Seize mois après l’arrivée des Russes de Wagner, sept mois après le retrait des forces françaises de Barkhane, les militaires au pouvoir à Bamako affichent un bilan très mauvais sur le front sécuritaire. Et rien ne dit que nos frères maliens soient dans la bonne direction pour regagner leur souveraineté territoriale et retrouver sécurité et prospérité.
Les morts se suivent et se ressemblent, les exactions aussi. Loin de la capitale, les provinces maliennes ne connaissent ni répit ni espoir de développement. La cause : l’insécurité qui perdure et qui s’enracine, malgré les promesses du colonel Assimi Goïta et de son équipe arrivée au pouvoir sur un coup d’État, en mai 2021. Déjà deux ans ou presque, et aucune embellie ne se profile à l’horizon. Ni sur le plan sécuritaire ni sur le plan démocratique.
La situation ne se calme pas
Le 23 février dernier, une douzaine de civils ont péri dans une énième attaque perpétrée par les terroristes islamistes, à Kani Bonzon, dans le cercle de Bankass, dont plusieurs personnalités municipales et même l’imam. Sans compter les dégâts matériels et les têtes de bétail abattues. Le lendemain, la population locale s’est réunie à Bandiagara pour manifester son ras-le-bol face aux attaques djihadistes, en réclamant paix et sécurité au pouvoir central de Bamako. Sans grand espoir d’être entendue.
Deux jours plus tôt, ce sont des Casques bleus de la MINUSMA qui ont payé de leur vie leur présence auprès des populations locales : une bombe artisanale a fauché trois soldats de la paix, d’origine sénégalaise, et en a blessé cinq autres, dans le centre du pays. Et là encore, les autorités militaires maliennes n’ont pas caché leur impuissance. Encore plus tôt, mi-janvier, ce sont de pauvres soldats maliens eux-mêmes qui ont vu la mort en face : quatre d’entre eux ont été abattus dans une embuscade lors d’une mission de sécurisation de la route RN4, entre Kwala et Mourdiah, à 250 km au nord de Bamako. Depuis des mois, la liste des attentats, contre les civils comme contre les militaires, est interminable.
Le pouvoir central, lui, semble décidé à faire la sourde oreille à toutes les critiques, comme en témoigne le retrait des rebelles du Nord des pourparlers prévus par l’accord d’Alger. Eux regrettent le « manque de volonté politique » des militaires d’Assimi Goïta et leur manque d’action « pour faire face aux problèmes de sécurité qui ont conduit à la mort et au déplacement de centaines de personnes ». La dégradation de la sécurité dans le Nord du pays est telle que le dialogue n’est désormais plus à l’ordre du jour.
Le massacre de Moura toujours dans les esprits
C’est un fait : le Mali s’enfonce toujours un peu plus dans l’insécurité. Nos pauvres frères maliens, eux, n’ont plus que leurs yeux pour pleurer et leur mémoire pour compter leurs morts : chaque mois, les exactions des rebelles islamistes font des victimes.
Mais ils ne sont pas les seuls…Tous ont encore en mémoire le tristement célèbre massacre de Moura qui dura cinq jours, du 27 au 31 mars 2022. Entre 200 et 400 citoyens sont morts pendant ces effroyables affrontements, selon différentes estimations. Quelques jours après, le 5 avril, quand les premiers bilans avaient été publiés, l’armée régulière (FAMA) avait crié victoire lors de cette « opération anti-djihadiste », proclamant avoir mis hors d’état de nuire quelques 203 miliciens islamistes et en avoir arrêté une cinquantaine. Mais petit à petit, la vérité a éclaté sur cette boucherie et les exécutions sommaires : selon l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch (HRW), Moura fait partie des « pires épisodes d’atrocités » commises contre des civils, ces dix dernières années, dans le monde. Au banc des accusés : l’armée malienne, mais surtout les supplétifs paramilitaires russes du groupe Wagner.
Ce massacre marquera au fer rouge l’histoire du Mali. Les témoignages des survivants – seulement 19 civils ont réussi à échapper à la mort – sont terrifiants. « On m’a attaché les mains dans le dos et on m’a allongé sur le ventre, se souvient ce jeune homme de 16 ans, visage masqué, aujourd’hui réfugié à Bamako, à près de 500 km de Moura. Je pensais que c’était fini pour moi. Je connais des jeunes qui sont devenus fous, qui ont perdu la tête, ils ont vu des gens à côté d’eux être désignés et exécutés sous leurs yeux. J’ai vu beaucoup de morts, j’y pense tout le temps ». Tous témoignent d’hommes « blancs » parlant une langue inconnue. « Trois hélicoptères étaient dans le ciel, et l’un d’entre eux s’est posé, raconte un autre rescapé, lui aussi de manière anonyme. Il n’y avait que des hommes blancs, ils sont descendus, ils se sont mis en position, et ils ont tirés. C’était le jour du marché, ils ont tiré sur tout le monde, devant mes yeux. Le lendemain, ils – des militaires blancs et des noirs – ont cherché tous les hommes. Si tu fixais un blanc dans les yeux, il te frappait à la tête. Si tu te levais, il tirait sur toi. Avant de partir, les militaires nous ont ordonné de ne pas dire que c’était des civils qui avaient été tués ». Voilà le vrai visage des « héros » russes et des « héros » des FAMAs.
Le Mali s’exclut de lui-même de la scène internationale
Mis à part son nouvel allié russe, la junte militaire accaparant le pouvoir à Bamako est de plus en plus isolée sur la scène africaine et internationale. Parmi ses voisins, seuls des pouvoirs autocratiques similaires – comme au Burkina Faso – font front commun. Résultat : le Mali se coupe du monde et des institutions internationales, comme en témoignent les sanctions individuelles prononcées par la CEDEAO à l’encontre de plusieurs figures éminentes de la junte. Autre épisode, le dernier en date : l’expulsion de Guillaume Ngefa-Atondoko Andali, le chef de la division des droits de l’Homme de la mission des Nations Unies au Mali, le 5 février dernier. Au Conseil de sécurité, Andali avait, plusieurs fois, dénoncé la junte d’Assimi Goïta et les obstructions faites contre la MINUSMA dans ses enquêtes sur les atteintes aux droits humains au Mali. En particulier les abus et violences dont sont accusées très fréquemment les forces armées du pays et les mercenaires russes.
« Assimi Goïta et son armée peuvent-ils gagner la guerre contre les djihadistes ? », se demande le magazine Jeune Afrique, dans son édition de mars. C’est une excellente question, puisque c’est pour cette raison qu’il a renversé Bah N’Daw, lui-même auteur d’un putsch en 2020 contre le Président élu en 2013, Ibrahim Boubacar Keïta. Les communiqués officiels et les tenues d’apparat pour les appareils photo ne suffisent pas à convaincre. Sur le terrain, dans les provinces reculées, les populations restent sans défense et sans recours.
Mais il faut surtout voir à plus long terme, avec le retour à la démocratie, confisquée depuis trois ans maintenant. La junte a déjà décidé de repousser le référendum constitutionnel prévu en mars, dans « plusieurs mois », sans plus de précision. Officiellement intitulé « gouvernement de transition », le pouvoir en place n’a de « transition » que le nom puisqu’il ne fait que reporter encore et encore les futurs scrutins. Un « glissement du calendrier électoral » comme l’appelle le média Malinet. Avant la modification annoncée de la Constitution, la promesse d’un scrutin présidentiel, en février 2024, ne rassure personne au Mali. Car Assimi Goïta, lui, est en train de se tailler un fauteuil sur mesure. Les vrais amis du peuple malien savent déjà ce qui les attend.
Par Ibrahim Touré