
L’explosion urbaine qui attend les pays du Maghreb d’ici 2050 représente un tournant historique pour la région. Tandis que deux habitants sur trois vivront en ville, l’Algérie, grâce à une politique d’aménagement territorial anticipative, semble mieux armée que ses voisins pour faire face à ce raz-de-marée démographique. Analyse du rapport e l’OCDE Dynamiques de l’urbanisation africaine 2025 qui offre la vision la plus complète à ce jour des tendances d’urbanisation sur le continent.
À l’horizon 2050, le Maghreb entamera un basculement historique : deux habitants sur trois vivront en ville, contre un peu plus de la moitié aujourd’hui. De Tanger à Nouakchott, en passant par Alger et Tripoli, c’est un véritable « raz-de-marée urbain » qui se profile. Si les défis restent immenses, certains pays comme l’Algérie ont déjà pris une longueur d’avance dans l’anticipation de cette transformation démographique majeure.
Algérie : le modèle d’une urbanisation anticipée
À l’avant-garde de cette préparation aux défis urbains, l’Algérie a développé depuis plusieurs années une stratégie multidimensionnelle. Alors que 45,2 millions d’Algériens vivront en ville en 2050 (78% de la population contre 70% en 2020), le pays a déjà initié une refonte majeure de son approche territoriale.
Contrairement à ses voisins, l’Algérie a rompu avec la concentration exclusive sur le littoral en développant activement son arrière-pays saharien. Cette politique volontariste s’appuie sur un maillage infrastructurel dense : autoroutes, lignes ferroviaires et pôles économiques décentralisés forment déjà la colonne vertébrale d’un développement territorial équilibré.
« Il ne suffit plus de prolonger les lignes de tramway à Alger, il faut inventer une urbanisation décentralisée, pour éviter la congestion extrême du centre, » préconise Karim Benyoucef, directeur de planification urbaine à la wilaya d’Alger. Cette vision proactive, déjà en cours de déploiement, distingue l’approche algérienne des autres pays du Maghreb.
Le développement de centres urbains à Ouargla et Hassi Messaoud illustre cette vision proactive. Ces nouvelles « villes-puits » ne sont plus de simples camps de travailleurs, mais de véritables écosystèmes urbains intégrés avec universités, hôpitaux et zones d’activités diversifiées.
Maroc : la métropole en plein essor
Le Royaume chérifien fait face à une mutation encore plus rapide. Avec un taux d’urbanisation qui bondit de 68% en 2020 à 81% en 2050, le Maroc comptera 35,2 millions de citadins, contre 25,2 millions aujourd’hui.
L’agglomération de Casablanca façonne déjà une « super-métropole » reliant El Jadida à Fès : elle absorbe 34% de la croissance de la population urbaine attendue d’ici 2050. Face à cette pression, le gouvernement a lancé des programmes de rénovation des bidonvilles et construit de nouveaux pôles urbains à l’intérieur du pays, comme Zenata près de Tanger.
« Nous devons passer d’une urbanisation subie à une urbanisation choisie, capable de garantir logements, emplois et espaces verts, » insiste Naima El Mansouri, urbaniste à l’École Mohammédia d’ingénieurs. Un défi pour le Royaume Chérifien ou chômage des jeunes et pauvreté sont endémiques.
Tunisie : consolidation et équilibres
En Tunisie, la part des urbains grimpera de 72% à 77%, portant la population citadine de 8,4 millions à près de 9,8 millions. Les agglomérations, au nombre de 96 en 2020, passeront à 100.
La croissance reste cependant plus mesurée que chez ses voisins, reflet d’une politique urbaine tournée vers la réhabilitation des médinas et la création de « villes nouvelles » autour de Tunis – Ariana et Ennasr – pour absorber la pression foncière. Le défi est de maintenir l’équilibre entre modernisation et préservation du patrimoine.
« La bonne taille d’une ville, c’est celle qui mêle densité et accessibilité – loin de toute mégalopole tentaculaire, » explique Amel Trabelsi, architecte-urbaniste à Tunis.
Libye : de la reconstruction à la reconquête urbaine
En Libye, la révolution urbaine est moins une question de volume que de résilience : après une décennie de conflit, le pays comptera 6,6 millions d’urbains en 2050 (82% de la population), contre 5,5 millions en 2020.
Tripoli et Benghazi doivent réaménager leurs infrastructures routières et hydrauliques, tandis que Misrata et Sebha s’affirment comme de nouveaux centres moteurs. La planification post-conflit s’appuiera sur la participation citoyenne, souvent oubliée jusqu’ici.
« La reconquête de nos villes, c’est d’abord reconstruire la confiance entre collectivités et habitants, » insiste Faouzi Al-Qaddafi, urbaniste à Benghazi.
Mauritanie : l’urbanisation nomade
Enfin, la Mauritanie vit sa propre mutation : de 43% d’urbains en 2020, son taux passera à 49% en 2050, avec 4 millions de citadins (contre 2 millions aujourd’hui). Le nombre d’agglomérations augmentera de 26 à 39.
Nouakchott, jadis village de pêcheurs, absorbe à elle seule la majorité de la croissance, mais Nouadhibou et Kaédi émergent comme de nouveaux foyers, grâce au développement du port et des mines.
« Notre urbanisation est semi-nomade : les Mauritaniens migrent entre littoral et intérieur selon les saisons, » observe Mariam Ould Saleck, chercheuse en géographie urbaine.
Enjeux partagés pour demain
L’expérience algérienne offre plusieurs enseignements précieux pour ses voisins. Sa politique de décentralisation administrative, couplée à des investissements massifs dans les infrastructures de désenclavement, permet aujourd’hui une distribution plus équilibrée de la population sur le territoire national.
Malgré les avancées algériennes, trois défis majeurs se posent à l’ensemble des pays du Maghreb relève le rapport de l’OCDE sur l’urbanisation à horizon 2050 :
- Foncier et logement : satisfaire une demande croissante sans laisser proliférer l’informalité.
- Gouvernance multi-niveaux : conjuguer vision nationale et pouvoirs locaux.
- Financement innovant : mobiliser ressources publiques, partenariats privés et plus-values foncières.
Les prochaines année seront décisives : élaboration de schémas directeurs, création d’agences métropolitaines et réformes législatives s’imposent pour faire de l’explosion urbaine une chance, et non un fardeau. L’Algérie, avec son avance stratégique, pourrait bien devenir le laboratoire d’un nouveau modèle d’urbanisation pour toute la région.