Lucy Esipila, Secrétaire Exécutive de Caritas Africa, une organisation caritative de l’Église catholique, a accepté de répondre aux questions d’AFRIK.COM. De nationalité kényane, elle se définit comme une femme ambitieuse, humble et engagée dans la promotion de l’œuvre de son Église. Son accession à la coordination régionale de Caritas Africa basée à Lomé est « un fruit de la grâce divine », selon elle. Dans cet entretien à cœur ouvert, elle revient sur son parcours, ses priorités pour son nouveau poste, ses perspectives d’avenir en tant que femme leader et sa relation avec son Créateur, en qui elle place tous ses espoirs.
Entretien
AFRIK.COM : Que pouvons-nous retenir de votre parcours scolaire et académique ?
Lucy Esipila : J’ai fait des études en communication et relations publiques à l’Université Moi au Kenya. J’étudie actuellement le développement, la diplomatie et la sécurité internationale, à l’Université Daystar au Kenya et je finalise ma thèse, dont les recherches portent sur les « Régimes migratoires de l’Union Africaine : Analyse comparative de la mise en œuvre au Kenya et en Afrique du Sud ».
Parlez-nous un peu de votre mission au sein de Caritas ?
J’ai six ans d’expérience sur le terrain dans le diocèse catholique de Maralal, dans le comté de Samburu, au Nord du Kenya. J’ai travaillé sur plusieurs projets de développement, notamment sur les moyens de subsistance durables, l’autonomisation économique des femmes, la promotion de l’eau, de l’assainissement et de l’hygiène dans les écoles et le plaidoyer au niveau communautaire.
Le diocèse catholique de Maralal est le fondement de ma compréhension des défis de développement auxquels sont confrontées les communautés africaines au niveau microéconomique. J’ai beaucoup appris des communautés pastorales et de la manière dont les connaissances indigènes pouvaient façonner les mécanismes d’alerte précoce. Par exemple leur capacité à prévoir une sécheresse simplement en évaluant la qualité du lait de vache. J’ai compris comment les communautés Samburu, Turkana et Pokot faisaient face aux défis environnementaux résultant du changement climatique.
La dynamique la plus intéressante a été l’engagement des enfants en tant qu’agents de paix. Le point culminant de mon séjour à Maralal a été la participation à des camps d’enfants pour la paix. Je remercie tout particulièrement l’évêque émérite Virgilio Pante pour l’opportunité qui m’a été donnée de travailler à Caritas Maralal, sous la direction de M. Evans Onyiego, un champion de la paix bien connu.
Au cours de ma mission, j’ai également eu l’occasion de gérer la station de radio catholique diocésaine – Radio Mchungaji 94,5 FM – et j’ai compris le rôle que les médias peuvent jouer dans la communication pour le développement et l’évangélisation. D’octobre 2018 à décembre 2019, j’ai travaillé à la Caritas nationale du Kenya, en tant que coordinateur national pour la recherche, la communication et le plaidoyer. Les 15 mois passés à Caritas Kenya m’ont permis de découvrir le plaidoyer international et la Confédération Caritas Internationalis.
En janvier 2020, j’ai commencé à soutenir des initiatives de plaidoyer pro-bono à Caritas Afrique et en juin 2020, j’ai rejoint l’établissement, en tant que responsable de la politique et du plaidoyer. Enfin, en mai 2023, j’ai été élue Secrétaire exécutive régionale (Coordinatrice régionale) de Caritas Africa. En tant que Secrétaire exécutif, je porte littéralement deux casquettes. Il s’agit de Secrétaire général du Réseau et Directrice générale du Secrétariat exécutif régional dont le siège est à Lomé, au Togo.
Votre nomination en tant Coordinatrice régionale de Caritas Africa pour un mandat de 4 ans marque une nouvelle étape dans votre carrière. Quel sentiment vous anime après cette accession ?
Pour moi, cette nomination est une nouvelle expérience que Dieu a créée pour moi. J’ai vécu au Kenya toute ma vie, même si la nature de mon travail m’amène à beaucoup voyager. C’est donc la première fois que j’émigre et que je reste à Lomé, au Togo, pendant mon mandat.
Avez-vous rencontré des problèmes d’adaptation ?
Il y a, bien sûr, quelques différences. Par exemple nous, les Kényans, aimons la viande, et au Togo, c’est une capitale balnéaire. Je dois donc m’habituer à manger du poisson.
Le Togo est un pays francophone ; j’ai étudié le français à l’Alliance française de Nairobi et c’est maintenant l’occasion pour moi d’améliorer mon français et d’acquérir de l’assurance à l’oral. Ce n’est pas facile, mais je suis prêt à relever le défi. Je suis heureuse d’avoir été mise en contact par le consulat du Togo au Kenya, avec la petite et dynamique communauté kényane au Togo. Ils m’ont beaucoup aidée. Une représentante, Mme Diana Orry d’Ecobank, a assisté à la cérémonie officielle de passation des pouvoirs entre le coordinateur régional sortant et le nouveau coordinateur régional. Et j’ai trouvé cela très encourageant.
L’Église, par l’intermédiaire de Caritas, a franchi des étapes importantes dans la promotion du leadership des femmes
Quelles sont les difficultés auxquelles vous faites face dans votre travail de tous les jours ?
Chaque poste de direction comporte ses propres défis, l’important étant de parvenir à un équilibre. L’Église, par l’intermédiaire de Caritas, a franchi des étapes importantes dans la promotion du leadership des femmes. Le changement est en cours et il est le bienvenu. Je suis encore nouvelle dans ce rôle et je n’ai pas encore été confrontée à des défis majeurs. Mais je suis sûre qu’ils viendront.
Je suis consciente que la dynamique des jeunes femmes, à la tête de l’Église, doit être constamment discutée au sein des structures de l’Église, afin que les femmes aient toujours des systèmes de soutien pour faire face aux défis quotidiens. Je citerai un exemple typique d’un défi auquel je pense que la plupart des femmes dirigeantes sont confrontées : il s’agit du défi de l’énigme de la sympathie contre la compétence, qui crée une fausse dichotomie selon laquelle une femme doit décider si elle veut être sympathique (serviable, solidaire, non respectée ou considérée comme une dirigeante) ou compétente (assurée, stratégique, non aimée, « autoritaire »).
Cela entraîne des préjugés inconscients dans la manière dont les gens vous perçoivent en tant que femme occupant un poste d’encadrement supérieur. Il faut trouver un équilibre pour s’assurer que la compétence est prononcée au profit des organisations membres de Caritas Africa. Et aussi être conscient que tout le monde ne vous aimera pas et ne vous appréciera pas. L’essentiel est de reconnaître qu’il s’agit d’une mission de Dieu et que la mission de l’Église d’évangéliser en servant les pauvres doit être à la base de tout ce que nous faisons.
Je me considère chanceuse, car j’ai reçu beaucoup de soutien de la part de l’Archevêque de Lomé, Mgr Nicodème Anani Barrigah-Benissan, et du Directeur National de Caritas Togo (OCDI), qui accueille Caritas Africa et qui m’a beaucoup soutenu. Le personnel du Secrétariat Exécutif Régional m’a soutenu, et je comprends que c’est un nouveau défi pour eux aussi, après avoir eu une relation de travail horizontale avec moi, et maintenant je dois les servir en tant que leader.
Les organisations membres, les Évêques Présidents et nos partenaires ont été très gentils et m’ont envoyé des mots d’encouragement. Je consulte aussi régulièrement les membres du conseil d’administration, ce qui s’est avéré très utile. En outre, au sein du réseau Caritas, nous disposons d’un forum pour la promotion du leadership féminin, qui aide les femmes à relever les défis auxquels elles sont confrontées.
Nous espérons construire des communautés résilientes en Afrique, à travers la mission que l’Église nous a confiée
Quelles sont vos perspectives d’avenir en tant que femme engagée en faveur du développement du continent ?
Mon prédécesseur à ce poste, M. Albert Mashika, avait l’habitude de me dire : « Vous avez le plaidoyer dans le sang… ». Avec l’équipe et le comité régional de plaidoyer, nous continuerons à défendre les droits des communautés que nous servons par l’intermédiaire de l’Église. Nous souhaitons assister à la concrétisation du leadership local afin que les Caritas locales soient habilitées à fournir des services de base efficaces et fiables à la Caritas diocésaine. Au niveau du Secrétariat, ma mission personnelle est de promouvoir la formation professionnelle et le développement du personnel, ce qui sera ensuite reproduit au niveau diocésain.
Sur le plan personnel, mes études supérieures m’ont permis de prendre conscience des défis complexes auxquels l’Afrique est confrontée, en raison du déséquilibre commercial et du rôle que doit jouer l’Union Européenne dans ce domaine : Le déséquilibre commercial et le rôle que l’Organisation mondiale du commerce devrait jouer pour y remédier, les crises de la dette souveraine auxquelles sont confrontés de nombreux pays africains et le rôle du FMI et de la Banque mondiale pour amortir ce fardeau, le secteur manufacturier rudimentaire en Afrique qui affecte notre industrie textile locale et favorise l’achat de vêtements de seconde main. Il y a aussi le défi du système alimentaire et l’impact des engrais synthétiques et des pesticides sur la santé des sols, la santé humaine et l’écosystème. Nous espérons construire des communautés résilientes en Afrique, à travers la mission que l’Église nous a confiée.
Quel message à toutes les filles qui vous considèrent comme une source d’inspiration ?
Je m’inspire de 1 Timothée 4 : 12 « Ne te laisse pas mépriser par les jeunes, mais donne aux croyants l’exemple de la parole, de la conduite, de l’amour, de la foi et de la pureté ». Mon message aux jeunes filles est qu’elles doivent faire attention à leurs paroles, à leur conduite dans les sphères privée et publique, à la manière dont elles démontrent leur amour, en particulier envers les personnes qui ont besoin d’aide, à la manière dont elles lient leur foi à leurs actions et à la manière dont elles garantissent la pureté, de sorte que, lorsque quelqu’un les méprisera, elles continueront à donner l’exemple.
Elles sont les moteurs de leur destin et ne doivent pas encourager le doute de soi ou le syndrome de l’imposteur (l’incapacité persistante de croire que son succès est mérité ou qu’il a été légitimement obtenu grâce à ses propres efforts ou compétences). Voyez l’exemple du roi Josias 2 Chroniques 34 :1-25 : « il avait huit ans lorsqu’il est devenu roi et a régné pendant 31 ans à Jérusalem ». C’est-à-dire que lorsque Dieu vous confie une mission, il la mènera à son terme, en son temps.