C’est à l’écrivain roumaine Liliana Lazar qu’a été remis vendredi, à Montreux (Suisse), en marge du XIIIe Sommet de la Francophonie, le Prix des cinq continents pour son roman Terre des affranchis (ed. Gaia, 2010). Une récompense décernée par onze auteurs de renom parmi lesquels le Franco-mauricien J.M.G Le Clezio, prix Nobel de littérature, le Togolais Kossi Efoui, lauréat de l’édition précédente, et le président du jury, le Haïtien Lyonel Trouillot.
De notre envoyé spécial
C’est avec une émotion presque palpable que Liliana Lazar a reçu son prix des mains du Secrétaire général de la francophonie, Abdou Diouf, au château de Chillon. Née en 1972, en Moldavie roumaine, l’écrivain vit depuis le milieu des années 90 en France, le pays de la langue qui pour elle symbolise « tous les possibles » accessibles à l’age adulte. Dans son roman, dont l’action se déroule au temps de la dictature de Ceausescu, la trame se déploie dans un petit village empreint de violences et de mystères où la nature, toujours sauvage, se fait complice des crimes les plus brutaux. Une œuvre, en compétition avec neuf autres livres[[L’Aimé de juillet de Francine de Martinoir aux éditions Jacqueline Chambon (France); Les aubes écarlates de Leonora Miano aux éditions Plon (Cameroun); La conscience d’Éliah de Guy Lalancette aux éditions VLB (Canada-Québec); J’aimerais revoir Callaghan de Dominique Farbre aux éditions Fayard (France); Maleficium de Martine Desjardins aux éditions Alto Inc. (Canada-Québec); Nos silences de Wahiba Khiari aux éditions Elyzad (Tunisie); Les petits de la guenon de Boubacar Boris Diop aux éditions Philipe Rey (Sénégal); Ru de Kim Thuy aux éditions Liana Levi (Vietnam-Canada-Québec); Sous la tonnelle de Hyam Yared aux éditions Sabine Wespieser (Liban).]], qui a su s’attirer les faveurs du jury présidé par Lyonel Trouillot[[Le jury est par ailleurs composé de Lise Bissonnette (Canada), Monique Ilboudo (Burkina Faso), Paula Jacques (France-Égypte), Vénus Khoury-Ghata (Liban), Pascale Kramer (Suisse), Jean-Marie Gustave Le Clézio (Maurice), Henri Lopes (Congo), René de Obaldia (Hong-Kong), Leïla Sebbar (Algérie), Denis Tillinac (France), Kossi Efoui (Togo) lauréat du prix 2009.]]. Le romancier et poète haïtien, professeur de littérature et directeur littéraire de l’association Atelier Jeudi soir et des éditions du même nom, est l’un des auteurs les plus importants de son pays. Il est l’auteur d’une œuvre en langues créole et française (publiée en France aux éditions Actes Sud) saluée par la critique internationale. Il nous a accordé un entretien.
Afrik.com : Pourquoi avez-vous choisi de récompenser le roman Terre des affranchis, de Liliana Lazar ?
Lyonel Trouillot : La majorité des membres du jury a trouvé que ce roman avait des qualités. Une interrogation sur le destin et sa cruauté, le rapport entre la nature, le social et l’individualité. La dictature est en toile de fond, un sujet qui est peut-être une obsession des lecteurs ou du moins des critiques littéraires occidentaux. A vouloir en faire un thème majeur de la littérature, on peut en faire un thème caricatural. Or Terre des affranchis est une histoire parmi les milliers d’histoires de la Roumanie qu’on aimerait découvrir.
Afrik.com : La dictature, la prégnance des légendes et croyances anciennes… Avez-vous trouvé un peu de Haïti dans cette œuvre ?
Lyonel Trouillot : Non. Dans tous les drames humains, il y a bien sûr de la violence. Mais la religion est, de mon point de vue, ce qu’il y a de plus écrasant dans le livre. Tous ces gens qui vont chercher la rédemption dans la copie de propos religieux, c’est frappant.
Afrik.com : Après le terrible tremblement de terre de janvier dernier, où en sont les écrivains haïtiens ?
Lyonel Trouillot : Dans une interrogation. Ils sont conscients de leurs responsabilités par rapport au drame que vivent leurs compatriotes et, parfois, eux-mêmes. Moi, j’aurais du mépris pour l’artiste haïtien qui ne se sentirait pas concerné par la situation.
Afrik.com : Est-il encore possible de créer en Haïti ?
Lyonel Trouillot : Oui ! Certes, il se pose des problèmes techniques ou matériels pour certaines formes artistiques, mais je ne pense pas que l’élan de production soit interrompu. Loin de là !
Afrik.com : En Haïti où le créole est la langue dominante et où l’anglais progresse à grands pas, créer en français a-t-il toujours un sens ?
Lyonel Trouillot : Le français reste encore la première langue de la littérature haïtienne. Heureusement, la création littéraire en langue créole progresse. Mais le français fait encore partie du patrimoine haïtien.
Afrik.com : Quel regard portez-vous sur la littérature africaine d’aujourd’hui ?
Lyonel Trouillot : Mon grand regret, c’est que la littérature africaine qui nous parvient en Haïti passe par Paris. Ce sont les éditeurs parisiens qui choisissent, qui décident en fonction de leurs critères, donc je ne peux pas la juger.