Lydie Boka : « Meles Zenawi laisse un grand vide à l’Ethiopie »


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La mort de Meles Zenawi préoccupe Addis Abeba mais aussi les grandes puissances étrangères. Le Premier ministre éthiopien dirigeait le pays depuis 1991 d’une main de fer et avait contribué à la stabilisation de la Corne de l’Afrique. Mais si son bilan économique est satisfaisant, les droits de l’homme étaient régulièrement bafoués, et l’opposition muselée. Lydie Boka, spécialiste des questions sécuritaires de la Corne de l’Afrique, analyse la situation.

Maintenant que Meles Zenawi a rendu l’âme, les rebellions qu’il avait réussi à maitriser, pourraient bien à nouveau occuper le terrain. Désormais, c’est le vice-premier ministre qui assure l’intérim. De nouvelles élections devraient voir le jour d’ici deux mois, selon Lydie Boka. Et c’est sans doute elles, qui détermineront l’avenir du pays, car une lutte de pouvoir va s’engager. L’opposition longtemps écartée de la direction du pays va chercher à s’imposer.

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Afrik.com : Meles Zenawi dirigeait l’Ethiopie d’une main de fer depuis 1991. Sa disparition pourrait-t-elle provoquer une déstabilisation du pays ?

Lydie Boka :
Les problèmes internes de l’Ethiopie sont importants et peuvent affecter la situation actuelle. Le pouvoir est tenu par le régime depuis plus de 20 ans. L’ethnie Tigré, dont est originaire Meles Zenawi, qui représente seulement 6% de la population, domine les affaires politiques et armées du pays. Les Oromes, constituent, eux, 35% de la population mais ont été écartés de la direction du pays. Le vice-Premier ministre Hailemarian Desalegn qui assure l’intérim ne restera pas éternellement au pouvoir. Des rebellions pourraient se réveiller maintenant que Meles Zenawi n’est plus là pour les faire taire. Il y a aussi le problème de la religion en Ethiopie. Une minorité musulmane existe, même si on en parle peu. Elle représente 30% de la population. D’ailleurs des musulmans ont manifesté dernièrement, dénonçant la main mise du pouvoir dans leurs affaires, concernant notamment la nomination des chefs religieux. L’inquiétude est plus sur le long terme qu’à court terme. Pour le moment, la situation est suffisamment stable en attendant l’organisation de nouvelles élections, d’ici deux mois environ. La question est de savoir si les successeurs vont réussir à tenir le pays. L’effet phycologique de la disparation de Meles Zenawi est fort. C’était un dirigeant charismatique, très craint.

Afrik.com : Quel bilan Meles Zenawi laisse-t-il derrière lui ?

Lydie Boka :
Le bilan de Meles Zenawi est mitigé. Il était adulé à l’international mais très controversé en Ethiopie. Sur le plan économique son bilan est satisfaisant. Il a réussi à attirer les investisseurs. C’était un réformateur, un transformateur. Il a réussi à transformer l’économie éthiopienne. Très habile intellectuellement, il maitrisait tous les codes de la diplomatie internationale. Il était devenu le chouchou de multiples dirigeants, tels que Tony Blair. Il a su redonner confiance à la communauté internationale. C’était quelqu’un qui disait tout ce qu’elle voulait entendre. Le Front monétaire international (FMI) a reconnu que la pauvreté s’est beaucoup réduite dans le pays malgré la sécheresse. N’oublions pas que l’Ethiopie est le plus grand producteur de café en Afrique. Meles Zenawi a réussi à maintenir une certaine paix en Ethiopie mais à un prix très élevé pour l’opposition. En 2005, lorsqu’il a su que l’opposition avait gagné les élections, il a violemment réprimé ceux qui contestaient les résultats, causant la mort de plusieurs centaines de personnes. Sa politique de distribution des terres a notamment été très critiquée. De multiples terres ont été vendus à bas-prix à des compagnies internationales au détriment des populations. Il n’y a pas de fondements solides sur le plan politique. Sur le plan intérieur, l’Ethiopie était une dictature.

Afrik.com : S’il y a de nouvelles élections, son parti conservera-t-il le pouvoir ?

Lydie Boka :
S’il y a des élections, je ne pense pas que le parti au pouvoir puisse rester à la tête du pays. Beaucoup de personnes veulent du changement. Mais les élections devront être surveillées par la communauté internationale car je ne suis pas qu’elles seront démocratiques. Le pays pourrait rester stable mais à condition qu’il y ait une ouverture pour l’opposition. Les nouvelles autorités n’auront pas le choix, il en va de la survie de l’Ethiopie. Même les puissances étrangères qui souhaitent une continuité de l’ancien régime savent que l’opposition devra avoir sa place sur la nouvelle scène politique éthiopienne. Meles Zenawi laisse un grand vide à l’Ethiopie. Son successeur va sans doute continuer la même politique que son prédécesseur. Mais en attendant, beaucoup de questions se posent concernant la situation des pays voisins de l’Ethiopie, qui l’expose à des risques de troubles sur son territoire. Le pays devra continuer à garder un oeuil sur la Somalie, où sévissent les islamistes shebabs. D’ailleurs, ces derniers ont explosé de joie après la mort de Meles Zenawi. Ils pensent qu’ils ont désormais le terrain libre et estiment que l’Ethiopie ne va pas tarder à s’effondrer. Et l’Erythrée, frère ennemi de l’Ethiopie depuis de longues dates, constitue un soutien de taille pour les shebabs.

Afrik.com : Quel est l’intérêt de l’Erythrée à soutenir les shebabs ?

Lydie Boka :
Il est très difficile de comprendre le point de vue érythréen, d’autant plus que le président est chrétien et non musulman. C’est sans doute la haine du frère ennemi. L’Erythrée était auparavant l’accès à la mer de l’Ethiopie. Les deux pays étaient au départ une fédération avant leur séparation. L’Ethiopie n’a pas digérée cela. Les deux pays ne s’entendent pas. Le chef d’Etat Erythréen est isolé sur la scène internationale. Trois rebellions existent depuis une vingtaine d’années en Ethiopie. Au moins une de ces rebellions entretient des liens avec l’Erythrée. Et maintenant que Meles Zenawi n’est plus là, cela pourrait être la porte ouverte pour ces groupes. Désormais, la communauté internationale va mettre une grande pression sur son successeur pour éviter que le pays ne bascule. Elle ne peut pas se permettre de laisser l’Ethiopie livrée à elle-même, surtout à cause de son voisin somalien. On rentre dans une période de faux calme qui devrait durer deux mois, jusqu’à que l’on décide de l’avenir du régime.

Afrik.com : La communauté internationale va-t-elle poursuivre la même politique avec l’Ethiopie maintenant que Meles Zenawi est mort?

Lydie Boka :
Absolument. Elle va mener la même politique. La communauté internationale n’a pas intérêt à ce qu’il ya ait trop de changement. Elle a plutôt intérêt à ce qu’il y ait une continuité de l’ancien régime mais avec l’opposition. Financièrement, l’Ethiopie est très soutenue par la communauté internationale. En effet, 20 à 30% de son budget provient de l’aide internationale. Pour le moment, le système que laisse le premier ministre est solide. D’autant plus que l’armée est tenue essentiellement par les Tigrés, du moins sur le plan managérial. Une fois que l’armée est maitrisée, un pays reste stable en général.

Afrik.com : Comment vont procéder les Etats-Unis, allié de taille de l’Ethiopie, avec le nouveau régime ?

Lydie Boka :
Les Etats-Unis vont bien sur poursuivre leur politique en Ethiopie. Ils fournissent chaque année 1 milliards de dollars au pays. Ils vont tenter de mettre en place un dirigeant qui continue sur cette politique. Tout le monde va s’assurer que c’est quelqu’un d’acceptable. S’il refuse de coopérer, on lui coupera les vivres. La contestation enflera au sein de la population, l’armée réclamera ses primes, etc. Sans argent, la révolte fragilisera le régime, qui sautera très rapidement. Le successeur n’a pas intérêt à se passer de la communauté internationale surtout en ces temps difficiles.

Afrik.com : Depuis combien d’années les Etats-Unis soutiennent l’Ethiopie?

Lydie Boka :
Cela fait une quinzaine d’année que les Etats-Unis soutiennent l’Ethiopie. Le discours de Zenawi leur a plu lorsqu’il a pris le pouvoir. Un revirement qui a permis à son pays de se rapprocher des Etats-Unis. L’Ethiopie est un pays très stratégique pour ces derniers. Il leur sert de base arrière pour lutter contre les shebabs en Somalie. La Somalie est un peu comme le bébé médicament de l’Ethiopie. Car, elle lui permet de recevoir les aides de la communauté internationale. L’Ethiopie est aussi très importante pour les Américains, notamment pour l’action qu’elle mène au Soudan. Le pays joue un rôle de médiation entre le Soudan et Soudan du Sud pour tenter d’apaiser les tensions. Il a envoyé des forces de maintien de la paix à Abyei, région frontalière que se disputent les deux Etats. D’autre part, La Corne est une région volatile qui a beaucoup d’enjeux. Elle pourrait bien devenir le nouvel eldorado de beaucoup de pays dans les années à venir. Un important gisement de gaz naturel y a été découvert. Les Etats-Unis savent qu’ils peuvent en tirer de multiples avantages. C’est aussi une des raisons pour lesquelles, ils restent très proches de l’Ethiopie.

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