Madiambal Diagne a recouvré la liberté provisoirement lundi après-midi. Le directeur de publication du journal sénégalais Le Quotidien était incarcéré depuis 18 jours à la prison centrale de Dakar, notamment pour « diffusion de correspondances et de rapports secrets » et « diffusion de nouvelles tendant à causer des troubles politiques graves ». Le journaliste revient sur les facteurs qui ont mené à sa libération.
La rue a gagné. Madiambal Diagne a été relâché, lundi après-midi, de la prison centrale de Dakar, où il était détenu depuis 18 jours pour « diffusion de correspondances et de rapports secrets », « diffusion de fausses nouvelles » et « diffusion de nouvelles tendant à causer des troubles politiques graves », suite à la publication de deux articles. Après une audition de leur client vendredi dernier, les avocats du directeur de publication du journal Le Quotidien ont déposé une demande de libération provisoire auprès du Procureur de la République. Le groupe de défenseurs a notamment basé sa requête sur le fait que ce ne sont pas les deux articles incriminés qui créent un trouble à l’ordre publique, mais bien la mise sous mandat de dépôt de leur client. Dans un contexte de forte mobilisation nationale et internationale, le Procureur a finalement accédé à la requête des avocats du journaliste. Madiambal Diagne revient sur les facteurs qui ont mené à sa libération.
Afrik : Quel sentiment prévaut au lendemain de votre libération ?
Madiambal Diagne : L’événement a été largement médiatisé dans le pays. Tous les journaux ont fait une page sur ma sortie de prison. Je crois que ma remise en liberté a mis à l’aise tout le monde et en a apaisé beaucoup. L’Etat était vraiment embêté par cette histoire. Des membres du gouvernement se sont d’ailleurs exprimés sur les ondes radio pour dire qu’ils étaient heureux que l’affaire ait eu un dénouement heureux. Les autorités ne pensaient pas que mon incarcération aurait de telles répercussions.
Afrik : L’un de vos chefs d’inculpation est la « diffusion de fausses nouvelles ». Que vous reproche-t-on à ce sujet ?
Madiambal Diagne : Lorsque l’on veut tuer son chien, on l’accuse de la rage. C’était un motif fallacieux pour que je sois placé sous mandat de dépôt. Pour mieux faire passer mon emprisonnement, c’était mieux de dire aux gens que j’ai dit des bêtises. Ce chef d’accusation était juste un moyen de « corser l’addition ». Mais, il n’a jamais été spécifié ce sur quoi j’avais diffusé de fausses nouvelles. D’ailleurs, lors de la publication des articles, les preuves apparaissaient. Le ministre de la Justice lui-même était étonné que j’ai pu être en possession de ces documents.
Afrik : Comment avez-vous réagi lorsque les autorités vous ont demandé de révéler les sources qui vous ont fourni des documents confidentiels pour la rédaction de vos articles ?
Madiambal Diagne : Lorsque les gendarmes m’ont demandé quelles étaient mes sources, j’ai refusé. Et j’ai renouvelé mon refus devant le juge d’instruction. La protection des sources est sacrée. C’est d’ailleurs ce qui figure dans la loi sénégalaise. Si j’avais répondu, j’aurais peut-être échappé à la prison, mais je ne regrette pas mon geste.
Afrik :Quels sont les facteurs qui ont conduit à votre libération ?
Madiambal Diagne : Ils sont nombreux. La mobilisation a été très forte dans la sous-région Ouest et aussi au niveau international. Au Sénégal notamment, des organisations de défense des droits de l’Homme, des syndicats de journalistes, des politiciens de l’opposition, mais aussi de la coalition au pouvoir se sont rangés à ma cause. Depuis mon arrestation, les syndicats de journalistes ont formé un collectif (le collectif des journalistes pour la libération de Madiambal Diagne et pour la liberté de la presse au Sénégal, ndlr) de soutien et deux manifestations ont eu lieu dans le pays. Vu la pression, l’Etat n’avait plus le choix et était obligé de lâcher du lest.
Afrik : Vous dites que l’Etat a dû reculer, mais il a toujours clamé que l’affaire était entre les mains de la Justice…
Madiambal Diagne : Ce dossier est clairement politique, sous couverture judiciaire. Les autorités disent que l’Etat n’interfère pas dans la sphère de la justice, mais, dans les faits, c’est lui qui oriente les dossiers dans le sens qu’il souhaite. Lorsque le Président sénégalais s’est rendu en France vendredi dernier, l’Elysée a fait paraître un communiqué où elle prônait les respect de la liberté d’expression. Abdoulaye Wade a alors déclaré à la présidence française qu’il regrettait mon arrestation, qu’il ne s’opposerait pas à une libération provisoire, mais que tout reposait sur la Justice. Il a même annoncé qu’il comptait réformer l’article 80, sur la base duquel j’ai été incarcéré. Et lundi, j’ai été libéré…
Afrik : Pensez-vous que votre arrestation est un pas de plus dans la restriction de la liberté de la presse ?
Madiambal Diagne : Depuis longtemps, le pouvoir sénégalais ne supporte pas d’avoir une presse critique. Les journalistes sont convoqués pour s’expliquer sur des articles. L’expulsion de Sophie Malibeaux (correspondante de Radio France Internationale fin octobre 2003, ndlr) a été un pas de plus dans cette restriction des libertés. Mon incarcération en a été le point d’orgue.
Afrik : Quelles étaient vos conditions de détention ?
Madiambal Diagne : Les normes en ce qui concerne le respect à la dignité humaine ne sont pas respectées. J’ai passé mes trois premières nuits dans une chambre de 70 mètres carrés avec une centaine d’autres personnes. En apprenant cela, mes avocats sont intervenus et j’ai été transféré dans une pièce d’environ 30 mètres carrés, où il y avait une douzaine de prisonniers.
Afrik : Comment s’est passée votre libération ?
Madiambal Diagne : Le greffe de la prison m’a informé, lundi vers 14 heures, que j’allais être libéré. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre dans la prison. Les autres détenus scandaient mon nom et il y avait une ambiance festive. De même qu’à l’extérieur, où une foule assez importante m’attendait avec des journalistes. Un cortège m’a ensuite emmené au journal. Il y avait une haie d’honneur avec les journalistes du Quotidien et quelques supporters. J’ai fait un discours pour remercier les acteurs de ma libération et tous ceux qui m’ont soutenu, au niveau national et international. Mes avocats ont quant à eux expliqué qu’une requête demandant l’annulation de tous les chefs d’accusation qui pèsent contre moi soient annulés.