Depuis la crise politique malgache en 2009, les conditions de vie à Madagascar se sont détériorées. Pour prêter main forte à leurs familles, des milliers de jeunes filles migrent au Liban pour travailler comme domestiques. Mais une fois sur place, elles vivent un véritable enfer. Maltraitées, battues, violées, elles subissent toutes formes de violences. Après de longues tractations, elles ont finalement accepté de se confier à Afrik.com. Enquête.
Rentrée en septembre 2012 à Madagascar, Marie-Emmanuelle porte encore les cicatrices de ses blessures. Elle n’oubliera jamais le calvaire qu’elle a vécu au Liban. Comme elle, des milliers de jeunes filles y ont migré pour travailler comme domestiques, rêvant d’une vie meilleure. Agée aujourd’hui de 23 ans, la jeune femme n’en avait que 19 ans quand elle s’est envolée pour le Liban. Lorsqu’elle raconte ses rudes conditions de travail, sa voix fluette en tremble encore d’effroi : « Je suis partie pour aider ma famille qui est très pauvre. Mais une fois sur place, j’ai vécu un véritable enfer ! Je travaillais comme domestique pour huit familles différentes. Je commençais à 6h du matin et finissais à minuit. Je ne mangeais qu’un repas par jour. J’ai subi des violences. Mes employeurs m’insultaient et me battaient tous les jours ! Ils ne m’ont même pas payé la totalité de l’argent qu’ils me devaient », déplore-t-elle.
Des brimades. Des humiliations. Sandra aussi en a vécues au Liban. Partie à l’âge de 19 ans, elle a subi, durant trois ans, des violences sexuelles. « J’étais violée tous les jours par mon patron. Et ses enfants me battaient », raconte-t-elle. Elle réussit finalement à contacter des membres de sa famille qui l’ont aidée à rentrer. Seulement, le retour à Madagascar est loin d’être de tout repos. Les jeunes femmes sont rejetées par leurs proches, qui espéraient qu’elles rapporteraient beaucoup d’argent. C’est le cas d’Olivia qui a été abandonnée par sa famille. « Mes frères et sœurs ne veulent plus m’adresser la parole ». Elle aussi garde un souvenir amer du Liban, où elle a été incarcérée dans des conditions effroyables après avoir été accusée par sa patronne d’avoir volé les clés de sa voiture.
Il n’est aussi pas rare que des mineures âgées d’à peine 14 ans tentent également l’aventure. C’est le cas de Marie, contrainte par sa tante à aller au Liban. Une fois sur place, son patron l’a violée régulièrement. Elle tombe enceinte. Lorsqu’il s’en rend compte, il la chasse. Livrée à elle-même, la jeune fille accouche seule et jette son bébé du huitième étage d’un immeuble. Une affaire médiatisée qui a d’ailleurs ému l’opinion publique malgache.
Relations sexuelles contraintes avec des chiens
Si le Liban est la destination prisée par la majorité des jeunes malgaches, d’autres n’hésitent pas à tenter leur chance en Arabie Saoudite, au Koweït ou encore en Jordanie. Entre octobre et novembre 2012, près de 510 jeunes femmes sont rentrées à Madagascar pour fuir leurs mauvaises conditions de travail. Alors qu’en allant au Liban, elles étaient pleines d’espoir, leur périple s’est finalement transformé en cauchemar.
De multiples organisations telles que le syndicat des Professionnels Diplômés en Travail Social, qui vient en aide à ces jeunes femmes meurtries, s’insurgent contre ce fléau. La présidente, Norotiana Jeannoda, ne mâche pas ses mots : « C’est l’Etat malgache qui est avant tout responsable de leurs souffrances ! Il est vrai que leurs familles les poussent à partir. Mais le ministère de la Fonction publique leur facilite la tâche, arguant qu’il les aide à trouver un emploi ! » Seulement, rappelle-t-elle, une fois arrivées sur place, « elles subissent toutes formes de violences : morales, psychologiques et sexuelles. Certaines d’entre elles, sont même contraintes par leurs employeurs à avoir des relations sexuelles avec leur chien ! Parfois, elles sont aussi forcées de coucher avec les invités de leur patron. Des relations pornographiques qui sont la plupart du temps filmées ! »
« Génocide des enfants »
Selon Norotiana Jeannoda, ces migrations au Liban ont débuté en 1995 lorsque le pays était en conflit. « L’Etat malgache y envoyait les jeunes filles pour prêter main forte aux infirmières qui étaient débordées. Mais en réalité, elles effectuaient le travail de domestique dans des conditions inhumaines ! », dénonce-t-elle. Ce phénomène existe donc depuis très longtemps mais aurait pris de l’ampleur en 2009, suite au coup d’Etat mené contre l’ex-président Marc Ravalomanana. Cette crise politique a en effet miné le pays. L’économie s’est effondrée. De nombreuses entreprises ont mis la clé sous la porte. Le chômage a augmenté et la pauvreté s’est accentuée.
Les agences de placements, ces entreprises chargées de trouver du travail aux jeunes filles domestiques à l’extérieur du pays, sont aussi responsables de leur situation, estime Norotiana Jeannoda. Ces dernières les aident à falsifier des documents qui leur permettent de voyager sans éveiller les soupçons. En effet, à Madagascar, les mineurs ayant moins de 21 ans doivent obtenir l’autorisation de leurs parents pour pouvoir voyager. « Ces agences de placement aident par exemple celles qui n’ont pas l’âge requis à modifier leurs dates de naissance. Mais après avoir quitter le pays, elles sont livrées à elles-mêmes. Sans compter que l’Etat ne fait rien pour assurer leur survie », explique Norotiana Jeannoda.
Pour Hanta, une assistante sociale d’Antananarivo, la capitale de la grande île, le départ de ces jeunes femmes aggrave les conditions de vies de leurs proches. En partant à l’étranger, nombre d’entre elles, mariées, laissent leurs enfants à leurs maris. De nombreux cas d’incestes ont été relevés. « Il s’agit d’enfants violés par les propres membres de leur famille. Près de 76% des victimes ont entre 3 mois et 18 ans », selon l’assistante sociale. « En 2009, 479 cas ont été recensés, en 2010, 527, en 2011, 575 et en 2012, 361 », souligne-t-elle. « Madagascar est dans le rouge ! lance Norotiana Jeannoda. Plus rien ne va ! Et ce sont nos enfants qui en payent le prix. On est entrain de faire subir un génocide à nos enfants ! »