Il y a encore un peu plus d’une décennie seulement, la longévité au pouvoir était louée et célébrée comme une performance en soi dans les pays africains. Rien de bien surprenant pour nos sociétés qui ont dans leur histoire procédé par cooptation ou par succession héréditaire au choix de leurs représentants, et dont les langues trouvent difficilement d’équivalents au concept de démocratie. C’était avant que le contact avec d’autres civilisations n’impose de nouveaux référentiels d’organisation sociale, évacuant progressivement des mémoires et sensibilités locales l’ADN culturel originel. Tous les pays africains se sont alors résolument engagés, au moins dans les discours, dans l’assimilation de ce nouveau référentiel d’organisation sociale jusqu’à consacrer de nos jours l’alternance démocratique et pacifique comme une des principales garanties de leur maturité politique. Après tout, ne s’agit-il pas surtout, au-delà de tout effet de mode, d’ouvrir la possibilité à une grande variété d’aspirations, de compétences, de talents et de sensibilités de s’exprimer à la tête de l’Etat ?
En 2007, l’image du feu Omar Bongo célébrant son quarantième anniversaire au pouvoir dégageait déjà un étouffant parfum d’anachronisme. Les modèles subsahariens et les révolutions arabes en Afrique du Nord ont achevé de frapper les esprits en confirmant définitivement la foi de la jeunesse africaine en l’inaliénabilité de la souveraineté du peuple. Bientôt en Afrique, laisser les dirigeants passer plus de quinze ans à la tête de l’Etat deviendra insupportable dans la plupart des pays, au fur et à mesure qu’ils feront de manière endogène l’expérience de l’alternance démocratique et pacifique. En attendant, le venin des régimes installés depuis plusieurs décennies et qui continuent à coloniser les espaces politiques d’une dizaine de pays africains, commence à perdre de son effet politiquement anesthésiant ; alors que les contextes nationaux de plus en plus bouillonnants, transforment désormais ces féodalités moyenâgeuses en véritables phénomènes de foire. Dans cet article, observons le mode de fonctionnement de ces environnements politiques d’un autre âge.
L’Afrique ne fera plus exception aux principes démocratiques
Pendant longtemps, il s’était comme établi dans les esprits que les peuples africains ne seraient jamais en mesure de démontrer plus que ces expériences frelatées de démocraties tropicalisées des années post-indépendances. Les transformations aujourd’hui observées dans un certain nombre de pays démentent vigoureusement cette thèse qui leur reconnaîtrait définitivement une simple continuité des régimes de chefferies et royaumes traditionnels où le monarque, maître de l’exécutif, du judiciaire et du législatif, règnerait à vie, puis lèguerait le pouvoir à sa descendance. D’abord c’était mal connaître le subtil équilibre des pouvoirs qui avait cours dans les cours royales africaines avec une distribution originale des pouvoirs politiques, religieux et économiques. En plus, tant que le rayon des nations et Etats africains était celui de ces petites entités traditionnelles héritées des ancêtres constituées de quelques centaines ou milliers d’individus, le mode héréditaire de gouvernance semblait familier, car reconnu par l’ensemble des membres du groupe comme héritage ancestral constitutif de l’identité collective.
Mais avec la création des Etats postcoloniaux, les pays africains ont été confrontés à la gestion de masses plus importantes en nombre et hétérogènes en composition ethnique, ainsi qu’à une ouverture de fait sur le monde occidental, et sont par conséquent amenés à opérer une migration vers le nouveau référentiel en s’initiant à d’autres techniques de gouvernance plus compatibles avec les nouvelles entités sociopolitiques. Non pas qu’on ait à se désarmer de vertueuses coutumes et croyances ancestrales, mais simplement qu’on se doive, par évidente nécessité, de faire dans nos cultures le tri en évaluant la compatibilité avec les aspirations des peuples d’aujourd’hui en matière de bien-être collectif et individuel. Il s’agit là du reste de la même démarche dont les cultures africaines auraient de toute façon fait l’objet même si elles n’avaient eu par miracle aucun contact avec l’occident, toutes les cultures possédant bien cette faculté adaptative.
On peut volontiers accorder du crédit à la thèse selon laquelle promouvoir prématurément un développement politique (défense des libertés tous azimuts) dans un contexte de misère économique reviendrait à ouvrir la voie à l’anarchie, mais un développement économique imposé d’une manière dite éclairée ou visionnaire ne serait en soi concevable que si les trois conditions suivantes sont remplies : i) il produit rapidement -en deux à trois ans- les résultats économiques et sociaux attendus ii) il s’établit dans un registre éthique humainement et socialement acceptable et iii) il s’inscrit politiquement dans un espace temporel limité. Autrement, à force d’être craint trop longtemps, le dictateur vire à la tyrannie et plonge le pays dans une tragique léthargie sociale, institutionnelle, politique et économique.
L’Afrique Centrale, un cas d’école de résistance à l’alternance
C’est ainsi le cas en Afrique centrale, où sous les régimes dictatoriaux respectifs, la sortie de pauvreté apparaît particulièrement lente et s’inverse même dans les zones rurales selon la Banque Mondiale, pendant que le développement politique ronge ses freins. Les pays d’Afrique Centrale sont de ce fait, malgré la diversité de leurs parcours historiques et de leurs évolutions économiques récentes, des cas d’école illustrant parfaitement cette résistance presque maladive à l’alternance démocratique pacifique. Les dirigeants continueraient bien à tolérer quelques audaces passagères de leurs sujets, et s’accommoderaient bien de quelques contraintes internationales sur la gestion des finances publiques. Au titre de la décentralisation, ils conviendraient même, au pire, d’un certain partage du pouvoir avec quelques potentats locaux parfois ouvertement irrévérencieux. Mais est absolument exclu du casting des possibilités ce véritable crime de lèse-majesté qu’est une défaite à l’élection présidentielle. Lequel de leurs sujets oserait-il se prévaloir d’un tel affront ? L’alternance à la tête de l’Etat, c’est à la mort d’en décider, les coups d’Etat et autres révolutions populaires étant à mettre sur le compte de simples accidents de parcours. Ainsi va le crédo de cette tribu qui colonise les arènes politiques depuis le lendemain des indépendances. La démocratie les habite tel un virus informatique qui génère régulièrement des incompatibilités avec le système de valeurs qui fondent leurs croyances et leurs identités. Sont-ils nostalgiques des régimes originels de chefferies et royaumes traditionnels, ou otages de réseaux élitaires et visqueux aux relents mafieux qu’ils ont implantés et entretenus depuis leur accession au pouvoir ?
Au lendemain des indépendances, les premiers pas des dirigeants sont hésitants et particulièrement délicats. Ils doivent « coopérer » avec l’ancienne puissance coloniale en manifestant de la fermeté face aux mouvements internes contestataires ou rebelles dans un contexte international de guerre froide. Pour organiser les administrations locales et les structurer, les nominations et promotions sont des faveurs accordées à ceux qu’on prend le soin de passer au moule de l’école coloniale. Et les nouveaux dirigeants se présentent en véritables guides pour le reste du peuple, tant qu’ils bénéficient de la confiance de la tutelle coloniale de laquelle ils tiennent réellement leur légitimité. Au fil des années, ils sont, avec leurs successeurs, crédités d’une sagesse et d’une magnanimité proportionnelles à la terreur qu’ils manifestent à l’égard de leurs téméraires d’opposants. Ils doivent tout construire, ils créent des appareils politiques dont la plupart se transforment rapidement en outils de propagande à leur gloire, en l’absence d’initiation au débat politique.
Le parti au pouvoir : une véritable cour royale
A la tête du parti dominant qu’il a fondé, qu’il dirige et qui domine la vie politique du pays, le Président remporte systématiquement l’élection présidentielle, rarement avec moins de 75% des suffrages, et dispose en moyenne des deux-tiers des sièges à l’Assemblée Nationale. A l’avènement du multipartisme, le parti du Président a hérité des moyens de l’ancien parti unique c’est-à-dire des moyens de l’Etat, sans égard pour les partis d’opposition, aussi nombreux que divisés. Le parti au pouvoir, véritable Etat dans l’Etat, dispose : i) d’une organisation impressionnante dévouée au Président, avec des filiales et ramifications pour jeunes et pour femmes dans le moindre recoin du pays ii) d’un état-major constitué de notables politiques et économiques dépourvus de parole propre et qui forment le bureau politique et le comité central, où se jouent des intrigues dignes d’une cour royale iii) de groupuscules satellites de natures politiques, associatives et culturelles de soutien qui rivalisent de dénominations pour attirer les bienveillantes attentions du Président et de la Première Dame, et légitimer leurs propres systèmes de prévarication et de clientélisme. En jouant les griots à chaque sortie du couple présidentiel, ils se doivent de lui donner constamment l’impression d’une indéfectible ferveur populaire.
Le parti-Etat domine l’ensemble des corps constitués et toute l’administration publique. Les hauts fonctionnaires passent en quelque sorte un examen d’allégeance au parti et à son fondateur avant leur nomination, la plupart étant d’ailleurs maires ou responsables au sein du parti dans leurs localités d’origine. Ils animent des meetings dans leurs villages et rédigent régulièrement au nom de tous les villageois les fameuses Motions de soutien que les médias d’Etat, respectueux des bons usages, publient bruyamment et sans le moindre scrupule. Le parti-Etat recrute également dans la quasi-totalité de la classe d’affaires du pays. Ces hauts dignitaires économiques, élites respectées et craintes dans leurs villages, assurent leur propre survie économique par de généreux dons de toute nature au parti-Etat ainsi qu’aux pontes du régime. A défaut de quoi, des contrôles fiscaux, en temps normal sobres et routiniers, pourraient spontanément devenir professionnels ; des réglementations et des procédures de dédouanement de marchandises pourraient devenir anormalement complexes, car dans un tel environnement ce n’est pas bien difficile de trouver la petite bête. Une telle fidélité est de temps en temps récompensée par des sièges municipaux, législatifs ou ministériels pour eux-mêmes ou leurs parentés. Le parti recrute également parmi les universitaires de renom. Souvent ouvertement soucieux de mettre leurs matières grises à contribution, ils se retrouvent tôt ou tard sans intégrité et sans consistance scientifique, englués dans des intrigues politiciennes, en particulier lorsqu’il faut inventer des astuces juridiques et discursives adéquates pour rassurer, entretenir et perpétuer le régime. Le pouvoir judiciaire lui aussi joue parfaitement le jeu : les magistrats, jaloux de leurs conforts familiaux et sociaux, redoutent les conséquences professionnelles hautement incertaines d’une pratique judiciaire par trop orthodoxe. Le pouvoir législatif n’est pas en reste, les députés savent à quel point ils doivent leurs sièges au parti et à son fondateur. L’Assemblée Nationale, loin de représenter le peuple, n’est dès lors qu’une chambre d’enregistrement et d’exécution des vœux du pouvoir exécutif, véritable maître de l’agenda et du contenu des sessions. Pas surprenant que les lois proviennent systématiquement de l’exécutif.
Des réseaux privés surplombent les réseaux officiels
Dans ces conditions, le personnel politique, habitué à chanter les louanges du Président et à mendier sa confiance, réduit à son tour le peuple à la courtisanerie en l’étourdissant par des promesses alimentaires et des cantines publiques, en guise de débats politiques et de campagnes électorales. L’accès à l’information factuelle et chiffrée sur l’action de l’Etat est une véritable gageure. Engager un débat politique de fond peut apparaître comme une atteinte à la pudeur et à la sûreté de l’Etat. Les ministres et les hauts fonctionnaires sont comme des faire-valoir institutionnels et tribaux, positionnés en éclaireurs lors des élections pour donner un vernis politique aux mascarades électorales. Le ministre représente d’abord sa région, son village d’origine voire sa tribu et y est porte-drapeau du parti. Il n’a que peu d’autonomie dans l’accomplissement de sa mission ministérielle, et doit très souvent attendre indéfiniment l’arbitrage de la Présidence sur des dossiers urgents, d’où l’impréparation et l’improvisation caractéristiques de ces systèmes. En général, le ministre doit absolument tout au Président ou à son entourage, tout comme ses collaborateurs immédiats tiennent parfois leur légitimité tellement haut dans la hiérarchie des réseaux qu’ils défient constamment son autorité. Le seul mérite qui tienne est celui d’être de la bonne tribu ou du bon réseau.
La nomination n’est pas une responsabilité mais une décoration, un accomplissement en soi. Pour en arriver là, le prétendant a tellement durement « lubrifié » les circuits de sa nomination qu’il aura premièrement à cœur de se refaire, puis de s’assurer par tous les moyens financiers et ésotériques une longévité au sérail car les forces centrifuges sont redoutables et les armes de combat souvent non conventionnelles. Il installe de ce fait ses propres circuits de clientélisme à travers les réseaux familiaux, tribaux et économiques de dépendance et d’interdépendance, et très vite il est actionnaire secret de plusieurs sociétés, propriétaire de titres fonciers, parfois sans avoir déboursé le moindre sou. L’efficacité ministérielle ne vient qu’en accessoire et n’est réellement mise à l’épreuve que si son portefeuille l’amène de fait sous les feux des projecteurs, notamment internationaux. Ainsi, d’une année à l’autre, puis d’une décennie à l’autre, le Président se retrouve à la fois moteur et otage de ce système interne de réseaux vicieux, véritable organisme vivant devenu autonome, qu’il ne peut souvent profondément réformer qu’à ses propres dépens. Face à un tel rouleau compresseur, être durablement opposant c’est proprement faire preuve de témérité voire d’inconscience, ou souvent de connivence en passant des accords secrets avec le parti au pouvoir.
De la sensibilité monarchique à la sensibilité républicaine
Sur le dos de la démocratie professée à tout va, se joue donc une sorte de monarchie qui tire ses racines sans doute des profondeurs de nos régimes de chefferies et royaumes traditionnels africains où il apparaissait déviant de contredire en public le roi, le mâle et l’ainé. Il y a moins d’un siècle seulement, les sensibilités nationales étaient essentiellement tribales ou claniques, jusqu’à ce que la colonisation en décide arbitrairement autrement. Impossible d’affirmer que le corps social ait réellement souhaité sortir des modes ancestraux de gouvernance. On comprend dès lors cette permanence de l’identification d’un ministre à sa tribu ou à son clan d’origine. On comprend aussi pourquoi plus nos dirigeants viennent des profondeurs des âges, plus ils résistent aux principes démocratiques. Comment répondre aux traditions séculaires résonnant du bruit du sang qui coule dans les veines, et en même temps s’accommoder des séduisantes invitations de la modernité que la jeunesse épouse avec d’ailleurs parfois peu de discernement ? Aujourd’hui déchiré entre, d’une part, l’attirance presque irrésistible de la démocratie, véritable crédo de la modernité et de la communauté internationale, et d’autre part, des préférences culturelles séculaires encore relativement prégnantes, le corps social est régulièrement poussé à revendiquer une certaine authenticité, mais sans être en mesure d’en déterminer la nature. Avec la génération de dirigeants qui alignent déjà plusieurs décennies de règne, l’alternance ne se fera en fait autrement que par éviction plus ou moins sèche car ils ne seront jamais sûrs de la fidélité absolue de leurs successeurs même dûment choisis, une telle longévité au pouvoir en l’absence de contre-pouvoirs crédibles étant en effet toujours jonchée d’inavouables scandales humains et financiers. Faire succéder le fils à la tête de l’Etat par mil et une astuces, achève alors parfois de compléter le dispositif monarchique, et leur apparait comme le moindre mal pour assurer la continuité dans une relative quiétude. Ces tentatives ont peu de chances de trouver résistance dans des paysages politiques qui manquent cruellement d’entraînement : le corps social sait à peine défendre ses droits et la rareté des débats politiques de fond a maintenu le personnel politique dans des réflexes politiques élémentaires et alimentaires.
Cinquante ans après les indépendances, plusieurs pays africains se trouvent ainsi entre deux eaux : monarchies ou républiques. Dans les royaumes traditionnels, le monarque était loin d’être un dictateur car ses notables, véritables faiseurs de roi ne tenait pas ce dernier leurs redoutables contre-pouvoirs mais de leurs lignées. Dans une république, ce qui joue ce rôle de contre-pouvoirs est son arsenal d’institutions indépendantes avec, selon Montesquieu, séparation des trois pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif. Sans Etat de droit, c’est-à-dire comptable de lui-même en droit, la république n’est qu’une superposition de carcasses institutionnelles inutilement budgétivores. Dans les systèmes actuels décrits ici, le regroupement de fait de micro-monarchies dans une république a fait disparaître le conseil de notables et ses prérogatives héréditaires, et installé des institutions dont les titulaires tiennent de fait leurs pouvoirs de la volonté du Président, sans que le jeu de la démocratie, encore embryonnaire, ne permette une redistribution périodique des cartes politiques. Les dysfonctionnements institutionnels et les inerties administratives observées tiennent là une abondante source, qui ne tarira qu’à la maturité des institutions républicaines. En attendant, on a des républiques sans contre-pouvoirs institutionnels dirigées par des monarques sans conseils de notables. A l’extérieur, la légitimité est maintenue par des hommages à l’ancienne puissance coloniale et à la communauté internationale, à l’intérieur la longévité est assurée grâce à un enchevêtrement de réseaux privés plus ou moins mafieux, ainsi qu’avec l’appui des services secrets, de services spéciaux, de milices, de la police et de l’armée, grassement rémunérés de la corruption et de l’impunité. On retrouve ici ce que, dans l’ouvrage « Violences et ordres sociaux » (2010), John Wallis, Barry Weingast et le prix Nobel d’économie Douglas North appellent Etat Naturel (à distinguer de l’Etat de nature de Hobbes) ou ordre naturel d’accès limité c’est-à-dire un ordre social dans lequel la stabilité politique est obtenue en formant une coalition dominante au sein de laquelle des privilèges sont distribués par manipulation de l’économie pour rendre incitative la coopération des élites. Ici, il y a une forte identification du dirigeant à l’institution qu’il dirige. L’Etat naturel s’oppose ainsi à l’ordre social à accès ouvert qui caractériserait les Etats modernes et dont la logique de fonctionnement serait l’ouverture de l’espace politique et de l’espace économique à la compétition. Et à une compétition qui doit être régulée, notamment sur le plan éthique. C’est ainsi que, dans quelques pays africains qui expérimentent depuis quelques années une alternance politique régulière à la tête de l’Etat, on observe que les institutions républicaines se structurent, qu’elles prennent de l’autonomie indépendamment de la personne du Président et s’en trouvent d’autant plus crédibles.
L’ouverture des espaces politiques : un mouvement irréversible
En tout état de cause, le mouvement de modernisation des Etats africains est en marche. Revenir aux royaumes d’antan équivaudrait à morceler à nouveau chaque pays en centaines de monarchies autonomes. Or, même en rêve, personne n’envisage un tel scenario au 21e siècle. Renforcer les institutions actuelles est donc un impératif, voire une fatalité, institutions dans lesquelles il y aura sans doute de moins en moins de place pour l’identification des individus aux institutions qu’ils représentent. Doit-on choisir le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple d’Abraham Lincoln ou la théorie de la séparation des pouvoirs de Montesquieu, ou appliquer toutes ces recettes à tout corps social ? Ce n’est ni aux acteurs externes, ni à l’aristocratie nationale d’en décider, c’est au peuple, dans son processus de construction nationale, d’accoucher de l’originalité de ses institutions d’organisation sociale ; il convient surtout de créer les conditions d’une libre et saine expression de la société civile en libérant la parole et les énergies. D’ici là, les institutions démocratiques créées jusqu’ici ne seront que des greffes, au moins jusqu’à ce que les pays africains acquièrent une certaine autonomie économique, financière et monétaire décente vis-à-vis des partenaires externes au développement. Mais une chose est certaine : avec une population essentiellement jeune et de plus en plus ouverte sur le monde, la longévité au pouvoir ne sera plus considérée comme un accomplissement en soi, même si elle s’accompagne d’un certain essor économique. Les quelques régimes qui résistent encore à cette donne en Afrique vivent sans doute leurs dernières années de gloire. Les révolutions arabes ne sont pas des bugs dans le logiciel politique des dictatures. En Afrique, elles sont la manifestation même, comme s’il fallait l’inventer, d’une ère où le peuple, de plus en plus informé et conscient de ses droits et dynamisé par la société civile, comptera de plus en plus, en bravant sa pudeur d’antan, pour au minimum exiger le pain quotidien, et au mieux re-conquérir sa souveraineté.