L’occasion était trop belle pour ne pas être exploitée politiquement par l’administration américaine. La concomitance des troubles dans le monde arabe avec la mort du chef d’Al-Qaida semble tellement parfaite qu’elle peut susciter des interrogations et de la suspicion.
En politique tout est possible, notamment quand il s’agit de défendre des intérêts vitaux et parfois communs. Il est bien connu qu’en période de grande incertitude, d’euphorie collective, de guerre ou de tout autre évènement majeur qui occupe et préoccupe les esprits, notre psychisme déjà conditionné est apte à accepter toute autre information, qui en temps ordinaire aurait pu provoquer des réactions inattendues et imprévisibles.
Pourquoi le « frère » Barack Hussein Obama a-t-il choisi ce moment pour éliminer Ben Laden ?
Dans une précédente chronique, nous avions écrit qu’en décernant le prix Nobel de la paix à Barack Hussein Obama, ce comité l’a de fait investi d’une mission quasi « divine ». Sauver le monde du chaos, de la barbarie de la guerre, du choc des civilisations, et des conflits idéologiques entre les peuples, prônés par son prédécesseur. Cet afro-américain et d’origine musulmane a su faire rêver toute la planète en lui redonnant de l’espérance, mais également en réconciliant le peuple américain avec le reste du monde, notamment avec le monde arabo-musulman. Lors de son discours mémorable du 4 juin 2009 au Caire, où il avait osé saluer le monde musulman par ce « Salamm aleïkoum », au risque de s’attirer les foudres de ceux qui le considèrent aujourd’hui encore comme un « étranger et musulman », il avait conquis les cœurs et les esprits. Pour les musulmans, il devenait de fait, un des leurs, un « Frère ». Ils avaient oublié qu’il avait été élu par le peuple américain pour défendre ses intérêts, et les siens avant tout. Pour ses adversaires politiques et les autorités Israéliennes, la position du « frère » Obama troublait et bouleversait l’ordre établit au sein des relations géopolitiques et stratégiques dans la région.
Avec les révolutions dans le monde arabe, « organisées » ou pas, dans un ensemble de dispositifs dont le but final aurait plusieurs objectifs dont la mort de Ben Laden, afin de laver l’affront fait au peuple américain, Obama vient de renforcer ses chances de réélection à un an de cette échéance. Selon plusieurs observateurs bien informés, « la cachette du chef d’Al-Qaida était connue de longue date ». Pourquoi alors avoir choisi ce moment trouble dans les différentes révolutions arabes pour passer à l’action ? Pourquoi les américains, qui viennent de démontrer qu’ils restent la plus grande puissance militaire du monde par cette extraordinaire opération commando pour éliminer Ben Laden, donne l’impression de peiner pour neutraliser Kadhafi et les autres dictateurs qui massacres leurs populations ? Peut-être que ce moment sert tout simplement les intérêts communs des USA, du Pakistan et d’autres nations, dont les pays arabes eux-mêmes, pour qui Al-Qaida représente une menace sérieuse pour leurs intérêts, notamment économiques. Ce moment peut aussi avoir été choisi pour envoyer un signal fort aux différents dictateurs de la planète, en l’occurrence dans le monde arabe. Mais surtout en vue des prochaines élections présidentielles américaines dans un an.
Les organisations terroristes islamistes soumis à une double pression
Déjà menacés par les révolutions de la jeunesse dans le monde arabe pour l’instauration de la démocratie et des libertés individuelles et collectives, les intégristes musulmans sont aujourd’hui soumis à une double pression suite à la mort de Ben Laden. L’absence de réactions massives et violentes suite à l’assassinat du chef d’Al-Qaida montre à quel point le combat des intégristes contre l’Amérique de Bush et l’occident est « dépassé », voire même « rejeté » par les populations musulmanes et arabes. Ces populations se sont désolidarisées de cette idéologie qui les a plutôt marginalisées et discréditées. Aujourd’hui, la plupart de ces populations sont sur d’autres formes de lutte non idéologiques pouvant leur permettre un avenir non hypothéqué. En 2001, Ben Laden avait réussi à fédérer autour de sa cause une grande partie du monde arabe et musulman, parce qu’il représentait un « symbole ». Celui qui défendait leur religion attaquée, bafouée et humiliée. Pressés par les occidentaux qui profitent de la faiblesse, de la marginalisation et de l’isolement des intégristes, ces derniers sont de fait confrontés à de nombreux dilemmes. Par exemple, comment apporter une réaction adaptée à cet assassinat, sans se couper encore plus de leurs jeunesses et de l’ensemble des populations arabes et musulmanes qui les accusent d’être à l’origine en partie de leur détresse économique ?
Barack Hussein Obama, le « faux Frère », le « Traître »
La mort humiliante de Ben Laden reste un coup très dur à encaisser pour ces intégristes. Il est encore plus dur parce qu’il vient de cet homme, Obama Hussein, qui était considéré par le monde arabo-musulman comme un « Frère ». Aujourd’hui, il devient Hussein le « faux frère », le « Traître ». Ce sentiment de trahison par cet afro-américain d’origine musulmane par son père est une pilule très difficile à avaler. Ce que G.W. Bush n’a pas réussi à réaliser malgré l’humiliation causée par les attentats en 2001, et le désir de justifier ces guerres en Irak et en Afghanistan, c’est lui, le « Frère » qui parvient à le faire. Comme quoi, on ne se méfie pas assez de ses « frères ». Peut-être que le retrait des troupes américaines des pays arabes permettrait aux uns et autres d’éprouver le sentiment d’avoir « réussi » à faire plier l’autre et sauver ainsi la face. Dans ce cas, le grand perdant de cette mascarade serait alors Ben Laden. Il est mort dans l’indifférence la plus totale et marginalisé par ces révolutions pour la démocratie, les libertés et peut-être même pour l’instauration d’un islam compatible avec l’idée d’une laïcité adaptée aux réalités du monde arabo-musulman.