien ou le pire ; hélas, le pire en a résulté. Si aujourd’hui, il a plu à certains éléments des forces armées de conclure que cela devait se terminer par leur intervention, ai-je réellement le choix ? M’y soumettre, car je ne souhaite qu’aucun sang ne soit versé pour mon maintien aux affaires (…) Tout en remerciant le peuple malien pour son accompagnement tout au long de ces années, de la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment, et avec toutes les conséquences de droit, la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du Gouvernement. Qu’Allah aide et bénisse le Mali ! Je n’éprouve aucune haine vis-à-vis de personne ».

Ainsi s’achève la première partie du film qui se déroulait depuis les dernières Législatives organisées dans le pays, la deuxième partie étant un véritable saut dans l’inconnu dont personne ne peut, à l’heure actuelle, prévoir le dénouement. La contestation est devenue très forte depuis le mois de juin dernier, avec la naissance du « M5 » qui n’avait qu’un leitmotiv : la démission de IBK à qui il contestait toute légitimité. Ni les gestes d’ouverture du Président ni la médiation de la CEDEAO n’avaient en rien émoussé l’ardeur des contestataires qui n’avaient qu’une seule phrase à la bouche : « IBK dégage ! ».

Où est l’imam Dicko ?

Une partie de la population a salué le renversement du Président IBK. Mais le leader du mouvement de contestation du désormais ex-Président malien, le célèbre imam Mahmoud Dicko s’est terré dans le silence le plus total. Pas de message officiel de sa part. Le M5 a-t-il des liens avec les putschistes ? Impossible de donner une réponse tranchée à cette question. Mais ce qui semble certain, c’est que le M5 ne condamne pas cette intervention militaire qui, somme toute, vient accomplir un de ses vœux les plus chers depuis des semaines : la fin du régime d’IBK. Hier, le porte-parole du mouvement déclarait d’ailleurs que l’arrestation du Président Keïta « n’est pas un coup d’État militaire, mais une insurrection populaire ».

Les putschistes promettent une transition civile et des élections générales

Alors que le nom du colonel Malick Diaw circulait, c’est plutôt le colonel-major Ismaël Wagué, chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air, qui a lu la déclaration officielle des nouveaux maîtres du Mali sur les ondes de la télévision nationale ce matin, vers 3 heures 40 minutes heure locale. « Notre pays, le Mali, sombre de jour en jour dans le chaos, l’anarchie et l’insécurité par la faute des hommes chargés de sa destinée (…) Nous, forces patriotiques regroupées au sein du Comité national pour le salut du peuple, avons décidé de prendre nos responsabilités devant le peuple et devant l’histoire ».
Les putschistes rassurent de leur volonté de mettre en place une « transition politique civile » et d’organiser des élections général dans un « délai raisonnable ».

Mais les condamnations fusent de toutes parts. De la CEDEAO à l’ONU en passant par l’Union Africaine, cet énième coup d’Etat au Mali est vertement critiqué. La CEDEAO, pour sa part, a suspendu le pays de toutes ses instances.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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