Madagascar : le haut verbe du poète Jean-Joseph Rabearivelo


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Le premier poète africain moderne de langue française est malgache : Jean-Joseph Rabearivelo naît sous le nom de Joseph-Casimir Rabe (du nom des deux saints relatifs aux mois et jour de sa naissance : Joseph et Casimir) le 4 mars 1901, 1902, 1903 ou 1904 dans la clinique du docteur Villette à Isoraka, quartier du nord de la capitale Tananarive (aujourd’hui Antananarivo).

Moins de cinq ans plus tôt, Madagascar était devenue une colonie française sous le nom de colonie de Madagascar et dépendances.

Sa mère, Rabozivelo, appartenait à l’ethnie des mérinas et plus précisément à la caste des hovas (les roturiers de rang élevé) de religion protestante. En effet, originaire d’Ambatofotsy tout comme le père naturel de Jean-Joseph Rabearivelo, elle descendait de la caste noble des Zanadralambo (famille se prétendant descendant du souverain Ralambo qui régna sur le royaume de Madagascar de 1575 à 1610).

Anciens grands propriétaires fonciers, sa famille est ruinée par les bouleversements introduits par la colonisation (notamment l’abolition de l’esclavage traditionnel) et Rabozivelo doit vendre les quelques rizières et bijoux qu’elle possède encore pour permettre à son unique fils de s’acheter des livres.

En 1924 il se fit correcteur à l’Imprimerie de l’Imerina ; il y travailla bénévolement les deux premières années, et garda ce travail mal payé jusqu’à sa mort. Il est vrai que cette maison publia plusieurs de ses ouvrages en tirage limité. En 1926, Rabearivelo épousa Mary Marguerite Razafitrimo, fille d’un photographe, avec qui il eut cinq enfants. Toute sa vie il fut endetté: ses finances eurent à concilier bas salaires, passion du jeu, achats de livres et addiction à l’opium.

Lecteur vorace et autodidacte, il publia des anthologies de poésie malgache et collabora à deux revues littéraires, 18 Latitude Sud et Capricorne. Au soir du 23 juin 1937, après avoir envoyé diverses lettres d’adieu, il se suicida au cyanure, notant ses derniers moments dans le dernier de ses Calepins Bleus, un journal de 1800 pages environ. Des quelque 20 volumes qu’il produisit, notamment de poésie, théâtre, roman et critique littéraire, la moitié restait inédite à sa mort.

Son œuvre montre une affinité à la fois avec les poètes symbolistes et surréalistes, tout en restant fortement enracinée dans la géographie et le folklore de Madagascar. Il se sentait également français et malgache, mais il lui fut refusé toute occasion d’aller travailler et vivre à Paris. Ce désespoir fut l’un des motifs de son suicide en 1937.

Ecoutons sa haute parole, comme nous invite à le faire AFROpoesie

TONONKIRA

Il est des pensées que fait jaillir la nuit,

épaves de pirogues qui ne peuvent se dégager des flots ;

il est des pensées qui n’arrivent pas à se hausser

jusqu’aux lèvres et qui ne sont qu’intérieures.

Épaves de pirogues perdues loin des bancs de sable,

qui se charrient simplement près du golfe.

Devant, l’on voit une terre désertique,

et derrière, l’océan infini.

Ô mes pensées, quand naît la lune,

et que tout ce qui se voit paraît boire les étoiles !

Ô mes pensées, liées, enlacées,

épaves d’une pirogue aventureuse qui n’a pas réussi,

vous êtes suscitées en un moment suave

puisque déjà se repose aux limites de la vue

tout ce que nous croyons être l’univers,

et qui est le prolongement d’Iarive-la-sereine ;

en un moment de paix, en un moment de bonheur :

il siérait bien que s’élevât du fond du cœur

le plus beau chant, le chant qui dit

la dernière élégie, la fin du sanglot.

TONONKIRA (Texte malgache – traduction de l’auteur)

Misy eritreritra atopatopan’ alina

Vakivakim-botry tsy tafavoaky ny onja

Misy eritreritra tsy afaka miarina

Ho tonga eo am-bava, fa ao anaty monja

Vakivakim-botry tsy tody tora-pasika

Mivalombalom-poana ery am-binanin-drano

Jerena ny eny aloha, tany midadasika ;

Ny eo aoriana kosa ranobe manganohano

O ry eritreritro rahefa tera-bolana

Ka toa misotro kintana izato zavatra hita !

O ry eritreritro mifatotra, miolana,

Vakivakim-botry nandeha fa tsy tafita !

Fotoana mamy loatra no ahaterahanao,

Fa efa miala voly ery ampara-maso

Izay rehetra inoantsika ho izao tontolo izao

Dia ny tohin’ ny eto Iarivo madio mangasohaso

Fotoanam-pahatoriana, fotoam-pahasambarana ;

Mety raha misandratra avy ao anaty foko,

Ny hira tsara indrindra, ny hira izay hamarana

Ny fara-vetsovetso, ny faran’ ny toloko…

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