Le groupe Madhvani est devenu l’un des holdings les plus importants d’Afrique de l’Est : il réalise plus de 100 millions de dollars de chiffre d’affaires, emploie 10 000 personnes, fait vivre indirectement quelque 100 000 individus, et possède des ramifications en Afrique du Sud, en Tanzanie, au Kenya, au Moyen-Orient, en Inde et en Amérique du Nord. Mais le groupe est célèbre aussi pour sa politique sociale généreuse, avec des logements, écoles et hôpitaux offerts aux employés, et avec sa Fondation Madhvani. Muljibhai Madhvani (1894-1958), dont le cinquantième anniversaire de la disparition a été célébré par toute la presse ougandaise en 2008, et qui a marqué à jamais l’histoire de l’Ouganda moderne, représente ainsi l’une des plus fabuleuses success-stories de l’immigration dans le monde.
Le conte commence quand le jeune homme commence à aider son frère aîné dans sa boutique à Jinja, à 100 km à l’est de Kampala sur les rives du lac Victoria, qui est aujourd’hui le deuxième centre économique du pays après la capitale. Muljibhai vend du sel, de la farine, des bicyclettes et des outils agricoles. En 1918, il achète 300 ha de terres à Kakira, à 15 km de Jinja. Le pays jouit de terres fertiles et bien arrosées, propices à l’agriculture – qui emploie toujours 80 % de la population active. Le jeune immigrant achète le terrain pour une bouchée de pain à des propriétaires blancs qui ont peur de la mouche tsé-tsé, puis il cultive la canne à sucre et, en 1930, ouvre une sucrerie, qui reste la plus importante du pays et le fleuron du groupe : aujourd’hui, le Kakira Sugar Group emploie 8 000 personnes, occupe 9 500 ha et produit 153 000 t de sucre par an, dont une bonne partie pour l’exportation. La transformation des déchets de canne à sucre permet également de produire 22 MW d’électricité par jour, dont une bonne partie alimente la sucrerie (le reste est vendu).
« Mon père était très déterminé, avec un sens aigu de l’éthique dans les affaires, et il était largement en avance sur son temps », raconte Manubhai, le deuxième des cinq fils du fondateur (l’aîné, Jayant, est décédé en 1971), aujourd’hui directeur général du groupe. Ainsi, dans la décennie qui a suivi l’indépendance de l’Ouganda (1962), alors que beaucoup des Indo-Pakistanais installés dans le pays placent leurs économies à l’étranger, la famille Madhvani continue de développer ses activités. Des années 30 aux années 70, le groupe va bénéficier d’un atout formidable : le développement économique du pays, qui crée une classe moyenne.
Et c’est cette classe moyenne, avec ses besoins en consommation, qui demeure la base économique du groupe, comme le confesse Mayur Madhvani, le benjamin, directeur général adjoint du groupe. « Les Madhvani font du profit presque à chaque fois que chaque Africain de l’Est mange, boit ou se lave », écrivait le magazine Time en 1963, car c’est d’abord sur des produits du quotidien, consommés par tous les Ougandais, que la famille Madhvani va bâtir sa fortune : sucre, thé, confiseries, savon, allumettes, bière… À la mort du père, en 1958, les fils ont diversifié les activités du groupe et entamé des joint-ventures avec des entreprises d’Afrique du Sud, de Tanzanie ou du Kenya, donnant au groupe une envergure régionale.
Savoir-faire et éthique
Mais la saga des Madhvani a connu aussi ses heures sombres. Ainsi en 1971, lorsque Idi Amin Dada ordonne l’expulsion des Indo-Pakistanais, les Madhvani quittent le pays, et leurs entreprises sont confisquées. Ce n’est qu’en 1985, six ans après la chute du dictateur, qu’ils sont autorisés à rentrer au pays. Aidé par des prêts de la Banque mondiale et autres, le clan Madhvani parvient à remettre sur pied la sucrerie et ses autres activités – et repart de plus belle. «Vous pouvez prendre l’argent de quelqu’un, mais vous ne pouvez pas prendre son savoir-faire », raconte Manubhai Madhvani.
Le développement extraordinaire de cet empire industriel s’est accompagné d’une politique sociale généreuse envers les employés. Ils bénéficient ainsi de 3 400 logements, de 9 écoles, de 3 crèches, et de soins de santé gratuits. Une fondation Madhvani est créée en 1962, qui offre des bourses d’études à quelque 150 étudiants par an. Une école d’agriculture a été ouverte à Jinja, ainsi qu’un hôpital pour enfants de 75 lits. Il se murmure aussi que, pour se préserver de toute discrimination, le groupe finance quelques partis politiques, en Ouganda et dans les pays voisins. Cette politique philanthropique, ainsi que les performances du groupe, lui ont valu de nombreuses récompenses, comme celle du « Prix de l’entreprise la plus respectée ».
Muljibhai Madhvani peut reposer en paix dans le mausolée construit par ses enfants à Kakira : la relève est assurée, avec ses petits-enfants désormais à la barre. Et le lien avec l’Inde natale n’est pas coupé : sa petite-fille Nimisha est Haut-Commissaire de l’Ouganda en Inde…
Article publié avec Africa24 Magazine : Les 500 qui font l’économie du continent