L’acquisition ou l’affermage de millions d’hectares de terres africaines par des sociétés étrangères a provoqué un intense débat parmi les agriculteurs, les responsables politiques et les économistes du continent. Afrique Renouveau examine les questions que posent ce phénomène et les controverses qu’il provoque.
La multiplication d’achats ou d’affermages de terres africaines provoque des inquiétudes à travers le continent comme en dehors de l’Afrique. Le phénomène a fait les gros titres de la presse qui le dénonce sans ménagement.
Cette levée de boucliers s’explique par l’histoire du continent où les puissances coloniales et les colons étrangers s’emparaient arbitrairement des terres africaines et déplaçaient les populations qui y vivaient. Mais des considérations pratiques ont aussi une grande importance. Nombre de ces transactions se font sans contrôle, sans transparence, en l’absence de toute réglementation et sans garanties pour l’environnement ni pour la protection des petits paysans contre la perte de leurs droits d’usage coutumiers sur ces terres.
Des millions d’hectares en jeu
L’importance des surfaces concernées a aggravé les inquiétudes. Le projet d’affermer 1,3 million d’hectares à la société sud-coréenne Daewoo a été un facteur clé dans la mobilisation qui a abouti à l’éviction du président malgache Marc Ravalomanana au mois de mars. Au Kenya, le gouvernement peine à surmonter l’opposition locale à la proposition de donner au Qatar le droit d’exploiter 40 000 hectares de terres dans la vallée de la rivière Tana en échange de la construction d’un port en eau profonde. L’Afrique est particulièrement ciblée par cette explosion de l’investissement agricole, car elle est perçue comme disposant de vastes ressources en terres et en main-d’œuvre, bon marché et disponibles, comme d’un climat favorable.
Une étude récente de l’Institut international pour l’environnement et le développement (IIED), estime que cinq pays (Éthiopie, Ghana, Madagascar, Mali et Soudan) ont à eux seuls cédé l’exploitation de près de 2,5 millions d’hectares de terres agricoles africaines à des entreprises étrangères. Des entreprises chinoises seraient en train de négocier des contrats portant sur 2,8 millions d’hectares en République démocratique du Congo (RDC), surfaces qu’elles destinent à des plantations de palmiers à huile, et sur 2 millions d’hectares en Zambie destinés à la culture du jatropha, une plante utilisée dans la production de biocarburant. Le Soudan a pour sa part accepté d’affermer 690 000 hectares à la Corée du Sud pour cultiver des céréales. Des sources suggèrent que l’exploitation de près de 6 millions d’hectares de terres agricoles a été ou est potentiellement assignée à des entreprises étrangères, ceci sans compter la proposition faite par la RDC à un syndicat d’agriculteurs sud-africains de leur affermer 10 millions d’hectares.
Perspectives favorables et risques
Ces transferts de terres massifs offrent à la fois des perspectives favorables au développement et des risques certains, déclaré à Afrique Renouveau Olivier De Schutter, Rapporteur spécial de l’ONU sur le droit à l’alimentation qui a écrit que bien que ces investissements offrent certaines perspectives de développement, ils représentent aussi une menace à la sécurité alimentaire et à d’autres droits humains élémentaires. “Les enjeux sont énormes”, a-t-il expliqué à Afrique Renouveau. Malheureusement, “ces contrats dans la forme sous laquelle ils ont été conclus jusqu’à présent ne présentent que des obligations très faibles pour les investisseurs.”
Cependant, pour les pays africains les bénéfices potentiels de ce genre de transactions sont séduisants. L’agriculture africaine attire rarement des investissements et une aide au développement importants – et la récession mondiale actuelle a encore raréfié les sources de financement extérieures – autoriser des sociétés et des gouvernements étrangers à exploiter de larges surfaces agricoles non cultivées peut apparaître comme un moyen de stimuler un secteur sous-développé et de créer de nouveaux emplois.
De nombreux analystes avertissent que dans les faits les bénéfices réels de l’investissement agricole se révèlent beaucoup plus faibles que ceux projetés.
Élaborer une approche stratégique
Ces analystes conseillent aux pays africains de placer les investissements fonciers étrangers dans la perspective stratégique du développement rural. Les deux parties doivent évaluer avec rigueur et réalisme la faisabilité, les bénéfices et les coûts de chaque projet spécifique. Comprendre clairement leurs effets sur le plan social et sur celui de l’environnement, y compris sur la sécurité alimentaire, est également crucial. Dans son rapport, M. De Schutter présente un certain nombre de recommandations concernant ces transactions foncières :
* Libre et complète participation à l’étape préliminaire de toutes les communautés concernées et leur accord collectif — pas uniquement celui de leurs dirigeants
* Protection de l’environnement basée sur une évaluation approfondie qui fait la preuve de la validité environnementale du projet
* Transparence totale et obligations claires et applicables pour les investisseurs accompagnées d’une législation définissant des sanctions appropriées selon les nécessités
* Mesure de protection des droits humains, des droits des travailleurs, des droits fonciers et du droit à l’alimentation et au développement.
Un code de conduite pour les gouvernements qui accueillent les investissements et les investisseurs étrangers pourrait contribuer à ce que les transactions foncières bénéficient aux deux parties et aux communautés locales. M. De Schutter préfère lui mettre l’accent sur la législation internationale des droits de l’homme existante qui peut être appliquée aux grandes transactions foncières et pour forcer les États à respecter leurs obligations envers leurs citoyens
Quoi qu’il en soit, les spécialistes sont d’avis que les pays africains doivent avoir la volonté et la capacité de faire respecter la loi. “Il est vital de renforcer les capacités de négociation”, affirme M. De Schutter; et pas uniquement les capacités de l’État, mais aussi celles des communautés locales et des parlements nationaux. Nombreux sont les observateurs qui pensent que cet objectif sera le plus difficile à réaliser.
Une analyse de Roy Laishley, Organisation des Nations Unies, Afrique Renouveau
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