Mahmud Benyacoub, à tour de rôles


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Les diseurs de vérité, affiche du film
Les diseurs de vérité, affiche du film

Mahmud Benyacoub représente aujourd’hui une figure constante du cinéma algérien, à l’intersection de toutes les tensions historiques. Comme dans son dernier rôle dans les Diseurs de Vérité, film de Karim Traïdia, primé cette année à Valence.

Mahmud Benyacoub ne sera jamais là où vous l’attendrez. Mondain ? Cherchez-le plutôt entre ses oliviers près de Guelma, en Algérie. Nourri de culture arabe ? Il fait parti des Parisiens les plus assidus de Saint-Germain-des-Prés depuis trois décennies. Intellectuel ? C’est un pratiquant extrémiste des percussions cubaines. Tiers-mondiste ? Il raffole du cinéma américain des « grandes années ». Jouisseur ? Il est incollable sur tous les conflits qui ont secoué le siècle dernier. Vous avez compris, ce grand marcheur impénitent a la bougeotte et il est inclassable.

Du jeu dramatique et de la musique

Un abord triste et sombre, le visage comme coincé entre des sourcils plongeants… et ses grands bras s’agitent soudain, mus par une inspiration. Sa mine s’illumine alors à mesure que les sourcils s’écartent, tirés vers le haut. Et tombe sans prévenir une fine malice sur une voix modulée au gré de sa fantaisie. Mahmud Benyacoub n’est pas devenu acteur : il l’a toujours été. Il a comme une gourmandise permanente à alterner les registres dramatiques et comiques, à décrypter la comédie de la vie dans ses moindres méandres. « Il y a beaucoup de similitudes entre les jeux dramatiques et musicaux. Le don s’ébroue en soi et on lui répond par jeu. On tape sur toutes les surfaces qui se présentent comme on reprend les scènes qui nous ont frappées. On tâtonne, on expérimente sans cesse… et l’on s’aperçoit que l’on progresse. » Un artisan du jeu.

Il entre en cinéphilie comme on entre dans les ordres

C’est à Tunis où Mahmud est interne du prestigieux lycée Carnot et qu’il entre en cinéphilie, comme on entre dans les ordres. Le Capitole, le Colysée , le Mondial… aucune des salles tunisoises n’aura plus de secret pour lui. Les grands acteurs l’inspirent, et ses amis l’encouragent à creuser cette voie. Ni rejeton, ni figure de l’immigration populaire algérienne en France, il a la chance de se trouver entre ces deux générations en but avec l’Histoire. Influence des polars américains ? Du bac philo passé à Tunis, Mahmud Benyacoub rebondit en études de Droit à Genève où il inspecte à la loupe les curiosités de ses cours de Criminologie. Des cours qui lui permettent de se pencher sur les troubles et complexes ressorts de l’humanité. Il étudie le jour et joue dans des orchestres vénézuélien, argentin ou malgache la nuit.

Le cinéma sera sa famille et l’Histoire contemporaine, son amoureuse

De petits boulots en coups de hasard, il traverse la frontière et se retrouve au service de presse de La Ligue Arabe à Paris. Nous sommes dans les années 80 et Costa Gavras va réaliser « La main droite du diable* ». Il le consulte comme observateur du racisme français anti-algérien. Rencontre doublement symbolique. Le cinéma sera sa famille et l’Histoire contemporaine, son amoureuse. Elle lui demandera d’être le témoin de ses caprices et de les incarner. Il se retrouve donc à jouer pour Zemmouri, Mehdi Charef, Malik Chibane, Romain Goupil, Van Effenterre, Abdelkrim Bahloul. Insouciance des immigrés fraîchement arrivés, décalage entre idéologie indépendantiste et pulsions de jeunesse, fossé entre les travailleurs algériens et leurs enfants : Mahmud Benyacoub donne corps à toutes les variations sur le thème de l’Histoire algérienne contemporaine.

La jeune génération de France ne s’y trompe pas

La jeune génération de France ne s’y trompe pas : pour avoir interprété un professeur symbole de l’Algérie qui ne reconnaît plus ses enfants revenus au pays, il se fait harceler à coup d’invectives affectueuses. Le privilège de la fiction. Le film de sa dernière performance, « Les diseurs de vérité » de Karim Traïdia, a reçu cette année la Palme d’or du Festival de Valence et le prix spécial du jury aux Festivals de l’Institut du monde arabe et de Carthage. Il dit l’histoire réelle de Saïd Mekbel, rédacteur en chef du Matin assassiné par des islamistes. Mahmud Benyacoub y joue un réfugié algérien en Hollande et porte le film, en duo avec Sid Ahmed Agoumi, au paroxysme de son émotion sur le thème de l’exil.

Il avait déjà séduit Karim Traïdia dans son interprétation « juste et précise » du rôle délicat du harki devant rendre des comptes à sa progéniture dans la « Douce France » de Malik Chibane. Leur dernière collaboration l’a convaincu de réitérer l’expérience. « Mahmud a une rare qualité d’écoute, de l’intelligence et, ce qui ne gâche rien, beaucoup d’humour. Travailler avec lui est un vrai plaisir. Il ne le sait pas encore, mais je lui demanderai de jouer sur mon prochain film en lui concoctant un rôle à sa mesure. Il s’agira de l’Algérie des années 1958-1962 et des tensions entre la prise de conscience de notre algérianité et nos amitiés françaises. » À répéter, c’est un scoop !

* film sur les crimes racistes du Ku Klux Klan

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