Samedi 22 avril, dix civils et trois soldats maliens ont été tués au cours d’une attaque à la voiture piégée à Sévaré, dans la région de Mopti. La recrudescence des violences des terroristes montrent les limites des choix de la junte d’Assimi Goïta. Presque deux ans après son coup d’État, Goïta – malgré l’appui des paramilitaires russes de Wagner – est incapable de restaurer la sécurité dans le pays.
Treize morts, une soixantaine de blessés. Les habitants de Sévaré viennent de payer le prix le plus fort, dans leur chair. Samedi 22 avril, l’enfer s’est abattu sur eux. « Nous avons entendu des bruits après la prière, vers 5h30, 5h40, raconte Amadou Djiguiba, un habitant de Sévaré. Au début, nous avons pensé que la tragédie s’était produite à la maison. Certaines personnes ont pensé qu’un bâtiment s’était effondré. Nous sommes allés au camp pour informer le commandant. Nous avons également alerté la protection civile. Vers 6 heures du matin, les autorités sont arrivées et nous avons extrait ensemble les blessés et les morts. C’était très dur. » En fait, quatre explosions ont eu lieu simultanément, accompagnées de coups de feu. À Sévaré, la fête de l’Aïd el-Fitr s’est transformée en cauchemar.
La spirale infernale de la violence
Aussitôt, le gouvernement de transition et le président autoproclamé Assimi Goïta ont réagi en pointant du doigt les jihadistes, dont la politique de terreur ne viserait qu’à « annihiler la volonté des autorités de la transition de poursuivre la refondation et la sécurisation du Mali ». L’attaque a eu lieu près de l’aéroport où cohabitent plusieurs camps : celui de la Minusma (la force des Nations unies) mais aussi celui de l’armée malienne où siègent les agents et les formateurs russes de la milice privée Wagner. Les Forces armées maliennes (FAMa) auraient ensuite neutralisé 88 assaillants. Mais à quel prix ?
Quatre jours plus tôt, mardi 18 avril, une autre attaque dans la région de Nara, près de la frontière avec la Mauritanie, avait endeuillé le peuple du Mali. L’attaque revendiquée par le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) – une filiale d’Al-Qaïda – a visé le chef de cabinet d’Assimi Goïta, Oumar Traoré. Quatre civils ont également perdu la vie. Le lendemain, le 19 avril, d’autres attaques dans le centre du pays, à Sokolo et à Farabougou, ont fait plusieurs morts parmi les soldats maliens. Quand cette spirale infernale s’arrêtera-t-elle enfin ? Quand nos frères maliens réagiront-ils face à la politique sécuritaire peu convaincante – pour ne pas dire catastrophique – des hommes forts de Bamako ?
Les mauvais résultats de Wagner
Malgré une situation sécuritaire qui se dégrade, le pouvoir militaire du colonel Goïta reste droit dans ses bottes. Selon l’exécutif issu du coup d’Etat, tout devait rentrer dans l’ordre pour les forces armées maliennes, qui devaient courir de succès en succès, grâce au soutien des paramilitaires russes du groupe dirigé par le « cuisinier » de Vladimir Poutine, Evgueni Prigojine. C’est vrai, les FAMa ont enregistré quelques victoires significatives, ces derniers mois, comme l’arrestation du chef de la Katiba Macina, en septembre dernier. Mais le bilan des miliciens de Wagner – présents dans le pays depuis fin 2021 – est quant à lui famélique. Attaqués samedi dernier sur leur propre base de Sévaré, ils ont surtout à leur actif des exactions contre les civils. Personne n’est dupe : ils sont là pour le business, pas pour le bien de la population malienne.
Depuis le départ des Français de Barkhane – accusés de tous les maux par les hommes d’Assimi Goïta –, la situation ne s’est pas améliorée, contrairement aux grandes promesses faites l’année dernière. Les principaux groupes de l’hydre djihadiste sont toujours très présents sur le terrain, dans le sillage du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), par ailleurs concurrents. Non, les FAMa et leurs alliés russes n’ont pas éradiqué le problème. Bien au contraire. Selon les chiffres de l’Armed Conflict Location & Event Data Project (Acled), l’année 2022 s’est soldée par un triste bilan : 4842 morts (dont 1340 civils), contre 1903 en 2021 (dont 1013 civils). Pire, les civils sont de plus en plus nombreux à quitter leurs villages, le nombre de déplacés explose à force de voir les combats se rapprocher de la capitale. Et les Maliens n’ont pas que les terroristes islamistes à blâmer dans leur souffrance.
Le dernier rapport de l’ONU sur la sécurité au Mali fait froid dans le dos. « Nous sommes troublés par l’augmentation apparente d’attribution de fonctions militaires traditionnelles au groupe Wagner dans diverses opérations militaires, y compris des opérations définies comme antiterroristes, notamment à Nia Ouro, Gouni et Fakala, soulignent les experts onusiens. Nous sommes particulièrement préoccupés par des informations crédibles selon lesquelles, au cours de plusieurs jours fin mars 2022, les forces armées maliennes, accompagnées de militaires soupçonnés d’appartenir au groupe Wagner, ont exécuté plusieurs centaines de personnes, qui avaient été rassemblées à Moura, un village dans le centre du Mali ». Selon de nombreux témoignages recueillis, depuis 2021, par les observateurs de l’ONU, les cas d’exécutions, les pillages, les charniers, les actes de torture et de violence sexuelle « perpétrés par les forces armées maliennes et leurs alliés » sont persistants.
Du Mali à la Centrafrique, la même rengaine
Ce bilan au Mali, malheureusement, n’est guère différent du bilan de Wagner dans d’autres pays d’Afrique. Regardez ce qui s’est passé en République Centrafricaine (RCA) depuis que les miliciens de Poutine sont arrivés dans le pays présidé par Faustin-Archange Touadéra ! La prédation des richesses naturelles (mines et bois) ne connaît plus de limites. Au Burkina Faso, le capitaine putschiste Ibrahim Traoré fait lui aussi les yeux doux à Moscou. Et dire que l’on parle maintenant, au Soudan, du soutien matériel de Wagner à Mohamed Hamdan Dagalo face au Président Abdel Fattah al-Burhane ! La situation actuelle à Karthoum ressemble, à s’y méprendre, à une guerre civile. Plus le chaos règne dans un pays, plus l’appétit de Wagner grandit.
Alors, pourquoi Assimi Goïta s’entête-t-il à faire confiance aux Russes ? Que lui ont-ils promis ? Que leur a-t-il promis en termes de richesses ? Que les Russes veuillent trouver de nouveaux territoires pour exercer leur influence n’est que de la « real politik » comme elle se pratique par toutes les grandes puissances dans le monde. Mais qu’ont Goïta, Traoré ou Touadéra à y gagner, mis à part accaparer le pouvoir et reporter les élections libres sous le prétexte de la « lutte sécuritaire » ? Les pauvres peuples du Mali, du Burkina ou de Centrafrique, eux, ne semblent avoir guère le choix que de plier. En espérant des jours meilleurs.
Par Ahmadou Mahamane