Makaila Nguebla : « Mobiliser la jeunesse africaine contre les dictatures en Afrique »


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Après avoir été expulsé du Sénégal, où il s’était réfugié depuis 2005, il a séjourné en Guinée. Le célèbre blogueur tchadien, Makaila, très critique à l’égard du régime d’Idriss Déby, a finalement obtenu son visa pour la France, où il a atterri vendredi 12 juillet. Dans son nouveau moment de répit, il raconte à Afrik.com son long périple pour la liberté.

«Makaila» peut désormais souffler! Il en a fait du chemin avant d’atterrir en France, après avoir obtenu son visa. Vêtu d’une chemise bleu clair, assortie d’une veste bleu marine, il sort fièrement son récépissé de sa sacoche, qui contient une tonne de documents. « Vous voyez, c’est ce récépissé qui m’a permis d’être là aujourd’hui », dit-il fièrement, de sa voix posée. La bataille a été longue pour que le blogueur tchadien, honni par Idriss Déby qui veut toujours sa peau, puisse trouver sa nouvelle terre d’accueil. Il est encore marqué par son son expulsion du Sénégal, où il s’était réfugié depuis 2005, pour fuir l’oppression du régime tchadien, qui le traquait, avant d’être conduit à Conakry. Encore ému, il tient constamment à remercier tous ceux qui l’ont soutenu. « Jusqu’en Espagne, des gens ont pleuré quand ils ont su que j’avais obtenu mon visa. Même au Sénégal, j’avais un solide comité de soutien. Des ONG comme Reporter sans frontières m’ont aussi prêté main forte. » Mais pas le temps de s’endormir sur ses lauriers. Makaila pense déjà à ses projets : poursuivre coûte que coûte son combat pour un Tchad libre, qui briserait enfin la dictature installée par Idriss Déby, depuis bientôt un quart de siècle!

Afrik.com : Vous attendiez-vous à ce que la France vous délivre aussi rapidement un visa, sachant qu’elle entretient des liens très étroits avec le régime de Déby ? N’est ce pas paradoxale ?

Makaila Nguebla :
Personne ne s’attendait en effet à ce que j’obtienne le visa aussi rapidement. J’ai été le premier surpris. Mais je pense que la France doit se racheter par rapport à sa politique tchadienne. Je pense que c’est ce qu’elle tente de faire. Je pense aussi que la France ne s’attendait pas à ce qu’un blogueur soit aussi médiatisé. C’est un message que la France a envoyé à Idriss Déby pour dire : « Même si on te soutient on est très regardant par rapport aux Droits de l’Homme et respect des libertés individuelles ». C’est un signal fort.

Afrik.com : D’autres pays aussi comme l’Espagne vous ont proposé l’asile politique. Pourquoi avez-vous choisi la France, alors que vous êtes très critique envers elle par rapport aux liens étroits qu’elle entretient avec le régime de Déby?

Makaila Nguebla :
Oui effectivement l’Espagne, où j’avais un très grand comité de soutien, était prête à m’accueillir. Mais Ici en France aussi je dispose de beaucoup de soutiens, notamment des amis et un grand réseau. Sans compter que de nombreux responsables politiques comme le député Noëlle Mammère, Pascal Canfin, le ministre français délégué au Développement, Gilles Yabi, Patrick Farbiaz, ou encore l’ex-rédacteur en chef de la Lettre du Continent, Antoine Glaser m’ont tous soutenu et ont fait pression pour que les autorités française m’octroient le visa. Si la France s’obstinait à refuser de me donner le visa, cela n’aurait pas été bon pour son image, elle qui affirme défendre les Droits de l’Homme, sachant que j’ai été expulsé injustement du Sénégal. Et puis mon affaire a été tellement médiatisé, grâce à la pression des ONG et politiques qui m’ont soutenu, qu’au final, la France n’avait plus le choix que de me donner l’asile politique.

Afrik.com : Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est réellement passé au Sénégal où vous avez été violemment expulsé?

Makaila Nguebla :
Mon blog très critique à l’égard d’Idriss Déby est à l’origine de ma mésaventure au Sénégal. Lorsque le ministre de la Justice du Tchad s’est rendu au Sénégal dans le cadre du partenariat entre les deux pays sur le dossier Hissène Habré, il a demandé à Macky Sall de se pencher sur mon cas pour me régler mon compte. A la suite de l’intervention du ministre de la Justice tchadien, j’ai été convoqué par les autorités sénégalaises. On m’a interrogé. Puis on a réceptionné tous les mails des gens qui étaient en contact avec moi, notamment de nombreux journalistes. Et on m’a accusé d’incitation à la violence au Tchad via mon blog. On m’a ensuite proposé de m’expulser vers le Mali sans même me conduire devant un juge. Je leur ai dit que ce n’est pas possible que je me rende au mali, car l’armée tchadienne combat là-bas et que si elle met la main sur moi, elle pourrait me renvoyer au Tchad, où ma vie serait en danger. Finalement, j’ai atterri à Conakry, où une maman m’a vu en train de pleurer dans l’avion. Elle m’a consolé et proposé de m’héberger chez elle.

Afrik.com : Comment expliquez-vous cet acharnement des autorités sénégalaises à votre encontre?

Makaila Nguebla :
Depuis l’intervention au Mali des troupes tchadiennes, l’aura de Déby s’est agrandi dans la sous-région. Il a tous les chefs d’Etat dans sa poche! Ce qui est regrettable dans cette histoire, c’est que le Président Macky Sall ait obéi aux ordres de Déby. Cette affaire a donné une mauvaise image au Sénégal qui est considéré comme un modèle de démocratie en Afrique. Idriss Deby a profité du déploiement des troupes tchadiennes au Mali pour redorer son image en Afrique. Le régime de Déby avait déjà approché Abdoulaye Wade sur mon cas, lui demandant de fermer mon blog en 2010. Mais Abdoulaye Wade a refusé, affirmant qu’il est juriste. Il a dit à Deby : « Makaila est venu au Sénégal légalement. Je ne fermerai pas son blog. Si tu veux le faire fais le ailleurs, mais ce sera pas au Sénégal!»

Afrik.com : Que reprochez-vous au juste à Idriss Déby ?

Makaila Nguebla :
Je lui reproche son éternité à la tête du pays. Cela va bientôt faire un quart de siècle qu’il est au pouvoir, c’est trop. Je dénonce aussi son accession au pouvoir par les armes, son maintien au pouvoir par les armes, sa gestion calamiteuse et clanique du régime. Idriss Déby a une gestion familiale du régime. Tout tourne autour de lui. Il utilise les richesses du pays comme bon lui semble, et les redistribue seulement à ses proches, alors que le peuple tchadien lui vit dans la misère. Je lui reproche aussi la confiscation des libertés, le déficit démocratique au Tchad. L’armée est clanisée. Le peuple est pris en otage car aucune manifestation n’est autorisée. Ceux qui osent manifester risquent la mort, car les forces de l’ordre peuvent intervenir à tout moment pour les réprimer. Il n’y a pas d’alternance dans le pays, les postes stratégiques sont gérés par la famille de Déby. Malheureusement les médias parlent très peu du Tchad, des violations des libertés dans le pays. Les puissances étrangères ne sanctionnent pas Déby, car ils se disent que le Tchad est le plus stable pays de l’Afrique centrale, donc tout va bien. Or, le peuple tchadien souffre beaucoup.

Afrik.com : Maintenant que vous avez recouvré la liberté quels sont vos projets?

Makaila Nguebla :
Mettre en place une plateforme pour mobiliser toute la jeunesse africaine contre les dictatures et injustices en Afrique. Nous allons utiliser internet, car aujourd’hui l’Afrique est de plus en plus connectée. Beaucoup de personnes ont été arrêtées à cause de moi, après m’avoir apporté leur soutien. De nombreuses personnes, s’opposant au régime de Déby sont emprisonnées dans des conditions effroyables au Tchad. Il est temps de mettre un terme à l’arbitraire et l’oppression en Afrique. Pour cela, les Africains doivent se mobiliser et lutter ensemble pour la liberté et la démocratie sur le continent.

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