Le déploiement de troupes françaises au Mali soulève d’importantes questions concernant les intérêts géopolitiques plus larges des États occidentaux, non seulement au Mali, mais dans l’ensemble du continent africain.
Il convient de souligner que les troubles actuels au Mali sont une conséquence directe de la guerre de l’OTAN en Libye en 2011. L’intervention en Libye avait permis l’escalade du conflit, transformant un soulèvement en une véritable guerre civile dans laquelle les forces rebelles, soutenues par la puissance aérienne occidentale et les opérations clandestines au sol, ont été en mesure de renverser le régime de Kadhafi. Les rebelles soutenus par l’occident, y compris des groupes affiliés à Al-Qaïda , ont commis les pires atrocités. L’effondrement du régime, le chaos qui a suivi et l’inondation d’armes dans la région ont eu pour conséquence prévisible de déstabiliser les pays voisins.
D’où la crise actuelle au Mali, qui est un conflit ethnique, sectaire et séparatiste, alimenté, et compliqué, par des intérêts extérieurs, à savoir les États occidentaux.
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), un groupe militant djihadiste salafiste opérant en Afrique du Nord et participant à une alliance islamiste pour gagner le pouvoir au Mali, a été identifié comme la menace du jour. Si de nombreux experts de la région ont suggéré qu’AQMI constitue une menace terroriste en Afrique du Nord, on voit mal comment le groupe menace l’Europe ou les États-Unis. Fait ajoutant à la confusion : AQMI est associé avec le Groupe islamique combattant en Libye (GICL), qui a reçu le prodigieux soutien occidental quand il a pris part au renversement de Kadhafi par l’OTAN.
Il est compréhensible d’être confondu par la tournure des événements. Le monde obscur des opérations clandestines et du renseignement est fait d’alliances en constante évolution où l’ennemi peut devenir un allié du jour au lendemain et inversement. Il s’agit d’une entreprise cynique et perfide qui, une fois dévoilée, trahit l’hypocrisie, la cruauté et la cupidité des puissances impérialistes occidentales.
Par ailleurs, les puissances occidentales désormais engagées militairement au Mali ont une morale à géométrie variable. Après tout, si les impérialistes de Washington, Londres et Paris étaient vraiment concernés par la protection des droits de l’homme et l’arrêt de la propagation de l’extrémisme musulman, pourquoi sont-ils si amis avec l’État saoudien, vecteur principal du mouvement wahhabite / salafiste et violant notoirement les droits de l’homme ?
Et en fait, plutôt que de lutter contre l’extrémisme musulman, les puissances occidentales ont toujours encouragé sa propagation. Les ouvrages de Robert Dreyfuss : Devil’s Game: How the United States Helped Unleash Fundamentalist Islam (Comment les États-Unis ont aidé à déchaîner l’Islam fondamentaliste) et de John Cooley : Unholy Wars: Afghanistan, America and International Terrorism (Guerre impies : l’Afghanistan, l’Amérique et le terrorisme international) détaillent le rôle que des agences de renseignement occidentales ont joué dans l’impulsion donnée à l’intégrisme islamique comme stratégie du « diviser pour mieux régner ». Le fondateur de la Commission Trilatérale et ancien conseiller à la sécurité nationale de Carter, Zbigniew Brzezinski, et l’ancien directeur de la CIA et secrétaire à la Défense, Robert Gates, ont tous deux vanté leur promotion de l’islam fondamentaliste dans le cadre d’une grande stratégie pour saper l’Union soviétique. Et c’est un fait qu’Al-Qaida et les Talibans sont nés du mouvement moudjahidin en Afghanistan, créé et financé par la CIA, le MI6 et l’ISI pakistanais.
Il n’est pas difficile de deviner pourquoi le Mali peut attirer les puissances occidentales. Le Mali est le troisième producteur d’or d’Afrique et est censé posséder de vastes gisements d’uranium ainsi que d’autres minéraux. Le pays possède également des gisements inexplorés de pétrole et de gaz qui sont convoités par les compagnies pétrolières occidentales.
Mais les puissances occidentales ne sont pas les seules à lorgner les ressources de l’Afrique. La Chine a avancé ses pions et pénétré les marchés africains ces dernières années. Mais plutôt que de suivre la stratégie occidentale de soutenir des dictateurs, en fomentant des guerres civiles et en bombardant les pays récalcitrants, la Chine cherche la coopération des États africains en échangeant investissements dans les infrastructures contre ressources naturelles.
La Chine a accepté de prêter à divers États africains un total de 20 milliards de dollars au cours des trois prochaines années pour les infrastructures et le développement de l’agriculture. Pékin s’est également engagé à envoyer du personnel médical sur le continent ainsi que de mettre en œuvre des programmes de formation pour les travailleurs africains. Les échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique ont augmenté pour atteindre plus de $ 150 milliards par an, et cette relation a été officialisée par le Forum sur la coopération sino-africaine (FCSA).
Cet accroissement des investissements chinois en Afrique sur la dernière décennie n’a pas échappé à l’attention des puissances occidentales.
Mais les Africains ont tout naturellement fini par se lasser de la diplomatie de la canonnière de l’Occident et de sa version complètement tordue du « libre-échange », selon laquelle les ressources naturelles du continent sont extraites à des prix dérisoires, et ne laissant rien d’autre que des terres pillées et une dette étouffante. Il est également compréhensible que les politiciens africains trouvent que le modèle chinois de prêts pour le développement en échange de l’accès aux marchés constitue un accord très préférable au modèle du « tueur économique » de l’Occident, mis en place depuis de nombreuses années et ayant conduit à d’énormes souffrances en Afrique et dans le monde.
Bien sûr, la question reste ouverte de savoir si les investissements de la Chine en Afrique se dérouleront comme prévu et amélioreront les conditions de vie de l’Africain moyen. Mais le fait que ces accords sont conclus en dehors de la sphère anglo-américaine peut encourager les puissances occidentales à établir une présence militaire permanente plus vaste sur le continent. Il s’agit d’un jeu vieux comme l’empire.