Que de chemin parcouru depuis Anoumanbo, quartier populaire de la ville d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, pour les quatre gars de Magic System ! A’Salfo, Manadja, Goudé et Tino, les ambassadeurs incontestés du zouglou, ont célébré, en septembre dernier, à travers deux mega-concerts leurs dix ans de carrière. Une célébration qui coïncide avec la sortie de leur dernier opus Ki dit mié. Retour sur une carrière magique avec A’Salfo et Manadja.
Magic System a conquis la Côte d’Ivoire, puis l’Hexagone avec son deuxième album sorti respectivement en 1999 et 2001. Leur véritable première œuvre musicale, passée inaperçue même dans leur pays, s’intitulait M’mo. Kampala, l’un des morceaux de cette cassette produite en 1997 se retrouve d’ailleurs sur Ki dit mié. Comme pour boucler la boucle. Car le quatuor magique – Traoré Salif, Fanny Adama, Boue-Bi Etienne et Sodoua Narcisse à la ville – ne veut pas s’endormir sur ses lauriers. Trentenaires, ils se sont installés en Europe, notamment en France, pour promouvoir leur carrière internationale. Claudy Siar a été l’un des premiers à croire en eux en diffusant Premier gaou sur les ondes de Radio France International.
Cette année, un bonheur n’arrivant jamais seul, A’Salfo a convolé en justes noces avec sa complice de toujours, Moya, et Magic System a célébré les 8 et 15 septembre derniers « 10 ans de magie » à Bouaké, pour fêter la Côte d’Ivoire réunifiée, et à Abidjan. Tape dos, la version ivoirienne de Ki dit mié est disponible depuis le 3 septembre dernier. Artistes engagés, parce que le zouglou est avant tout une musique de revendication, Magic System l’est aussi sur le terrain. Le groupe est ambassadeur pour le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés depuis 2004.
Afrik.com : Dix ans de magie parce que l’aventure démarre véritablement pour vous en 1997, mais le succès n’arrive véritablement qu’avec Premier Gaou. Vous étiez une vingtaine au début dans le groupe qui a donné naissance à Magic System. Comment ce conte de fée a commencé ?
Manadja : Au début, nous étions de jeunes gens qui se retrouvaient dans le quartier pour faire de la musique, imiter des pointures de la musique ivoirienne comme Alpha Blondy, une spécialité d’A’Salfo. Puis, c’est devenu plus sérieux, une vraie passion. Nous avons commencé à faire de l’animation avec des tams tams et des percussions. Les gens faisaient appel à nos services pour les veillées funèbres, les baptêmes, les anniversaires… Quand nous jouions, il y avait trois personnes sur les percus, quinze pour les chœurs et deux chanteurs. On faisait ça de minuit à 6h du matin pour la modique somme de 15 000 F CFA (un peu plus de 20 euros, ndlr) le plus souvent. Pas plus. Les quatre personnes qui composent Magic System sont issues d’un vote. En 1996, chaque personne du groupe a dû donner son avis sur la question. Ce sont les mêmes noms qui revenaient chaque fois. Il y avait d’abord A’Salfo parce qu’il était le chanteur principal. Puis, le nom de Tino s’est imposé parce qu’il l’accompagnait toujours. Goudé et moi, on nous a choisis. J’étais le percussionniste principal et en même temps chanteur et chorégraphe. Chacun a mérité sa place au sein du groupe. Rien n’a été imposé.
Quelles ont été les réactions des uns et des autres face à votre succès ?
Manadja : Nous sommes en Afrique… Certains sont fair-play, d’autres le prennent plus mal. Quand on évolue, on a plus d’ennemis que d’amis. Chacun fait son petit bonhomme de chemin. Trois autres membres du groupe ont formé également un groupe de zouglou, les Marabouts.
Il y a toujours deux versions de vos albums. La version française étant toujours la plus édulcorée. Ca ne vous gêne pas, vous qui avez exporté le zouglou hors des frontières ivoiriennes, de faire des compromis, de diluer un peu votre identité ?
Manadja : Ce n’est pas facile pour une radio comme NRJ qui est le partenaire de notre dernier album de jouer Tape dos ou Petit pompier. Les Européens ne comprennent pas nos paroles… Ki dit mié ou C’est chaud, ça brûle (les versions françaises respectives des deux autres titres, ndlr), ça passe mieux. C’est petit à petit qu’on essaie de s’imposer. Tout le monde ne comprend pas le nouchi (argot ivoirien, ndlr). On nous demande encore quel genre de musique nous faisons et nous répondons inlassablement : c’est du ZOUGLOU. Ils pensent souvent que c’est du coupé décalé et nous leur expliquons que le coupé décalé est un dérivé du zouglou.
A’Salfo : Notre identité est préservée dans la mesure où c’est notre base musicale. Les paroles ne changent pas, seuls les arrangements diffèrent. En Europe par rapport à la Côte d’Ivoire, ils écoutent moins les paroles, la musique est par conséquent privilégiée sur la version française. C’est une façon aussi de se protéger contre lepiratage qui est une véritable plaie en Afrique. La Côte d’Ivoire ne représente que 2% de nos ventes.
Pourquoi ?
Manadja : Le principal responsable de cette situation est la piraterie. La Côte d’Ivoire, 14 millions d’habitants, voire plus, mais aucun artiste ivoirien n’a vendu le million d’albums. Magic System a la chance de se vendre à l’extérieur. Ce n’est vraiment pas facile pour les musiciens ivoiriens et des maisons de productions ont fermé à cause des pirates. Ce que nous avons gagné en un an en France, nous n’avons pas encore eu l’équivalent en dix ans de carrière en Côte d’Ivoire, en Afrique. Dans certains pays, on retrouve des jaquettes avec des photos que nous n’avons jamais prises.
Le clip de « Ki dit mié »
Autre problème en Europe : le zouglou est perçu comme une musique d’ambiance alors que c’est une musique engagée…
A’Salfo : Le combat que nous essayons de mener va dans le sens d’un changement dans la perception que l’on a du zouglou en Europe. Cependant, les gens ont bien compris qu’au-delà de la fête, Magic System passe des messages. Ils prêtent de plus en plus attention à nos paroles.
Quelles sont vos ambitions aujourd’hui ?
A’Salfo : Notre ambition est de toucher tout ce public que nous n’avons pas encore touché, il y a les Etats-Unis par exemple…
Manadja : Imposer le zouglou à l’international et qu’il y ait du suivi. Magic System, c’est bien beau…C’est comme un attaquant qui se retrouve seul en face à six joueurs dans le camp adverse. Il ne peut pas s’en sortir tout seul même s’il est très fort. Au fur et à mesure, on balaie la route pour que d’autres puissent profiter de ce qu’on a fait.
Vous lancez dans la production, par exemple, pour pérenniser une musique qui perd un peu de terrain par rapport au coupé décalé, ça vous tente ou c’est déjà fait ?
Manadja : Le zouglou revient. Les zouglouphiles se sont un peu reposés pour beaucoup composer. Composer est la partie la plus importante dans le zouglou parce que c’est une musique de revendication sociale. Je n’insulte pas le coupé décalé, mais dans le fond, ça n’a pas de sens. Ils ne disent rien. Ils crient, ils sautent…
Malheureusement, les gens dansent le coupé décalé sur le zouglou. Ses pas de danse ont été même oubliés…
Manadja : Même nous sur scène… Je le disais tout à l’heure, il faut du suivi pour pouvoir défendre efficacement cette musique. Nous produisons des artistes comme ce fut le cas pour Super Choc. Néanmoins, pour nous, la discrétion est une ligne de conduite. Nous n’aimons pas nous mettre en avant. D’autant plus que ce n’est pas bon pour l’avenir du groupe produit sur lequel peut peser l’ombre de Magic System.
C’est un peu la mode chez les artistes africains, ivoiriens en particulier, de chanter Dieu. Vous semblez ne pas y échapper. Une chanson catholique pour un groupe que l’on pensait 100% musulman. Vous pratiquez l’œcuménisme…
Manadja : Notre premier album, M’mo comportait déjà un titre où nous louions le Seigneur. Il était normal que nous en fassions de même sur l’œuvre qui coïncide avec nos dix ans de carrière. A l’intérieur du groupe, il y deux catholiques (Tino et Goudé, ndlr) et deux musulmans.
Le succès de Premier Gaou est phénoménal. Avec le recul, comment l’expliquez-vous ?
Manadja : Je m’étonne encore d’être sur des plateaux avec des stars comme Céline Dion, Usher…Quitter des maisons en bois pour se retrouver sur de telles scènes est une motivation supplémentaire pour travailler encore plus.
Dans Petit pompier, vous dénonciez déjà le mode de vie des boucantiers, vous revenez dans Tape dos sur la question avec Abou. C’est important pour vous de leur donner des conseils ?
Manadja : C’est le farot [[Porter de vêtements de marque et étaler sa richesse à tout va en distribuant frénétiquement des billets de banque sur son passage. Cette manière de faire est celle de nombreux artistes du coupé décalé et de leurs disciples. Ils ont été surnommés les boucantiers.]]. Ils vont en boîte, s’amusent avec le champagne et dilapident en une un nuit des sommes folles pour se retrouver quelques jours plus tard sans le sous. Cette manière de gaspiller de l’argent, alors qu’il y a des familles qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts, est inacceptable. Nous faisons cela aussi pour nos enfants pour qu’ils ne suivent pas cet exemple. Certains n’hésitent pas à voler leurs parents pour suivre la mode. Nous connaissons la valeur de l’argent et nous savons qu’on le gagne à la sueur de son front. Nos origines sociales nous obligent à dénoncer ce type de comportement. Je préfère donner de l’argent à ceux qui en ont vraiment besoin que de le dilapider pendant une soirée en boîte de nuit. Je suis issu d’une famille pauvre, orphelin de père et de mère, je sais ce que c’est la pauvreté. Il n’y a pas un jour où je ne regrette pas que mes parents ne soient pas là pour jouir de mon succès.
Rêve d’enfant est un autre titre de votre dernier album. C’est un peu l’histoire des chanteurs de Magic System…
A’Salfo : Ce titre est autobiographique. Quand je compose, je m’inspire de certaines situations que j’ai vécues parce que je crois que d’autres les ont vécues. J’ai eu la chance d’être éduqué dans un ghetto. Anoumanbo, c’est l’école de la ville. Je suis parti de rien et voilà ce qui m’arrive aujourd’hui. Ca peut (re)donner, ça donne de l’espoir à tous ceux qui l’ont perdu.
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