Madagascar a réussi jusqu’à aujourd’hui à se protéger de l’épidémie de VIH/SIDA qui ravage la région voisine de l’Afrique australe, mais « la Grande Ile » sait que même si elle a eu droit à un sursis, le danger est loin d’être écarté.
Alors que les pays voisins d’Afrique australe affichent des taux d’infection du VIH frôlant ou dépassant les 20 pour cent, le taux de séroprévalence à Madagascar était estimé à 0,95 pour cent de la population en 2005, selon le Comité national de lutte contre le sida (CNLS), et 0,5 pour cent selon les Nations unies.
«Il y a deux tendances pour expliquer ce taux», a analysé le docteur Minarivolona Andrianasolo, responsable de projet au CNLS. «Soit l’épidémie n’a pas eu le temps de se propager, soit ce sont les comportements [des populations] qui ont permis de l’éviter.»
Or plusieurs études ont montré que si le taux de prévalence du VIH est bas, celui de la syphilis est en revanche relativement élevé : il dépasse les quatre pour cent chez les femmes enceintes à l’échelle nationale, et jusqu’à neuf pour cent dans certaines régions, indiquant que les comportements sexuels sont loin d’être sans risque, a dit le docteur Andrianasolo.
Selon le CNLS, l’épidémie de VIH/SIDA à Madagascar est caractérisée par le fait qu’elle est « non visible mais en croissance rapide » : le taux de prévalence a stagné très en dessous de 0,1 pour cent jusqu’en 2000 avant d’augmenter rapidement, indiquant que « le pays se situerait dans une phase de transition, celle d’une épidémie concentrée vers une épidémie généralisée ».
Un pays qui s’ouvre au tourisme
Pour Kaba Setou, coordinatrice du Programme commun des Nations unies sur le sida (Onusida) pour Madagascar, les Comores, l’Ile Maurice et les Seychelles, le fait que « Madagascar [est] une île, [qu’]elle n’a pas de frontières directes avec les autres pays et [qu’]il y a peu de communication avec ses voisins [d’Afrique australe] » a certainement constitué une barrière naturelle contre le virus.
La circoncision masculine, largement pratiquée à Madagascar comme une coutume traditionnelle, a également été citée par plusieurs acteurs de la lutte contre le sida comme ayant pu contribuer à limiter la propagation du VIH.
Plusieurs études, menées récemment en Afrique du Sud, au Kenya et en Ouganda ont découvert que l’ablation du prépuce réduirait au moins de moitié le risque d’infection au VIH chez l’homme, la paroi interne du prépuce étant particulièrement poreuse aux infections sexuellement transmissibles (IST) et au VIH.
Mais au cours de la dernière décennie, Madagascar est sorti peu à peu de son isolement insulaire et s’est davantage ouvert au tourisme. Selon les données officielles, le pays, qui accueillait quelque 170 000 touristes en 2000, en a accueilli près du double en 2006, et vise le demi million fin 2007.
Or, malgré la manne que représente ce secteur, l’un des premiers pourvoyeurs de devises du pays, et en dépit de la richesse des ressources naturelles de Madagascar, la pauvreté y est toujours endémique. En 2006, le pays était classé 143ème sur 177 pays dans l’indice de développement humain des Nations unies.
L’une des conséquences de cette pauvreté est que « le phénomène de la prostitution s’est accentué au cours des dernières années. … Le pays semble être devenu une destination pour le tourisme sexuel », a noté l’Enquête de surveillance comportementale (ESC) 2004, financée par plusieurs bailleurs de fonds internationaux et menée par l’Institut national de la statistique.
Des atouts pour faire face
Face au risque de propagation de l’épidémie de VIH, Madagascar dispose de plusieurs atouts, notamment une réelle implication de la société civile et des organisations religieuses dans la lutte, ainsi qu’un engagement politique fort, a dit Kaba Setou de l’Onusida.
La lutte contre l’épidémie, dont la responsabilité incombait auparavant au ministère de la Santé, a été placée sous la tutelle directe de la présidence, à travers le Secrétariat exécutif du CNLS. En 2005, le président malgache Marc Ravalomanana, s’est publiquement soumis à un test de dépistage du VIH, entraînant dans son sillage son épouse et une partie des membres de son gouvernement, afin d’inciter les populations à en faire autant.
D’autre part, la Grande Ile dispose d’un soutien financier important de ses partenaires internationaux, notamment la Banque mondiale et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
Le Fonds mondial a accordé plusieurs subventions VIH/SIDA à Madagascar, ciblant en priorité les groupes vulnérables, ainsi que des financements pour lutter contre la tuberculose, la principale infection opportuniste liée au VIH.
Cet appui a permis de proposer gratuitement le dépistage du VIH et les traitements antirétroviraux (ARV). Une centaine de personnes en reçoit actuellement, mais les autorités ont dit avoir les moyens de prendre en charge davantage de patients. D’après les Nations unies, 39 000 personnes vivent avec le VIH à Madagascar.
Selon le CNLS, chacun des 111 districts du pays dispose aujourd’hui d’au moins un centre de dépistage volontaire du VIH, tandis que 15 centres agréés de distribution d’ARV sont répartis sur le territoire et leur personnel médical a été formé.
Ne pas relâcher les efforts
Malgré cela, la menace de généralisation de l’épidémie de VIH/SIDA qui pèse sur ce pays de près de 17 millions d’habitants reste réelle, selon les autorités.
«L’épidémie est encore concentrée au sein des groupes vulnérables mais il existe de nombreuses passerelles entre ces groupes et la population générale», a expliqué le docteur Andrianasolo. «On peut donc encore stopper la chaîne de transmission de l’épidémie, à condition de se concentrer sur la prévention du VIH parmi ces groupes vulnérables.»
Parmi les groupes vulnérables, identifiés comme étant les jeunes, les travailleurs du sexe, les MSM (hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes), les militaires et les transporteurs routiers, certains sont conscients du danger qui les guette et du rôle qu’ils peuvent jouer dans la transmission du virus, ont souligné tous les acteurs de la lutte contre le sida à Madagascar.
Les travailleurs du sexe se sont mobilisés et sont, depuis plusieurs années, impliqués dans la lutte, avec des résultats encourageants: selon l’ESC 2004, c’est parmi eux que le taux d’utilisation du préservatif est le plus élevé, certains l’adoptant même de manière systématique.
Une décennie déterminante
«La situation peut paraître rassurante mais on pense qu’elle ne l’est pas», a nuancé le docteur Andry Rasoloarimanana, coordonnateur national de l’ONG malgache Sisal ‘Sambatra izai salama’ («Heureux ceux qui sont en bonne santé»), qui propose des activités de prévention et de soutien psychologique des personnes vivant avec le VIH, et dispense plus de 700 consultations par mois dans son centre d’Antananarivo, la capitale, entre autres pour les IST et le dépistage du VIH.
Car si le taux de prévalence du VIH parmi ces professionnels du sexe se situe autour de 1,3 pour cent, a dit le CNLS, le nombre élevé d’IST prouve que la situation est encore loin d’être satisfaisante: la syphilis touche 17 pour cent des travailleurs du sexe.
D’autre part, les patients infectés au VIH qui se rendent au centre Sisal, en majorité des femmes, sont de plus en plus jeunes, a constaté le docteur Rasoloarimanana.
Selon l’ESC 2004, un tiers des jeunes de 15-24 ans ont déclaré avoir eu leur premier rapport sexuel avant l’âge de 15 ans. Sur cet échantillon, à peu près la même proportion a déclaré des partenaires multiples, et moins de 30 pour cent ont utilisé un préservatif au moins une fois.
Un jeune sur sept a dit avoir eu des symptômes d’IST au cours des 12 derniers mois, a révélé cette enquête comportementale.
Ces tendances prouvent que les efforts produits jusqu’à maintenant pour limiter la propagation de l’épidémie ne doivent donc surtout pas être relâchés, ont plaidé tous les acteurs.
«Il ne faut pas regarder ce qui s’est passé au cours des 15 dernières années», a résumé le docteur Rasoloarimanana.. «Tout l’enjeu, c’est ce qui va être fait dans les 10 années à venir. C’est cela qui déterminera si l’épidémie doit se propager à Madagascar, ou pas.»
© Photo: A.Isabelle Leclercq/IRIN