Le réalisateur haïtien Raoul Peck prend son bâton de pèlerin pour nous livrer une fresque efficace sur l’ascension et la chute inévitable de Patrice Lumumba, architecte de l’indépendance congolaise.
En 1991, le réalisateur haïtien Raoul Peck s’était déjà attaqué au cas Lumumba avec un documentaire très réussi, » Lumumba, la mort d’un prophète « . Il récidive avec » Lumumba « , un film de fiction sorti le 4 octobre en France. L’accueil de la presse a été plus que mitigé, celle-ci reprochant au film son manichéisme et ses clichés. Pourtant force est constater que rien ou presque n’a été fait cinématographiquement sur la tragédie congolaise du début des années 60.
Raoul Peck a choisi de viser un large public, et sa mise en scène est en ce sens simplissime. Mais elle fonctionne bien. » Je réalise ce qu’on me laisse réaliser » déclarait-il dans Libération, et » Si je dois américaniser et mettre en scène pour mieux me faire comprendre, je n’hésite pas « . Son but pédagogique est indéniablement atteint. Raoul Peck a le mérite de parler sans détours d’une page douloureuse de l’histoire congolaise.
De la bière au ministère
Et l’on suit Patrice Lumumba, vendeur de bière à Stanleyville (désormais Kisangani), qui va devenir en quelques mois un leader nationaliste de premier ordre. Symbole de la lutte anti-coloniale au même titre qu’un Nkruma, sa chute sera aussi fulgurante que l’aura été son ascension. Les débuts en politique de Patrice Lumumba sont exaltés et exaltants. L’idéalisme du jeune Congolais trouve un écho dans la certaine naïveté des scènes de harangues sur une place arborée qui revient plusieurs fois dans le film.
Idéaliste, Lumumba l’est sans conteste, et le film montre bien combien il a sous-estimé les enjeux internationaux, la lâcheté et la corruption de ses pairs, la puissance des Etats-Unis, l’hypocrisie de la Belgique et la passivité de l’ONU. Autodidacte, c’est un battant et un jusqu’au-boutiste, mais c’est aussi quelqu’un qui n’accepte aucun compromis alors que la situation exigeait peut-être plus de nuance. Eriq Lebouaney incarne avec style celui qui va devenir le martyr de la décolonisation au Congo. Puissant et radical, l’acteur campe un personnage qui oscille entre sa fonction de père de famille et de chef politique. A ses côtés, Alex Descas abandonne ses traits au futur général Mobutu. Deux grands acteurs pour deux figures emblématiques.
Film témoignage
L’indépendance du Congo est proclamée le 30 juin 1960. Patrice Lumumba devient Premier ministre. Il le restera deux mois, au terme desquels il sera arrêté, emprisonné et torturé et enfin abattu par un peloton d’exécution. Mais l’acharnement n’a pas de limite. » Même mort, je leur faisais encore peur » dit Lebouaney-Lumumba. Même mort, il faut en finir avec l’homme pour laisser la place au mythe. Le cadavre sera donc découpé et dissout dans de l’acide sulfurique. Cet assassinat, qui contribue à l’installation de la dictature de Mobutu, hante encore la nation belge.
Le film, qui a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs au dernier Festival de Cannes, a fait l’ouverture de la neuvième Quinzaine du cinéma francophone au Centre Wallonie-Bruxelles de Paris, et doit être diffusé en Afrique. Quel que soit le continent, c’est un film témoignage et pédagogique qui tente de lutter contre la pire des plaies : l’oubli.
Lumumba, film franco-belgo-haïtien de Raoul Peck. Avec Eriq Ebouaney, Alex Decas, Maka Kotto. (1h56)
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