Lot-et-Garonne : Une agricultrice marocaine condamnée pour l’exploitation de 24 compatriotes


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Emblèmes de la justice
Emblèmes de la justice

Au terme de l’audience, le tribunal correctionnel d’Agen a condamné ce mercredi 18 décembre une exploitante agricole de 50 ans, d’origine marocaine, pour traite d’êtres humains et travail dissimulé. Cette affaire, qui concerne l’exploitation de 24 travailleurs marocains dans des conditions qualifiées d' »esclavage moderne » par la justice, révèle l’ampleur d’un système d’exploitation touchant le secteur agricole français.

L’affaire met en lumière un mécanisme d’exploitation sophistiqué, commençant au Maroc même. Des jeunes hommes s’y voient proposer un avenir prometteur en France : un salaire de 10 euros de l’heure, un logement décent, et la perspective d’obtenir des papiers pour s’installer durablement. Pour concrétiser ce rêve d’une vie meilleure, leurs familles investissent des sommes considérables, allant jusqu’à 10 000 euros, mobilisant souvent toutes leurs économies.

Des conditions de travail relevant de l’esclavage moderne

La réalité sur place s’avère brutalement différente. Oussama, un jeune Marocain de 20 ans arrivé en juin 2022 sur l’exploitation d’Espiens, témoigne de conditions de travail inhumaines : « On commençait le travail à 8 heures, sans tenue de sécurité, en short et en tee-shirt. Je travaillais tous les jours, entre 9 et 11 heures par jour, avec une température qui atteignait les 36 degrés. Sans nourriture et sans argent, on décidait pour moi de ce que j’allais faire dans la journée. »

Les victimes se retrouvaient entassées dans des logements insalubres, parfois à huit par chambre. Pour trois mois de labeur intensif, certains n’ont reçu que 500 euros, une somme dérisoire au regard des promesses initiales et du droit du travail français.

Une emprise psychologique totale

Au-delà des conditions matérielles déplorables, les victimes subissaient une forte pression psychologique. « T’as pas le droit de t’arrêter, pas le droit d’être fatigué, tu dis rien. Tu dors pas, ou une heure ou deux heures par nuit. Et tous les jours tu recommences« , raconte Oussama. Les travailleurs étaient maintenus dans un état de peur constant, menacés d’être dénoncés à la police ou de perdre toute chance d’obtenir leurs papiers s’ils se plaignaient.

Me Sylvia Goudenège-Chauvin, avocate des parties civiles, alerte sur l’ampleur grandissante de ce phénomène en Nouvelle-Aquitaine, région où l’agriculture occupe une place prépondérante, notamment avec la production vinicole. « On prend conscience de l’ampleur du phénomène« , affirme-t-elle. « Ce sont des gens qui sont dans un pays qu’ils ne connaissent pas, qui ne parlent pas forcément la langue. Ils ne savent pas vers qui s’adresser et parfois, ils ont l’interdiction de quitter le logement, c’est compliqué d’appeler à l’aide. »

Une victoire judiciaire qui doit faire date

La condamnation de l’exploitante, prononcée en son absence pour raisons médicales, marque une étape dans la lutte contre la traite d’êtres humains dans le secteur agricole français. Pour les victimes, comme Oussama, l’enjeu dépassait largement la question financière. « Il m’a dit qu’il ne voulait pas d’argent« , témoigne son avocate, « mais quand je lui ai dit qu’au moins ça rembourserait sa maman, il m’est tombé dans les bras. Il est pétri de culpabilité, car c’est sa famille qui a tout fait pour l’emmener ici.« 

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