Candidat à la prochaine élection présidentielle sénégalaise, Macky Sall fut l’un des fidèles parmi les fidèles d’A. Wade qu’il accompagna jusqu’à sa conquête du pouvoir et pendant ses premières années de présidence. Sa progression fut fulgurante jusqu’en 2008. Karim Wade fut alors l’objet de la discorde entre lui et Wade. Le Président lui demanda de démissionner, il refusa. Commencèrent alors les humiliations, les attaques, les affaires… Il finit par quitter le PDS et fonda son parti L’Alliance pour la République (APR). Aujourd’hui il se présente contre son ancien mentor et serait bien placé, selon sondages et observateurs, pour remporter la mise. Interview.
Afrik.com : Candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2012, vous êtes présenté comme un outsider bien placé pour remporter le scrutin. Quels sont vos atouts, vos points forts ?
Macky Sall : D’abord, ma jeunesse, ensuite mon expérience de l’exercice du pouvoir et surtout ma connaissance en profondeur du Sénégal. Car je me suis donné les moyens de parcourir le pays en long et en large pour avoir un état des lieux et des échanges directs avec la population. Mais mon principal atout est mon programme présidentiel qui s’intitule « Agir pour le véritable développement » ou « Yoonu Yokkuté » en wolof. Le temps des catalogues de propositions irréalisables et démagogiques est révolu. Les Sénégalais attendent de nous des réponses précises. A travers les cinq axes de mon programme je m’engage à mettre fin aux injustices sociales, à construire les bases du développement, à assurer une productivité développante, à permettre au Sénégal de devenir un modèle de démocratie irréprochable et efficace et enfin garantir la paix, la sécurité, la stabilité et l’intégration africaine. Je veux conduire cette élection sur le terrain des idées et les mettre en œuvre. J’attends mes adversaires, s’ils ont vraiment quelque chose à proposer aux Sénégalais, même si j’en doute, sur ce terrain et celui-là uniquement.
Afrik.com : Justement, dans le cadre de vos tournées à travers le pays que vous ont dit les Sénégalais ? Quelles sont leurs attentes ?
Macky Sall : Ils ont d’abord été honoré de voir une personnalité politique qui a cette expérience du pouvoir venir vers eux, dans ces endroits où l’on ne trouve pas une piste, pas une route, où la population est privée de toute couverture sociale. L’absence de tout. Ils m’ont fait part de leur détresse. Ils vivent dans un état de pauvreté extrême. L’eau potable est le problème numéro un. Il faut rappeler que le Sénégal est un pays sahélien où la question de l’eau est une préoccupation majeure. L’absence d’infrastructure de base. De route, d’hôpitaux, d’écoles… Et même d’électricité. Beaucoup vivent encore à l’âge de la bougie. Ce qui nécessite un nouvel ordre de priorités que l’État doit prendre en compte afin de recadrer son action.
« J’attends mes adversaires »
Afrik.com : On les sent très en colère également depuis plusieurs mois. Avez-vous également perçu cette colère ?
Macky Sall : Absolument. C’est une colère grandissante parce qu’ils n’ont plus d’espoir. Cette absence de perspectives qui fait que les gens ont en marre a conduit à un cri, un mouvement « Y’en a marre » exprimé par les jeunes. Mais ce ras-le-bol ne concerne pas que la jeunesse, ils concernent les chômeurs, les intellectuels, le monde rural etc. Contre ce mépris du gouvernement face à la pauvreté qui les touche.
Afrik.com : Vous avez été un fidèle de Wade que vous avez accompagné jusqu’à sa conquête du pouvoir en 2000 avant d’avoir été écarté. Aujourd’hui vous vous présentez contre votre ancien mentor. Quel bilan dressez-vous des années de règne de Wade ?
Macky Sall : C’est un bilan mitigé. A mon sens, il a bien démarré mais il a terminé par des espoirs déçus et un idéal trahi. Il est vrai qu’il a démarré avec beaucoup d’emphase mais à l’arrivée, les populations ont été délaissées, on a assisté à la gabegie du pouvoir dans l’exécution des affaires de l’État. Aujourd’hui, la démocratie est fragilisée, les institutions bafouées. Et c’est le plus regrettable dans sa magistrature. Alors qu’il a été le champion de la lutte pour la démocratie dans les années 80 et 90. Diouf a eu le mérite de passer le flambeau et de saluer son adversaire, sortant ainsi la tête haute. Wade devrait en faire autant : quitter le pouvoir en paix et profiter d’une retraite méritée.
Afrik.com : Vous qui le connaissez bien pour avoir travaillé à ses côtés, ira-t-il jusqu’au bout ? Jusqu’à changer la Constitution pour se présenter à un troisième mandat ?
Macky Sall : Effectivement, je le connais bien même si on ne peut jamais connaître parfaitement l’homme. Je sais qu’il est capable de modifier la Constitution même si aujourd’hui il semble qu’il n’en a pas besoin puisqu’il tente un passage en force. Il a réuni un conseil d’experts qui prétendent que sa candidature n’est pas anticonstitutionnelle. Mais le débat en réalité n’est pas là. Il est dans le respect de la Constitution que lui-même a aidé à mettre en place et qui limite le mandat présidentiel à deux mandats. Wade ne peut pas être candidat. Autrement il va créer une situation d’instabilité politique. Tout va alors dépendre de la mobilisation des Sénégalais. Si le mouvement politique et la société civile restent mobilisés, il va reculer.
Afrik.com : Ce qui semble être le cas. On a rarement vu en Afrique une opposition aussi unie, une société civile aussi décidée à faire fléchir le pouvoir. Le M23, les jeunes de « Y’en a marre », promettent de descendre dans la rue pour s’opposer à la candidature du président Wade. C’est une élection sous haute tension qui s’annonce ?
Macky Sall : C’est à Wade de choisir le tempo. S’il veut la bagarre, il l’aura, et s’il veut la paix, il l’aura. Ce qui est certain c’est que les Sénégalais sont jaloux de leur souveraineté. S’ils sont descendus dans les rues le 23 juin, c’est pour préserver leur souveraineté. Il appartient à Wade d’apprécier cela. S’il a l’intelligence de s’arrêter à temps.
« Si le mouvement politique et la société civile restent mobilisés, il va reculer »
Afrik.com : Wade a refusé la mise en place du bulletin unique ce qui fait craindre à l’opposition des tentatives de fraude pendant les élections. Vous l’envisagez également ?
Macky Sall : Il y a toujours des risques de fraudes dans une élection. Y compris dans les plus grandes démocraties. Prenez l’exemple des États-Unis il y a six ans. Mais les risques dépendront de notre capacité à contrôler le processus électoral. Nous devons commencer par veiller à la bonne distribution des cartes électorales qui a lieu en ce moment et jusqu’au jour du vote. Il faut que la population soit correctement informée. Ensuite, nous devrons être présents dans les 13 000 bureaux de vote. Le challenge est là. Si le travail est bien fait, il ne pourra y avoir de fraudes. Même s’il y a des achats de conscience. Mais compte tenu du ras-le-bol des Sénégalais, cela ne marchera pas cette fois.
Afrik.com : Vous-même avez rejoint la coalition des partis de l’opposition, le Benno Siggil Sénégal, même si vous l’a joué plutôt solo, non ?
Macky Sall : Absolument pas BENNO est une coalition dans laquelle nous avons tous notre place, c’est un cadre de concertation et d’unité d’action. Mais nous avons toujours été cohérents et les évènements aujourd’hui nous donnent raison. Nous avons toujours prôné l’unité mais dans la diversité. J’ai coutume de dire que je ne crois en l’unicité qu’en matière de religion et pas en politique c’est la diversité qui fait notre richesse. Et l’élection est à deux tours, chaque sensibilité doit mobiliser tout son électorat et ne pas avoir peur de la compétition. C’est le fondement même de la démocratie. Le soir du premier tour, une primaire grandeur nature, BENNO aura alors son champion choisi par le peuple et il faudra s’engager à le soutenir sans faille. J’aspire à être ce champion, par mon parcours, par mon expérience et surtout par le programme que je propose à mes compatriotes qui conduira l’opposition à la victoire contre les dérives de M. Wade.
Afrik.com : Abdoulaye Wade a invité deux opposants, Tanor Dieng et Moustapha Niasse, à rejoindre son gouvernement. Et vous, a-t-il tenté de vous récupérer ?
Macky Sall : Non. Il sait certainement que mes décisions, après les avoir mûrement réfléchies, sont définitives. Je ne suis pas de ceux qui se signalent par l’inconstance, les va-et-vient au gré du temps et de leurs ambitions personnelles. Je conduis un combat pour la République dont seuls les Sénégalaises et les Sénégalais sont maîtres. Abdoulaye Wade a l’art de la provocation. Je connais Tanor Dieng et Moustapha Niasse, ce sont des hommes respectables et je sais qu’ils iront jusqu’au bout pour faire battre le régime de Wade unis dans la diversité de Benno.
Afrik.com : On a récemment appris que Youssou Ndour allait se libérer de ses obligations artistiques en janvier pour entrer en politique. Croyez-vous à sa candidature ? Le considérez-vous comme un adversaire crédible ?
Macky Sall : C’est un ami comme il est l’ami de la majorité des Sénégalais. Je l’ai connu comme un artiste et homme d’affaires qui fait la fierté du Sénégal. S’il est candidat, c’est son choix, mais je ne le considère pas comme un adversaire et j’espère qu’on pourra trouver des convergences pour qu’il puisse soutenir notre projet et venir renforcer notre coalition. Je crois qu’il est utile en tant que sentinelle et éclaireur de la vie citoyenne de ce pays, son engagement est respectable.
Afrik.com : Vous vous dites libéral, même si vous avez frayé avec les marxistes à vos débuts, pensez-vous que le libéralisme puisse permettre de répondre aux besoins des Sénégalais ?
Macky Sall : Je suis un libéral-social. Quelqu’un a déjà annoncé la mort des idéologies. Aujourd’hui, on ne peut plus parler de libéralisme ou de socialisme… mais il reste des influences de ces doctrines. Pour ma part, j’ai une grande influence sociale dans mes idées libérales. Ce qui ce justifie en Afrique, le Sénégal est un exemple vivant, on a besoin d’un État qui intervienne dans les structures et infrastructures de base. On ne peut pas laisser le marché intervenir dans ces secteurs. Les écoles, les hôpitaux, les routes… même si à côté de cela, on peut avoir des cliniques, des écoles, des universités privés mais à la condition d’avoir une offre publique suffisante et de qualité. Je suis le fruit de l’école publique qui a été un ascenseur sociale, qui nous a donné les chances de changer notre avenir, il faut préserver cela. Il faut en même temps permettre de libérer les énergies pour que l’État n’embrigade pas tous les citoyens, encourager la libre entreprise, ce qui va créer de l’emploi, fortifier l’économie. Je ne suis pas pour un État dirigiste. Tout dépendra de la bonne gouvernance indispensable au développement de notre pays.
Afrik.com : Projetons-nous dans l’avenir : Macky Sall est président. A quoi ressemblera le Sénégal ? Quelles seront vos premières actions ?
Macky Sall : Le Sénégal sera en chantier pour un véritable développement. J’ai mis au point un programme ambitieux, réaliste et réalisable, dans lequel j’ai défini des priorités pour assoir notre développement. Un programme axé en priorité sur les jeunes, les femmes et le monde rural. Avec des mesures très fortes comme la mise en place d’une Couverture Maladie Universelle de Base, la Bourse de Sécurité Familiale (type Brésil) pour les familles pauvres et une approche communautaire du traitement des maux des Sénégalais ainsi qu’un Pacte pour les Petites Entreprises et les PME/PMI, une sorte de Small Business Act à la Sénégalaise. Parce qu’il nous faut aller vers un développement de l’État, un développement qui apporte du bien-être à nos populations. Apporter des services compétents à nos 13 millions d’habitants. Si nous sommes bien organisés on peut assurer aux Sénégalais des services sociaux de qualité, un accès aux soins, une économie solidaire. Je ferais de la lutte contre les injustices ma priorité. Il faut commencer par la mise à niveau des infrastructures. Pas à avec des projets somptueux mais des infrastructures nécessaires au développement du pays. En se basant sur nos atouts. L’agriculture. Le Sénégal, c’est l’arachide, le coton, le mil, le maïs et avec d’énormes potentialités pour la culture du riz. Mais nous avons des paysans qui continuent de labourer avec des outils rudimentaires lents et pénibles. Nous devons moderniser l’agriculture. Les TIC également qui offrent des possibilités merveilleuses d’innover. Le tourisme aussi qu’il faut restructurer. Cela passe par le personnel. Un personnel qu’il faut former pour avoir une offre touristique de qualité. Il va falloir renforcer toutes les niches qui sont sources de croissance. Ce sont les grands axes de mon programme. Arrêtons de parler ou d’orienter nos efforts dans la recherche de prestige et agissons. C’est mon slogan. Cela passe par la lutte contre la corruption. Il y a eu beaucoup trop de gaspillages.
Afrik.com : Vous êtes à Paris pour une intervention à l’Ifri mardi. C’est aussi l’occasion de séduire la diaspora sénégalaise à votre cause non ?
Macky Sall : Je suis honoré d’avoir été invité dans ce prestigieux Institut dont la qualité des hommes et des femmes – Jacob Zuma, Raila Odinga, Paul Kagamé, Abdou Diouf, etc. _ qui y sont passés avant moi parle d’elle-même. Quant à la diaspora le temps de la séduction est largement dépassé, nous sommes dans la maturité de notre relation. L’Alliance Pour le République (APR) est de loin le premier parti des Sénégalais de l’Extérieur et en France plus qu’ailleurs. Nous avons bouté le PDS hors du foyer Charonne qu’il occupait depuis des lustres, et nous sommes désolés de faire d’eux désormais des SDF à Paris. La diaspora nous soutient car nous sommes attentifs à leurs préoccupations, nous sommes conscients de leur rôle d’acteur dans le développement de notre pays. Nous voulons leur apporter un meilleur rayonnement, plus de protection et un véritable statut notamment dans le futur parlement. La diaspora est un véritable moteur de transformation, nous avons besoin d’elle et il faut la respecter et la mettre au cœur de notre diplomatie et une politique de diaspora est prévue dans mon programme. Ensemble nous agirons pour relever le défi du développement au Sénégal.
Il n’y a aucune guerre entre M. Seck et moi.
Afrik.com : Quels sont vos soutiens politiques et financiers ?
Macky Sall : Ils sont nombreux au sein des citoyens et de la diaspora notamment, chaque jour des hommes et des femmes de la société civile ou du monde politique viennent renforcer la coalition déjà composée d’une trentaine de partis politiques et qui me soutiennent. Je peux même vous dire que certains candidats déjà déclarés ne sont plus très loin de rejoindre mon combat car celui-ci est très clair : une vision du Sénégal et un plan cohérent pour mettre en œuvre le véritable développement. Je vous donne rendez-vous à partir du 10 décembre le jour de mon investiture pour entrer dans les détails de mon programme et de mes soutiens. A partir de cette date nous serons dans le temps de l’action.
Afrik.com : Entre vous et Idrissa Seck c’est entre Guerre et Paix. Où en êtes-vous ?
Macky Sall : Je vous rassure, il n’y a aucune guerre entre M. Seck et moi. Je ne suis pas dans le jeu des artifices ou des insinuations politiciennes et calomnieuses. Ce n’est pas à la hauteur des attentes des Sénégalais. J’entends respecter tout le monde dans cette élection présidentielle quelque soit les attaques et les polémiques fabriquées à des fins de publicité. Je suis fortement attaché à l’État de droit dans lequel tout bon citoyen, détenant des informations pouvant être utile à la Justice, a le devoir de les lui communiquer sans délai. A défaut chacun appréciera. Certains abusent de la rhétorique pour masquer l’absence de fonds et de propositions crédibles. Pour ma part, je reste tourné vers la méthode, l’action et les résultats. C’est d’efficacité dont le Sénégal et l’Afrique ont besoin aujourd’hui car l’environnement mondial est hyper compétitif, la maîtrise de la technologie et la capacité d’innovation sont fondamentales. Je crois que ma candidature répond à ces enjeux.
Lire également :
Le naufrage de Bennoo Siggil Senegaal
Le Sénégal au bord de l’explosion ?