Mafé, gombos, petites mamas et cuisines collectives


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Visite des cuisines d’un foyer de travailleurs immigrés africains, trustés par les Sénégalais et les Maliens, dans une banlieue parisienne. Cuisine ? Plutôt un restaurant communautaire. Expression d’un enracinement fort dans la culture d’origine. Le système est officieux. Mais connu et admis par tous.

Un foyer de travailleurs émigrés dans une banlieue parisienne. Une porte verte introduit dans un vestibule où se déroule un ballet d’entrées et de sorties, exécuté par les locataires. Devant, une autre porte donne sur une cour déserte. Quelques escaliers plus loin, on pénètre dans un bâtiment quelconque : murs blancs rehaussés de volets couleur chlorophylle.

Au détour d’un dédale d’escaliers souterrains, après avoir suivi un couloir où les odeurs du chep -plat sénégalais à base de riz et de légumes- parviennent déjà aux narines. Le fumet, ainsi que les quelques personnes dans un local qui fait office de salle à manger, annoncent l’imminence de la cuisine. Quelques gouttes d’eau accueillent le visiteur, produits d’une atmosphère surchauffée. Deux femmes, vêtues de pagnes aux couleurs chamarrées surveillent la cuisson dans des casseroles géantes, des sauces mafé, gombo, yassa ou encore des poulets et des frites qui grésillent dans l’huile.

Plantées au-dessus des larges feux de cette cuisinière géante, qui monopolise l’espace exigu de la cuisine, elles veillent à ce que les épaisses mixtures, à base d’arachide (mafè) ou de gombos, surmontées d’une généreuse couche d’huile ne débordent pas. Ca et là, on aperçoit des marmites contenant le riz : blanc virginal, beige ou encore rouge. Il est incontournable.

Ces surdouées des grands fourneaux

Les maîtresses des lieux, sénégalaises ou maliennes, conversent allègrement en bambara ou encore en français, au son des trémolos d’une chanteuse mandingue.  » On commence à préparer vers 8 heures pour qu’à 11 heures les gens puissent manger « , explique une cuisinière, pressée, dont le corsage glisse sur l’épaule gauche. Le prix du repas est inférieur à 20 FF. Il servira à couvrir les frais de fonctionnement de la cuisine. Dans cet univers hautement féminin, un homme débarque, qui traîne derrière lui un genre de caddie au contenu indéterminable. On aperçoit également un commis, en chemise bleue, au fond de la cuisine, penché sur un récipient dont on ne distingue rien.

A quelques pas sont attablés les plus rapides devant un plat débordant de riz. C’est qu’elles sont généreuses, les cuisinières, quand elles servent leurs clients. Clients en majorité résidents du foyer.  » Je change de plat chaque jour et certains comme le yassa, ne sont pas disponibles toute la semaine. Je mange ici avant d’aller travailler. Vraiment, elles préparent bien ! « , indique ce convive, trench-coat bleu-marine, et large sourire à l’appui. L’affamé était arrivé à 11 heures tapantes.

La renommée de ce restaurant improvisé s’étend au-delà des murs du foyer. Les ouvriers de tout type, dans leur tenue de travail bleue ou verte, les habitants du quartier d’origine africaine ou parfois les plus démunis viennent là aussi se régaler. Les cuisinières ont été désignées par les résidents du foyer qui compte environ 300 personnes, officiellement. Le double, en réalité. Une population à majorité sénégalaise.

La préparation terminée, les cuisinières assurent le service entre 11 heures et 15 heures, voire jusqu’à 17 heures. L’après-midi, elles se contenteront de faire une salade pour leur clientèle qui s’alimente légèrement le soir. Leur office prendra fin aux environs de 18-19 heures et elles rentreront chez elles. Leur statut est quelque peu flou : on oscille entre bénévolat et travail au noir.

Un profond attachement à sa culture

Les cuisines collectives sont le reflet du microcosme ambiant qui se crée au sein d’un foyer de travailleurs émigrants, surtout originaires d’Afrique de l’Ouest. Ces derniers s’attellent à reconstituer leur environnement culturel initial. Une société régie par le respect des aînés, les sages aux boubous traînants, et où la solidarité est un leitmotiv. Les règles sont admises et acceptées par tous. Ainsi les cuisinières, femmes modernes, sont de simples exécutantes au sein du foyer. Elles ne font pas les provisions. Tout leur est livré. Elles n’ont que la responsabilité de réaliser les mets.

De facto, elles se soumettent aux modalités de fonctionnement de leur lieu de travail. On ne décide de rien « , assure l’une d’entre elles. Leur référent : les responsables de la communauté. Dans le foyer, on s’inspire des coutumes sarakolé, toucouleur ou encore bambara. L’établissement compte même des chefs de village.  » Quelqu’un s’est plaint de vous, le problème est-il réglé ? « , demande le responsable du foyer à un résident. Ce à quoi ce dernier répond :  » C’est bon, on en a discuté avec le chef du village. « . L’affaire est réglée  » rek  » !

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