Mahamat Ahmad Al-Habo, docteur en mathématiques et ancien titulaire d’une chaire à N’Djamena, est depuis un peu plus d’un an l’ambassadeur de la République du Tchad à Paris. Pour afrik.com, il a exposé le point de vue et les arguments de son gouvernement sur le projet d’oléoduc Tchad – Cameroun.
Afrik.com : Selon vous, la conclusion du contrat de l’oléoduc est une grande victoire pour votre pays. Quels bénéfices le Tchad peut-il en attendre ?
Mahamat Ahmad Al-Habo : Imaginez un pays grand comme deux fois la France, peuplé de sept millions d’habitants seulement et qui serait l’un des dix plus pauvres de la planète. C’est cela, le Tchad : un pays où tout reste à faire. Santé, scolarisation, infrastructures… Si l’on parle du pétrole de Doba, on doit le faire dans le contexte national : un produit intérieur brut annuel de 180 dollars US par habitant, une espérance de vie inférieure à cinquante ans, un enfant sur cinq n’atteignant pas l’âge de cinq ans. Sept Tchadiens sur dix n’ont pas accès à l’eau potable. Comment prétendre à la fois protéger l’environnement et laisser mourir les bébés tchadiens ?
Afrik : En quoi l’économie de votre pays sera-t-elle concrètement relancée par le projet ?
M. Al-Habo : Si les gens sont en bonne santé, s’ils sont mieux instruits, ils travailleront mieux. En plus, les travaux d’infrastructure créeront de nombreux emplois, les routes créeront une activité nouvelle… Beaucoup de projets sont actuellement en souffrance, faute de financements. Je ne prendrai que l’exemple des routes. Cela fait longtemps que nous voulons, enfin, bitumer tout le pays. Pour l’instant, plusieurs régions sont tout simplement coupées du monde quatre mois par an, à cause des inondations.
Afrik : Les conditions financières faites au consortium par votre pays vous satisfont-elles ?
M. Al-Habo : Il est difficile de s’en satisfaire. Pour l’instant, notre pays est en position de demandeur et les multinationales peuvent imposer des conditions qui leur sont favorables. Aujourd’hui, l’accord n’est certainement pas équitable. Mais notre volonté est précisément de quitter cette position de quémandeur à l’avenir. Il y aura d’autres projets pétroliers au Tchad après Doba. Au moment où ils seront conclus, notre pays sera plus riche et le pipe-line sera déjà construit. Cependant j’estime que nous avons négocié au mieux compte tenu du rapport des forces actuel qui est très inégal. N’oubliez pas que le Tchad n’a amené que 53 millions sur les 3,7 milliards de dollars que coûtera le projet dans son ensemble. Le pétrole est à nous, certes, mais qu’en faire si nous n’avons pas la technologie pour l’extraire ?
Afrik : Au sujet du consortium, le retrait d’Elf n’est pas passé inaperçu. Comment l’interprétez-vous ?
M. Al-Habo : Shell aussi est sorti du consortium. S’agissant d’Elf, je dirais qu’ils n’ont pas l’habitude d’intervenir avec d’autres compagnies. Dans le consortium tchadien, ils sont arrivés les derniers et ont pris la plus petite part, 20 %. Je pense qu’ils étaient mal à l’aise parce qu’ils ne pouvaient pas faire la pluie et le beau temps comme au Gabon, en Angola ou ailleurs en Afrique où ils travaillent seuls.
D’autre part, Elf a acquis une grande expertise dans le domaine des forages off-shore. Pourquoi construire un pipe-line de plus de 1 000 kilomètres et prendre le risque d’une situation potentiellement instable, quand on est capable de trouver du pétrole en mer pour beaucoup moins cher ?
Enfin, je dirais qu’Elf, avec tout ce qu’on entend dernièrement – je pense notamment à l’interview d’André Tarallo dans le journal Le Monde, qui explique comment la compagnie a corrompu les pays du Sud -, fait attention à son image. Or jamais aucun projet n’a suscité tant de controverses que le nôtre.
Afrik : Cette controverse, ce débat, vous les acceptez ?
M. Al-Habo : Bien sûr. Je voudrais quand même que les ONG américaines qui ont défilé devant la Banque mondiale viennent vivre dans un de nos villages, sans eau et sans rien. Cependant, ils n’ont pas torts, bien sûr, quand ils disent que la Banque mondiale et le FMI sont devenus les gendarmes des pays pauvres.
Afrik : Cette controverse touche aussi très largement votre gouvernement. Ngarléjy Yorongar, l’un des députés de Doba, nous a dit qu’il doutait très fortement que l’argent du pétrole irait aux Tchadiens.
M. Al-Habo : M. Yorongar a le droit de dire ce qu’il veut et de faire tout le bruit qu’il veut. Ce que je sais, c’est qu’il est le seul, parmi 125 députés, à ne pas avoir voté la loi dite de gestion des ressources pétrolières. Pas un pays au monde, hormis le Tchad, n’a jamais pris un tel engagement. Je vous en rappelle les termes : 10 % de l’argent revenant au Tchad sera bloqué sur un compte pour les générations futures. Sur les 90 % restants, 85 % iront aux projets prioritaires de développement, 5 % à la région elle-même et 15 % seront affectés au fonctionnement de l’Etat.
Afrik : Les opposants pensent aussi que le comité de contrôle et de surveillance sera contrôlé par le président Déby.
M. Al-Habo : C’est tout simplement faux. Nous avons révisé la loi il y a deux mois pour que les représentants de la société civile soit quatre, et non pas deux faces aux quatre représentants issus des corps de l’Etat. Ces derniers ne seront pas nommés par le président mais élus parmi leurs pairs : un magistrat, un député, un sénateur et le directeur pour le Tchad de la Banque des Etats d’Afrique centrale. Côté société civile, il y aura deux représentants d’ONG, un membre d’une association de défense des droits de l’Homme et un syndicaliste.
Afrik : Ne croyez-vous pas que la méfiance vient, en dépit de ce dispositif, des accusations portées contre la probité du président Déby ?
M. Al-Habo : Justement, le problème n’est pas là. Dans cinq ans, quand le pétrole commencera à couler, il y aura un autre président au pouvoir à N’Djamena. Notre constitution prévoit un maximum de deux mandats présidentiels de cinq ans. M Déby étant président depuis 1996, faites-le compte vous-même.
Afrik : A cet égard, les opposants disent que le consortium a consenti des avances au gouvernement tchadien.
M. Al-Habo : Qu’ils le prouvent.
Afrik : Concernant l’impact environnemental du projet, il semble qu’aucune étude n’ait été menée au sujet des pipe-lines annexes qui amèneront le pétrole depuis les trois cent puits jusqu’aux trois terminaux du grand oléoduc, à travers des zones densément peuplées ?
M. Al-Habo : Parlons franchement. Quand, en France, on construit une autoroute, est-ce qu’on n’abat pas des arbres ? Est-ce qu’on n’exproprie pas ? Quant au prétendu danger pour la santé, un scientifique m’a affirmé que l’oléoduc pourrait traverser la ville de New-York sans la polluer.