Il vaut mieux fermer les yeux et faire l’autruche, comme la grande autruche France. Car si ladite autruche ne tenait point la tête dessous le sable, elle s’apercevrait que la plupart des territoires qui furent jadis français sont aujourd’hui soit effroyablement paupérisés, soit entièrement nettoyés de tout souvenir français. Admirable destruction, superbe lavage de cerveau…
Mais foin de ces déplorations passéistes !
Que la presque totalité des anciens territoires de la France soient à présent socialement dévastés ou opportunément rééduqués, peu importe, en Afrique subsaharienne, au Maghreb, au Cambodge ou à Pétaouchnoc… L’essentiel n’est-il pas que ces contrées soient débarrassées de la funeste France, et réciproquement, par les soins de la vénérable Ve République blanciste, héritière de la IVe, grande largueuse de « Nègres », de « Bougnoules » et autres musulmans ?
Dans le contexte actuel, particulièrement cristallin, où l’air frais se respire à Paris comme un oxygène bienfaisant, doux, voici qu’un grand opposant malien, recru d’inquiétude pour l’avenir de son pays, me souffla récemment à l’oreille, en substance : « Les élections prévues en juillet sont prématurées. Compte tenu du chaos actuel et accumulé, aucune garantie démocratique ne sera permise par le délai imparti. La classe politique au pouvoir, responsable du désastre, aura ainsi tout loisir d’assurer son maintien aux affaires. Et de continuer d’alimenter la catastrophe. »
Il est vrai qu’à la faveur de l’offensive française, tout au long du mois de janvier 2013, les images du Mali sous-développé se sont étalées sans fard sur nos écrans… Petit peuple laissé pour compte, misère tous azimuts, tandis que l’aviation française a pris le relais, à cinquante ans de distance, de l’aviation soviétique. En 1963, Modibo Keita faisait déjà bombarder les Touareg par le feu étranger…
Etrangère, la France, au Mali ? A vrai dire, l’histoire est nettement plus compliquée, mais une certaine extrême-gauche, volontiers amnésique, est sans doute plus prompte à flétrir l’immixtion française actuelle qu’à condamner celle du grand frère soviétique, voilà un demi-siècle… Des indépendantistes du Nord-Mali, eux aussi amnésiques (mais, cette fois, volontairement…), ont beau invoquer une partition contre-nature de l’espace touareg dont l’ère coloniale se serait rendue coupable, la réalité historique et géographique impose de constater que la colonisation française, au-delà des innombrables crimes qu’elle commit en Afrique, avait unifié le Sahara et laissé aux nomades la plus grande latitude en ces espaces, les associant d’ailleurs souvent à son empire… Ceux-ci le lui rendirent bien, en la servant loyalement et en défendant sa présence, jusqu’au bout… En Algérie, notamment, l’Etat FLN nouvellement indépendant (par la grâce de saint Charles de Gaulle, loué et glorifié soit son nom) sut le leur faire payer au prix fort (humiliation, persécution, sédentarisation forcée, etc.).
Au demeurant, pour en revenir aux craintes du très inquiet opposant malien dont je parlais et qui m’accorda de longs échanges fraternels sur ces cruciales questions électorales, il est bon de constater que, par delà les clivages politiques et les tentatives du pouvoir en place de se maintenir, avec l’éventuel soutien de la France et des non moins actifs et très gourmands Etats-Unis, une idée s’impose au Mali : le vaste plan de développement promis par François Hollande à Bamako, le 2 février 2013, déclarant qu’il venait « de vivre la journée la plus importante de [sa] vie politique »… est à prendre au mot !
Autrement dit, puisque le Mali – populations et élites politiques, pouvoir comme opposition – estime quasi unanimement que le lancement d’un programme de développement du pays avec l’aide massive de la France adossée à l’Union européenne, est une excellente idée, il leur suffit d’unir leur voix pour que les mots du président français à Bamako prennent corps dans les plus brefs délais.
Nous avons soupé des envolées fraternelles et généreuses lancées à l’Afrique par des présidents français plus soucieux d’asservir les peuples d’Afrique ou de pressurer leurs territoires que de les épauler sur le chemin de la Liberté et du bien-être. Pour mémoire, je rappellerai ci-après des mots communistes et des mots gaullistes, qui en surprendront certainement plus d’un(e).
Que tous les partis, que toutes les associations, que tous les Maliens et tous les Français de bonne volonté exigent que François Hollande tienne les promesses de Fraternité et d’Egalité qu’il a lancées solennellement à Bamako au nom de la France et, ipso facto, au nom de l’Europe, pour le Mali et, au-delà, pour l’Afrique entière !
Coalisons-nous, en dépit de nos divergences et de nos si légitimes méfiances, pour exiger que les paroles deviennent enfin des actes. A commencer par des écoles, du matériel, des livres et des professeurs pour tous les enfants. Mais aussi des routes, des dispensaires, des hôpitaux, des ponts. Pour cela, nous n’avons pas besoin, au Mali ni en France, d’attendre des élections à la transparence plus ou moins douteuse. Car répétons-le : ce rêve de fraternité, de développement économique et social, fait l’unanimité, ici et maintenant, au pays de Yambo Ouologuem comme à travers la plus grande partie du continent. Au point qu’il en paraîtrait, ô paradoxe, presque impossible, tellement il coule de source, et tant il est refusé depuis des décennies…
Sauf que l’autruche, la tête dans le sable, si elle ne voit point le désastre en ses anciens domaines, ne voit point non plus le troupeau de rhinocéros qui fonce sur elle. A peine en entend-elle, sans doute, le sourd grondement…