Le chef d’Etat de la transition malgache Andry Rajoelina et son prédécesseur, Marc Ravalomanana, se sont quittés ce mercredi sans trouver d’accord, d’après RFI. C’était la seconde fois que les deux hommes se retrouvaient aux Seychelles pour des pourparlers. La crise politique malgache dure depuis trois ans. Rencontre avec Ravelonjohany, avocat et membre du FBM (le parti arc-en-ciel), qui accuse le président de Madagascar et son prédécesseur d’être assoiffés de pouvoir d’où l’échec des négociations tenues aux Seychelles de mardi à mercredi, sous l’égide de la SADC et de la communauté internationale. Selon lui, l’hypothèse d’un nouveau coup d’Etat n’est pas exclue. Interview exclusive.
Afrik.com : Comment analyser la crise que traverse Madagascar depuis trois ans ?
Ravelonjohany : Cette crise est due aux fautes de la classe politique malgache qui ne s’est pas intéressée à développer le pays mais à détenir le pouvoir, et avec le pouvoir, ils ont fait la course à l’argent. Donc, le fonctionnement des institutions n’était conforme à aucune règle. Sur cette terre, on dispose de deux systèmes juridiques : anglophone et francophone. Pour le cas malgache, nous n’avons pas respecté les principes du système francophone, et on n’a pas non plus adopté le système juridique anglophone. Du coup, les dirigeants arrivaient à faire tout ce qu’ils voulaient.
Afrik.com : Qu’est-ce qu’il faut faire pour sortir de ce marasme politique ?
Ravelonjohany : Réformer les institutions et mettre en place un cadre juridique et institutionnel bien précis. Il y a une feuille de route qui a été signée le 17 septembre 2011 sous l’égide de la Communauté de développement des pays d’Afrique australe (SADC). Mais cette feuille de route ne constituait pas un acte institutionnel et était entrée en contradiction avec une pseudo-Constitution votée le 17 novembre 2010. Cela fait que Madagascar n’a plus de loi fondamentale et on ne sait plus comment faire fonctionner notre pays.
Dans la Constitution de 2010, on trouve des dispositions qui ne sont pas applicables et qui nuisent aux institutions. Il faudrait donc une nouvelle législation qui fixe la durée et le mandat des institutions, les relations qui doivent exister entre ces institutions. Et toute la Constitution doit être fixée d’une manière précise car, depuis trois ans, c’est l’anarchie totale. Puis, il est nécessaire de mettre en place un axe institutionnel digne de ce nom et changer la Haute Cour parce que les dirigeants actuels ne l’ont pas fait.
« Depuis trois ans, c’est l’anarchie totale » |
Afrik.com : Pourquoi les négociations aux Seychelles ont encore échoué ?
Ravelonjohany : C’est simple. On savait à l’avance que cela allait échouer. Pour résoudre la crise malgache, il n’y a pas que le président et son prédécesseur qui sont concernés. Ni les quatre mouvances politiques, il y a également les franges de la société qui ont des idées, des compétences. Il faut les écouter maintenant.
Afrik.com : Qui est responsable de ce second échec ?
Ravelonjohany : C’est la faute de la SADC et de la communauté internationale. Cette dernière savait pertinemment que ces deux personnalités (Andry Rajoelina et Ravalomanana) ne tiennent qu’au pouvoir. Mieux vaut discuter avec des millions de Malgaches. Le président actuel et son prédécesseur n’ont aucune proposition positive pour conduire le pays en toute objectivité. La communauté internationale le savait depuis le début de la crise.
« Ces deux personnalités (Andry Rajoelina et Ravalomanana) ne tiennent qu’au pouvoir » |
Afrik.com : Une troisième négociation entre Andry Rajoelina et Ravalomanana est-elle nécessaire ?
Ravelonjohany : Non. Une troisième négociation entre les deux n’est pas nécessaire. Il faut réunir tous les citoyens politiques du pays pour sortir de la crise malgache. Réunir tous les partis politiques et les inviter à déposer leurs propositions pour plancher sur la nouvelle transition.
Afrik.com : Comprenez-vous la position d’Andry Rajoelina ?
Ravelonjohany : Oui. Mais il faut qu’il se présente à l’élection présidentielle pour légitimer son pouvoir qui pour le moment résulte d’un coup d’Etat. Même s’il n’est plus au pouvoir, son gouvernement continuera à diriger le pays. Durant trois ans, il y a eu des détournements de fonds publics et de richesses naturelles.
Afrik.com : Le retour de Marc Ravalomanana ne va-t-il pas plonger le pays dans le chaos ?
Ravelonjohany : Justement, son retour n’est pas sollicité. On n’a pas besoin qu’il revienne au pays. Qu’il reste où il se trouve. Ça nous est égal. Il a commis des atteintes aux droits de l’Homme et la Cour pénale internationale (CPI) ne fait pas son travail. Elle devrait le poursuivre comme elle a traduit en justice Laurent Gbagbo (l’ex-président de Côte d’Ivoire) et Charles Taylor (l’ex-président du Liberia). Le 8 février 2009, j’ai moi-même porté plainte auprès de la CPI pour poursuivre Marc Ravalomanana.
Afrik.com : Quelles sont les perspectives d’avenir pour Madagascar ?
Ravelonjohany : Les perspectives sont très sombres. Personne ne veut sortir le pays de la crise. Nul ne veut écouter les personnes qui ont de bonnes idées et des propositions pour conduire la transition et la IVe République. Ici, à Madagascar, ceux qui n’ont ni argent, ni fusils, on ne les entend pas. La censure règne dans le pays, le respect de la liberté d’expression n’existe pas.
« Ici, à Madagascar, ceux qui n’ont ni argent, ni fusils, on ne les entend pas. La censure règne dans le pays, le respect de la liberté d’expression n’existe pas. » |
Afrik.com : Doit-on craindre une guerre civile ou un nouveau coup d’Etat ?
Ravelonjohany : Oui. Les divisions au sein de l’armée se ressentent. Chaque mouvance politique dispose d’une autorité morale sur une partie de l’armée. Nos officiers supérieurs n’ont plus la morale nécessaire pour respecter l’éthique militaire. L’armée peut basculer d’un moment à l’autre. On est au bord du gouffre.
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