L’Afrique de l’Ouest affiche les taux d’analphabétisme les plus élevés au monde, qui entravent son développement et privent ses citoyens du pouvoir d’impulser des changements socioéconomiques et politiques, selon les organismes éducatifs, qui appellent les gouvernements et les bailleurs à redoubler d’efforts dans le domaine de l’alphabétisation et de l’éducation.
Soixante-cinq millions d’adultes ouest-africains – soit 40 pour cent de la population adulte – ne savent ni lire, ni écrire, selon une nouvelle étude, intitulée « From closed books to open doors – West Africa’s literacy challenge » [Des livres fermés aux portes ouvertes – Le défi de l’alphabétisation en Afrique de l’Ouest].
Sur les 10 pays qui affichent les plus faibles taux d’alphabétisation du monde chez les adultes (15 ans et plus), sept se trouvent en Afrique de l’Ouest : le Bénin, le Burkina Faso, la Guinée, le Mali, le Niger, le Sénégal et la Sierra Leone, peut-on lire dans le rapport.
« En Afrique de l’Ouest, des dizaines de millions de femmes, d’hommes et de jeunes gens analphabètes vivent enfermés entre quatre murs, privés du niveau de vie, des possibilités d’instruction, et du pouvoir démocratique qui leur reviennent de droit », a déclaré Mahamadou Cheick Diarra, coordinateur de la Plateforme africaine de l’éducation des adultes (Pamoja).
L’étude a été réalisée par le Réseau africain de la campagne pour l’éducation pour tous (ANCEFA), Pamoja, et les organismes à but non-lucratif Oxfam International et ActionAid.
« Les gens [en Afrique de l’Ouest] n’ont accès ni à l’emploi, ni aux possibilités économiques et techniques qui sont les moteurs du développement, selon ce qui a été démontré partout dans le monde », a commenté Caroline Pearce, responsable du plaidoyer pour l’Afrique de l’Ouest chez Oxfam, et auteur du rapport.
Les conséquences
Chaque année d’instruction augmente d’au moins 10 pour cent les revenus potentiels, selon le rapport de suivi publié en 2009 par la coalition pour l’Education pour tous (EPT), menée par les Nations Unies.
Au Niger, au Nigeria et au Sénégal, le taux de mortalité des enfants dont la mère a fréquenté l’école secondaire est environ deux fois moins élevé que celui des enfants dont la mère n’est pas instruite, selon l’EPT.
« Il vaut mieux investir dans l’alphabétisation que renflouer les banques ; c’est essentiel pour le développement », a déclaré Gorgui Sow, coordinateur de l’ANCEFA.
Une population instruite manifestera un soutien plus marqué en faveur de la démocratie, peut-on également lire dans le rapport. Selon une étude menée récemment dans 18 pays d’Afrique, le niveau d’instruction est en effet le premier facteur qui détermine le degré de soutien en faveur de la démocratie et le rejet de l’alternative non-démocratique.
« L’instruction ne permet pas seulement de faire carrière ou de changer de statut socioéconomique, c’est aussi un moyen de commencer à comprendre son gouvernement et de lui en demander plus », a déclaré à IRIN Ishmael Beah, activiste partisan de l’éducation et ancien enfant-soldat en Sierra Leone.
Pourtant, dans bien des cas, en Afrique de l’Ouest, les acteurs politiques eux-mêmes ne maîtrisent pas les notions élémentaires de lecture, d’écriture et de calcul, essentielles à la planification, à la collecte de fonds et à la communication d’informations, selon le rapport.
Des progrès
Les pays d’Afrique de l’Ouest ont accompli des progrès, selon Mme Pearce : bien qu’ils affichent aujourd’hui les taux les plus faibles du monde, ces taux sont tout de même plus élevés qu’ils ne l’étaient dans les années 1990.
Certains pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Bénin et le Liberia, ont accordé une place à l’alphabétisation dans leurs plans de développement nationaux ; certains, tels que le Bénin, le Burkina Faso et le Mali, ont adopté des politiques éducatives informelles. Mais les engagements pris, dans le cadre de ces plans, en faveur de l’alphabétisation sont souvent limités en termes de portée, et fragmentés, selon le rapport.
« Ces engagements ne doivent pas seulement être mis par écrit dans [un document] politique, ils doivent également devenir prioritaires et se voir consacrer des budgets adaptés », a estimé Mme Pearce.
Où sont les fonds ?
L’éducation est souvent le poste le plus important des budgets publics ouest-africains, selon Mme Pearce, mais aucun gouvernement ouest-africain n’atteint la barre des sept pour cent du Produit intérieur brut (PIB), un objectif que les ministres s’étaient engagés à atteindre en 2005. Par rapport au PIB, les dépenses varient entre 1,7 pour cent pour la Guinée et 6,6 pour cent pour le Cap-Vert.
La Campagne mondiale pour l’éducation (CME) a appelé les gouvernements à consacrer 20 pour cent des budgets nationaux à l’éducation, ce qui permettrait de financer les formations d’alphabétisation de 6,5 millions de personnes, si cet engagement est tenu pendant trois ans.
Mais même cela ne suffit pas, à en croire Mme Pearce. « Si le Liberia consacrait l’intégralité du budget de son gouvernement à l’enseignement primaire, cela ne représenterait que 220 dollars par enfant, contre 9 138 dollars, actuellement, aux Etats-Unis », a-t-elle expliqué.
Selon Alice Tiendrébéogo, directrice du Fonds national pour l’alphabétisation et l’éducation non-formelle, au Burkina Faso, le gouvernement ne peut pas faire face à la demande en formations d’alphabétisation.
« Nous ne pouvons répondre qu’à environ 60 pour cent des demandes que nous recevons… Nous prévoyons de porter le taux d’alphabétisation à 60 pour cent d’ici à l’an 2015 ; or, il nous faut pour cela 181 millions de dollars, et depuis notre création, nous n’avons pu réunir qu’un peu plus d’un quart de cette somme ».
L’aide totale à l’éducation accordée à la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) par les bailleurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques est passée de 500 millions de dollars, en 2005, à 1,2 milliard de dollars en 2007, mais 60 pour cent de cette somme a été consacrée au Nigeria, au Ghana et au Mali.
« L’aide à l’éducation accordée par les pays riches à l’Afrique de l’Ouest en 2007 ne représentait qu’un pour cent de ce que le gouvernement américain a dépensé rien que pour renflouer les caisses d’AIG [compagnie d’assurance] », a noté Mme Pearce.
Dans le cadre de l’aide à l’éducation, les bailleurs devraient s’intéresser davantage à l’alphabétisation, selon le rapport.
« A moins que nous n’observions un réel changement en faveur d’une augmentation significative [des fonds consacrés à l’alphabétisation], nous allons voir des segments entiers de population privés de possibilités de développement ».