Les habilleuses traditionnelles marocaines, appelées negafas, ont pour mission principale de veiller à ce que la future mariée soit magnifique le jour de son mariage. Pour ce faire, elles lui louent robes, parures de bijoux et décors typiques. Le métier s’est adapté aux changements du temps pour rester dans le vent et continuer à séduire les clientes potentielles.
Le mariage bat son plein. La famille et les proches des époux dansent, chantent et tapent des mains sous une tente plantée dans le jardin. L’air de Marrakech est étouffant. Dans un coin, alors que la mariée se trémousse dans sa longue robe blanche, les negafas veillent, sourient et esquissent parfois quelques pas. La musique s’arrête. Les mariés montent les quelques marches qui mènent à leur trône doré. A peine la jeune épouse assise, les habilleuses traditionnelles se précipitent pour remettre sa robe en ordre. Elle doit être impeccable pour les caméras et les appareils photos qui la mitraillent. Une fois la mise en pli terminée, les negafas retournent à leur place. Attendant d’accompagner la mariée changer une nouvelle fois de robe…
La negafa est l’habilleuse traditionnelle de la mariée au Maroc. Selon certains récits, cette profession serait née il y a plusieurs centaines d’années, pour palier au manque d’argent auquel certaines familles étaient confrontées lors de la préparation d’un mariage. Des femmes ont eu l’idée de louer des robes, des parures de bijoux assorties et parfois le matériel indispensable lors de la célébration des cérémonies. Bien plus avantageux que l’achat. Cette tradition, qui s’est même exportée dans les autres pays du Maghreb, parfois avec un nom différent, est toujours très vivace au Maroc. Car louer les services d’une negafa, c’est être assurée que l’on sera resplendissante le jour où l’on dira « oui ». Aujourd’hui les habilleuses emploient des moyens de communication modernes pour se faire connaître et s’adaptent même aux variations de la mode.
Présentes aux moments clés
Etre negafa est un métier qui s’apprend. De mère en fille ou chez une autre habilleuse expérimentée. Le profil a évolué avec les années. « Auparavant, les negafas étaient des mères de famille relativement âgées. Aujourd’hui on en trouve de plus en plus jeunes », commente Bouchra, une jeune mère qui vit à Marrakech. Elles travaillent, de façon légale ou informelle, seules ou avec l’aide de femmes auxquelles elles donnent les directives, sorte de « negafa en chef ».
Elles sont présentes lors des grandes fêtes, comme les circoncisions, mais surtout pour les mariages, lors des fiançailles et de la préparation de l’union. La negafa voit la mariée plusieurs fois avant le jour J. Elle peut proposer au mari des modèles de djellabas, mais c’est surtout pour la fiancée qu’elle est le plus équipée. Elle lui présente, ainsi qu’à ses invitées, des robes traditionnelles de toutes les couleurs, mais de taille unique. L’habilleuse s’occupera de faire les principales retouches et une grosse ceinture se chargera de cintrer de façon plus soutenue les différentes tenues qui seront portées le soir du mariage. Et parce que la mariée doit avoir l’air d’une reine, la negafa lui loue pour chaque robe la parure de bijoux assortie. Le plus souvent en plaqué or ou en argent.
Economiser des années pour avoir suffisamment de matériel
Le jour du mariage civil, après que les fiancés ont signé en présence de l’adul (équivalent du maire) les papiers qui les unissent officiellement, la negafa pose le henné, signe de joie et de bonheur, sur les mains et les pieds de la mariée. Auparavant, elles faisaient un « remplissage » de ces parties. Mais avec le temps, les femmes préfèrent des « tatouages » avec des motifs et non plus une couleur unie. Le jour du mariage traditionnel, elles restent à proximité, toujours prêtes à remettre en place les robes et les bijoux que porte la mariée. Pendant les deux mariages, elles chantent les louanges des époux, parfois avec comme accompagnement les chœurs improvisés des femmes de l’assistance.
Les negafas mettent des années à remplir leur stock, contrairement à avant où souvent une seule robe était portée. « Je confectionne de nouvelles robes tous les ans. J’envoie les patrons au Maroc où ils n’ont plus qu’à coudre. Ce qui coûte, pour le tissu et la couture, entre 2 000 et 3 500 dh. Au total, j’ai une trentaine de robes, de djellabas et de caftans. J’ai aussi 14 parures en plaqué or et en argent, mais cela coûte très cher. Pour l’argent le prix se situe entre 1 500 et 2 000 euros. Pour le plaqué, il avoisine les 1 900 euros », explique Charifa, une Marocaine de 36 ans, negafa et couturière de vêtements traditionnels qui exerce en France.
Prix négociables, mais pas trop
La qualité des articles loués dépend de la notoriété de la negafa. « Certaines ont de très belles robes brodées, mais d’autres en ont de qualité médiocre », explique Bouchra. Cette différence de standing expliquerait pourquoi les prestations des habilleuses peuvent varier de 1 000 à 10 000 dirhams (dh), soit entre 93 et 934 euros. « Je me suis mariée il y a dix ans. Les services de ma negafa, qui était modeste, s’élevaient à 1 500 dh, ce qui représente environ un mois de salaire. Mon père m’a beaucoup aidée à financer », poursuit la jeune femme. Depuis, les prix ont augmenté. « Ils varient entre 4 000 dh pour une ‘petite’ negafa et 20 000 dh pour une ‘ancienne’ », souligne Charifa. La tarification peut varier en fonction de la saison. Les Marocains se marient beaucoup aux mois de juillet, août et septembre. A cette période, « nous faisons payer 4 000 dh et hors saison, 3000 » explique Jamila, 31 ans, qui travaille comme secrétaire dans le magasin de location Rahalia.
Les prix sont négociables. Toutefois, mieux vaut ne pas dépasser les bornes. « J’ai refusé plusieurs fois des clients qui voulaient le plus grand luxe pour leur mariage, sans payer en conséquence. Une jeune fille est venue me voir en me disant qu’elle voulait que je lui brade l’amaria (sorte de char où les mariés sont portés séparément par des hommes en habits traditionnels), le mida (sorte de bouclier qui sert à soulever les époux) et les fauteuils argentés avec des strass. Je lui ai dit qu’il n’en était pas question », se souvient Naïma, qui travaille dans un magasin de location en tant que « negafa en chef » depuis sept mois.
Tous les moyens sont bons pour se faire connaître
De plus en plus, les negafas se lancent dans de véritables opérations de communication. « Je fais de la publicité sur Internet, j’envoie des e-mails, des photos, des annonces…Je me déplace dans les salons de coiffure ou encore chez les traiteurs pour faire connaître nos magasins et ce que nous y proposons », explique Naïma. Autre façon de sortir du lot, se lancer dans la location d’anciens modèles revus au goût du jour. Dès modèles qui restent proches de la tradition, et qui s’inspirent pour beaucoup de la manifestation annuelle de haute-couture traditionnelle marocaine « Caftan ». Mais certaines marieuses calent leurs patrons de robes sur ceux de l’Occident, qui connaissent un succès grandissant chez les Marocaines. « Cela commence à devenir assez courant dans les villes de voir une robe occidentale lors du mariage. C’est celle-là qui clôture les cérémonies, celle avec laquelle on coupe le gâteau », précise Bernard, propriétaire du fonds de commerce du magasin marocain La Mariée de Paris, qui loue ces robes pour entre 120 et 150 euros, retouches, accessoires et nettoyage compris.
Ces robes ont tant de succès que certaines negafas cherchent à les acheter, afin de les louer. Mais le prix est si élevé qu’elles ne peuvent pas se le permettre. Alors elles n’hésitent pas à accompagner les jeunes femmes dans les magasins qui en vendent pour qu’elles choisissent. Une sorte de complémentarité s’est ainsi doucement mise en place. Peut-être là le début du mariage marocain relevé d’une pointe d’occidentalisme.
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