Magic System : « Cessa ki è la vérité »


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« Cessa ki è la vérité », ont-ils, dorénavant, coutume de dire pour ponctuer chacun de leurs morceaux. Un label de qualité qui a sans doute permis aux Ivoiriens du groupe Magic System de gravir les différents échelons du succès pour s’installer au top. Salif « Asalfo » Traoré, Narcisse « Goudé » Sdoua, Etienne « Tino » Boué Bi et Adama « Manadja » Fa font « bouger-bouger » l’Afrique et l’Europe au rythme du zouglou. Entretien vérité avec Asalfo, le leader du groupe.

Magic System, ce n’est pas seulement le planétaire « Premier Gaou ». Depuis quelques mois, il y a « Pas si différents », et « Petit pompier », tous deux tirés du nouvel opus Cessa ki è la vérité. En trois ans, le groupe ivoirien a réussi à conquérir le cœur des mélomanes, après avoir changé la donne musicale sur le Continent, en imposant leur style. Originaires du quartier populaire de Marcory, les quatre amis d’enfance ont fait du « wôyô », l’ambiance facile, leur marque de fabrique. Acteur du zouglou international, le groupe Magic System est devenu l’ambassadeur de la culture ivoirienne. Une position qui leur vaut de l’admiration, mais qui est également cause de chahut. Asalfo rétablit la vérité pour Afrik et livre, entre autres, son sentiment sur la situation en Côte d’Ivoire et l’autre grand mouvement musical ivoirien en vogue : le Coupé Décalé.

Afrik.com : Depuis quand existe le groupe Magic System ?

Asalfo :
Le groupe Magic System existe véritablement depuis 1994, mais tous les membres se connaissent depuis le jeune âge. Nous avons tous grandi ensemble. Dans le groupe, on retrouve Tino, Manadga, Goudé, et moi-même Asalfo. A l’origine, nous étions une trentaine de personnes. Les membres actuels sont les plus téméraires. Les autres ont pris des voies divergentes, soit dans les études, soit dans les affaires.

Afrik.com : Comment vivez-vous le fait d’avoir autant de succès ?

Asalfo :
Nous essayons de le vivre à notre manière. En vérité, ce succès s’est imposé à nous. Il serait prétentieux de notre part de dire que nous nous attendions à tant de reconnaissance. Nous sommes les plus surpris. Au fil du temps nous nous sommes adaptés, sans pour autant entrer dans le système de la « starmania ».

Afrik.com : Comment justifiez-vous le plébiscite dont vous bénéficiez sur la scène musicale française ?

Asalfo :
Il n’y a pas vraiment de secret, même si l’on a coutume de dire que seul le travail paie. Je pense que nous avons eu un peu plus de chance que les autres, et que nous avons su saisir les différentes opportunités qui se sont offertes à nous. Nous n’avons jamais baissé les bras. Notre souhait est de voir d’autres groupes de musique africaine nous emboîter le pas.

Afrik.com : L’argent et le succès aidant, n’avez-vous pas peur de voir votre groupe se disloquer ?

Asalfo :
Nous prions souvent. Il est vrai que de temps à autres il y a des altercations, mais à aucun moment l’idée d’une séparation ne nous est venue à l’esprit. Cela fait maintenant six ans que nous connaissons le succès, et nous nous sommes habitués à lui. En tout cas, à ce niveau il n’y a aucun problème entre les membres du groupe Magic System.

Afrik.com : Que répondez-vous à ceux qui reprochent à Magic System d’avoir pris la grosse tête ?

Asalfo :
Ces personnes ne doivent pas avoir l’habitude de nous fréquenter. Sur dix personnes, seuls deux ou trois penseront ainsi. De plus, tout le monde ne peut pas dire des choses positives à propos d’un groupe. Sinon, tous ceux qui connaissent véritablement Magic System, sont en mesure de mettre en avant l’humilité qui nous caractérise. Nous sommes toujours les mêmes, et je pense que nous ne sommes pas prêt de changer, succès ou pas.

Afrik.com : Avez-vous l’impression d’être les seuls en première ligne ?

Asalfo :
Un peu et nous ne comprenons pas vraiment cette situation. Cela dit, c’est sans doute le système qui le veut ainsi. Les portes sont tellement fermées que tout le monde ne peut pas se targuer d’avoir accès à ce milieu restreint. Nous avons vraiment eu de la chance. Nous espérons que notre succès profitera au plus grand nombre, et qu’il servira de lucarne à la musique africaine.

Afrik.com : Quels sont vos rapports avec les autres artistes ivoiriens ?

Asalfo :
Nos rapports sont bons. Ces rapports sont fraternels. La plupart sont des amis, et quand ils ont besoin de conseils ou de renseignements, nous essayons d’être à leur disposition, dans la mesure où nous avons la chance de connaître quelques rouages du système. Nous sommes également dans la production, afin de pouvoir venir en aide à ceux qui n’arrivent pas à se faire entendre.

Afrik.com : Vous avez fait de nombreux featuring dans votre carrière. N’avez-vous pas peur à la longue d’être catalogué comme étant un groupe de featuring ?

Asalfo :
C’est toujours un plaisir d’être sollicités. Il est vrai, cependant, qu’il nous faut craindre d’être vu comme étant un groupe de featuring. Au début, nous voulions vivre des expériences, en essayant de marier notre musique avec des rythmiques venant d’ailleurs. Aujourd’hui, je pense que ça paie. Si notre album s’intitule C’est ça qui est la vérité, c’est justement pour montrer que le groupe Magic System ne sait pas faire que des featuring. Nous savons faire de la variété, si le besoin s’en fait sentir. Mais nous voulons que tout le monde sache que nous sommes un groupe multidimensionnel, qui, avec le peu de connaissance qu’il a, peut transposer sa musique à d’autres genres, tout en gardant sa base : le zouglou.

Afrik.com : Quels sont vos liens avez le Malien Mokobé du groupe 113 ?

Asalfo :
Mokobé est un frère. De par la situation géographique de nos deux pays (Côte d’Ivoire-Mali), mais aussi de part nos styles musicaux, nous avons tissé une solide amitié. Il appartient à un genre musical (le rap, ndlr) qui a les mêmes objectifs que le zouglou, c’est-à-dire décrire la vie des gens du ghetto. Nous avons donc quelque chose de commun. Lui et les autres membres du 113 viennent du ghetto, tout comme nous, donc nous nous sommes associés pour lancer un message.

Afrik.com : Quel regard portez-vous sur l’évolution de la Côte d’Ivoire ?

Asalfo :
Il ne faut pas se voiler la face, depuis ces trois dernières années, les hommes politiques n’ont pas vraiment arrangé la situation du pays. Aujourd’hui, Dieu merci, les choses sont en train de rentrer dans l’ordre. Il faut espérer que la Côte d’Ivoire se ressaisisse très rapidement. La situation du pays nous désole, en temps que les figures emblématiques de la Côte d’Ivoire, nous sommes les premiers concernés par la situation actuelle, mais également les premiers messagers. Il est de notre devoir d’œuvrer positivement en faveur de la Côte d’Ivoire.

Afrik.com : Que pensez-vous du mouvement « Coupé Décalé » ?

Asalfo :
En tant que musicien zouglou, je pense que le phénomène Coupé Décalé est arrivé en Côte d’Ivoire comme le zouglou en 1991. Les gens n’avaient pas misé sur le zouglou, pourtant, aujourd’hui, c’est l’identité de la culture ivoirienne à l’extérieur. Ceci dit, il faudrait que les principaux acteurs du Coupé Décalé prennent conscience qu’il faut travailler, trouver des solutions, trouver un moyen de faire en sorte de pérenniser leur mouvement. Il ne faudrait pas que ce soit un phénomène de mode. Jusqu’à présent, les textes du Coupé Décalé ne sont pas sensés. Il faudrait qu’ils y mettent plus de sérieux en soignant leurs textes et en lancent des messages positifs.

Afrik.com : On reproche aux Coupeurs Décaleurs de n’être que des flambeurs. Partagez-vous cet avis ?

Asalfo :
Justement, j’ai décrié ce comportement dans l’une des chansons (« Petit pompier », ndlr) du dernier album. Cependant, dans tous les pays en guerre, on a vu émerger de nombreux mouvements similaires. Ce fut, par exemple, le cas au Congo durant la guerre. Selon moi, de tels comportements ne sont pas adaptés à la société d’aujourd’hui, société dans laquelle les gens sont à la recherche de choses plus symboliques. Si vraiment ils oeuvrent pour l’identité de la Côte d’Ivoire, je pense qu’ils gagneraient à exclure ce comportement, car beaucoup de jeunes les imitent. Il suffit de voir à Abidjan comment les choses évoluent. Certains ont à peine de quoi vivre, mais ne pensent qu’à aller gaspiller leur argent en boîte de nuit. D’autres sont prêts à faire n’importe quoi pour avoir de l’argent, quitte à devenir des agresseurs. Je pense sincèrement que les acteurs du Coupé Décalé gagneraient à assainir leur image.

Afrik.com : Que nous réserve Magic System pour les années à venir ?

Asalfo :
Nous allons travailler davantage, afin de gravir de nouveaux échelons, car le plus difficile dans ce métier est de rester au sommet. Et comme on dit : « Seul le travail, bien, fait paie ». Nous avons toute une structure qui nous suit et qui nous fait confiance, ce qu’on n’avait pas auparavant, donc il est hors de question pour nous de décevoir. Il y a tout un peuple qui nous regarde, qui nous encourage, qui a fait de nous les ambassadeurs de la musique d’un pays, voire d’un continent. Pour toutes ces personnes, nous nous devons de donner le meilleur en allant sans cesse de l’avant et en répondant à toutes les attentes, dans la mesure du possible.

 Magic System, Cessa ki è la vérité, Virgin, 2005

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