La crise politique à Madagascar connaît depuis le départ de Marc Ravalomanana un nouvel épisode, tout aussi sanglant. C’est maintenant au tour des partisans de l’ancien président d’être réprimés par les nouvelles autorités malgaches. Le pouvoir de la Haute autorité de transition (HAT), présidé par Andry Rajoelina, est remis en cause par Marc Ravalomanana en exil, mais désireux de reconquérir son pouvoir perdu. La situation à Madagascar reste aujourd’hui très confuse comme en témoigne Madeleine Ramaholimihaso, la fondatrice et coordinatrice du Sefafi (Sehatra Fanaraha-maso ny Fiainam pirenena), Observatoire de la vie publique, une association malgache indépendante. Une indépendance que revendique la militante des droits de l’Homme que d’aucuns disent proche d’Andry Rajoelina.
Andry Rajoelina, le président de la Haute autorité de transition (HAT), acculé par les milliers de partisans de Marc Ravalomanana qui sont dans la rue, recourt aux mêmes armes que celui à qui il a arraché le pouvoir. Les manifestations, qui se multiplient depuis le 17 mars où Marc Ravalomanana a transféré le pouvoir à un directoire militaire, sont réprimées avec violence. Au moins quatre morts ont été répertoriés depuis le début de cette semaine, dont deux ce vendredi, et plus d’une dizaine de blessés. Depuis le 22 avril, les manifestations sont interdites par la HAT. Un communiqué publié ce jeudi par Reporters sans frontières condamne la censure dont font l’objet les médias de l’opposition. De son côté, Marc Ravalomanana a annoncé son retour dans la Grande Ile sous la protection de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). Les autorités malgaches ont assuré, elles, ce mercredi que la SADC n’avait pas l’intention d’envoyer des militaires à Madagascar. L’ancien président compte participer à l’organisation d’élections anticipées et s’est dit prêt le 15 avril dernier à « créer un gouvernement de consensus ». Son retour n’est pas souhaité par la HAT, comme l’indique un communiqué du Premier ministre Monja Roindefo, rendu public ce vendredi. Il indique que « toutes les forces vives de la nation vont (…) se pencher sur la question (du retour des exilés) dès la tenue des Conférences Régionales et enfin au cours de la Conférence Nationale qui se réunira avant le 26 juin 2009 (…). Les exilés ayant déjà annoncé leur retour devront attendre et se conformer à cette échéance ».
Afrik.com : Que se passe-t-il aujourd’hui à Madagascar ?
Madeleine Ramaholimihaso : Les positions se radicalisent. Je ne sais plus ce qui se passe. C’est difficile d’avoir une bonne lecture de la situation. Les manifestations depuis lundi se soldent par des affrontements et des morts. La HAT (Haute autorité de transition) a interdit les manifestations, cela peut se comprendre. Les légalistes (c’est ainsi que se désignent notamment les partisans de l’ancien président Marc Ravalomanana, ndlr) n’ont pas l’intention de s’y soumettre. Ce matin encore, j’ai entendu des coups de feu. Ce qui se passe aujourd’hui à Madagascar, ce n’est pas de la démocratie et c’est autre chose que de l’anarchie. J’appelle cela du « démocratisme » : l’expression sauvage des expressions politiques par tous les moyens où la raison du plus fort est la meilleure. Pour moi, la base de la démocratie, c’est le débat et il n’y a plus de débat à Madagascar.
Afrik.com : Vous attendiez-vous à ce que Marc Ravalomanana déclare qu’il a rendu le pouvoir sous la contrainte, qu’il nomme un Premier ministre et qu’il annonce maintenant son retour prochain dans la Grande Ile ?
Madeleine Ramaholimihaso : L’ambassadeur des Etats-Unis, à qui Marc Ravalomanana a remis la lettre (le document où il transfère son pouvoir le 17 mars à un directoire militaire, ndlr), affirme qu’il n’a subi aucune pression. Celui que Marc Ravalomanana a par ailleurs nommé comme Premier ministre, Manandafy Rakotonirina, est connu depuis 1972 pour être un fauteur de troubles [[Il est à l’origine des manifestations de 1972 qui ont coûté le pouvoir à Philibert Tsiranana, premier président de la Grande Ile indépendante.]] Pourquoi n’a-t-il pas choisi un membre de son parti politique, le TIM, pour être Premier ministre ? Manandafy Rakotonirina s’est toujours illustré en semant le désordre. Ce n’est pas très responsable de la part de Marc Ravalomanana de nommer comme Premier ministre quelqu’un qui a un tel profil.
Afrik.com : En interdisant les manifestations, la HAT se radicalise …
Madeleine Ramaholimihaso : Tout le monde se radicalise. Je n’aime pas évoquer cette possibilité, mais on risque d’arriver à une guerre civile. Hier, le ministre de la Sécurité intérieure a notamment appelé au sens des responsabilités de tout un chacun. Le Sefafi a publié récemment un communiqué intitulé « Réussir la transition » et nous y invitons aussi tout le monde à garder la tête froide.
Afrik.com : On a l’impression de se retrouver au temps où la HAT manifestait contre le pouvoir de Marc Ravalomanana ?
Madeleine Ramaholimihaso : Les manifestations ont commencé quand on a interdit à Viva, la télé privée d’Andry Rajoelina (13 décembre 2008) d’émettre (après l’apparition sur les antennes du prédécesseur de Marc Ravalomanana, Didier Ratsiraka, ndlr). Rajoelina a réclamé la liberté d’expression, pas seulement pour son média, mais pour tous. Nous sommes aujourd’hui dans une situation extraconstitutionnelle qui a été légalisée par la Haute cour constitutionnelle (HCC). Ravalomanana a transféré le pouvoir à un directoire militaire qui l’a ensuite transmis Antry Rajoelina, cela a été confirmé par la HCC dont les décisions ne peuvent faire l’objet d’aucun recours. C’est cette même cour qui avait validé en 2002 le résultat des élections de décembre 2001 en confirmant que Marc Ravalomanana avait été crédité de plus de 50% des voix. [[Le 29 avril 2009, la HCC proclame Marc Ramalomanana président élu avec 51,4% des voix, contre 35,9% pour son prédécesseur, Didier Ratsiraka, au premier tour de la présidentielle du 16 décembre 2001]]. Pourquoi ces décisions seraient-elles acceptées en 2002 et pas en 2009 ? Une prise de pouvoir extraconstitutionnelle peut être légalisée selon des formes juridiques admises, mais elle doit être impérativement limitée dans le temps. Les assises nationales d’Ivato, auxquelles le TIM n’a pas participé, ont lancé un processus plus large qui va permettre de clarifier tout cela. Elles prévoient l’organisation de conférences régionales dans les 22 régions que comptent Madagascar. Les mêmes thèmes seront abordés : Constitution, code électoral, élections… Un comité de suivi a été mis en place. Le Sefafi en fait partie en tant que membre d’un groupement d’entités de la société civile. D’après les accords de Cotonou, l’Union européenne reconnaît les acteurs non étatiques. Les bailleurs de fonds seraient prêts à financer ces conférences régionales, à condition que la société civile en soit l’organisatrice. L’Etat ne serait alors qu’un facilitateur.
Afrik.com : Dans quelle situation sont les Malgaches aujourd’hui ?
Madeleine Ramaholimihaso : La hausse du coût de la vie est terrible. Bloquer la vie sociale et économique est un luxe que Madagascar ne peut pas se permettre. Le social et l’économie ne doivent pas devenir les otages de la politique.