Rwanda et Ouganda portent leur conflit sur la place publique à Londres. Moins entre les Etats, ce conflit oppose plutôt les chefs, pourtant alliés dans la guerre qu’ils mènent contre la RDC. Sur place au Congo, personne ne croit à la réalité du conflit. Les chefs coutumiers du Nord-Kivu et du Sud-Kivu parlent même d’une pièce de théâtre de mauvais goût, le véritable enjeu étant l’annexion d’une partie du territoire congolais.
Kinshasa, le 14 novembre 2001 (Afrik.com) : Le Rwanda va-t-il, ou plutôt peut-il, déclarer la guerre à son voisin et allié l’Ouganda ? Vu de l’Occident, cela paraît une éventualité tout à fait possible étant donnée la multiplication des incidents diplomatiques entre les deux pays alliés et la fréquence de fléchettes empoisonnées qu’échangent régulièrement les deux chefs d’Etat, Yoweri Museveni de l’Ouganda et Paul Kagame du Rwanda. Au point que le gouvernement britannique a estimé nécessaire d’inviter à Londres les deux chefs d’Etats, longtemps considérés comme l’incarnation du profil du leader africain moderne, et de les faire se rencontrer en vue d’aplanir les points de divergence. La rencontre a eu lieu le 6 novembre dernier sous la médiation de M. Tony Blair, Premier ministre de sa gracieuse Majesté.
Pour des raisons évidentes, cette rencontre a été suivie avec beaucoup d’attention en RDC dans la mesure où les Congolais ne sont pas convaincus de l’existence d’un réel conflit susceptible d’amener les deux Etats à se faire la guerre tant que n’est pas terminée celle qu’ils mènent contre le gouvernement de Kinshasa depuis plus de trois ans maintenant et où ils ont tout intérêt à marcher ensemble. Tous les Congolais interrogés à ce sujet estiment que le conflit, si conflit il y a, ne peut résulter que d’une mauvaise gestion du butin de guerre que constituent les richesses tirées du Congo. « Kagame et Museveni doivent cesser de distraire l’opinion internationale avec des conflits qui n’en sont pas », s’insurge le chef Atsongia, chef coutumier de Mbau, dans les environs de la ville de Beni, province du Nord-Kivu.
Chef Atsongia se trouve à Kinshasa dans le cadre d’un conclave qui a réuni, du 6 au 9 novembre dernier, tous les chefs coutumiers du Congo. « Le conflit, ajoute-t-il, n’est qu’une divergence sur le partage du produit de la prédation. Aujourd’hui, l’Ouganda exporte du diamant et de l’or qu’il ne produit pas. Il en est de même du Rwanda qui exporte du coltan et du diamant qu’il ne produit pas. Tout cela est pourtant connu de la Banque Mondiale qui préfère fermer les yeux afin de garder intacte son argumentation sur les performances dites exceptionnelles de l’Ouganda sur le plan économique ».
Les chefs coutumiers du Congo craignent qu’en ne condamnant pas les actes d’agression du Rwanda et de l’Ouganda contre la RDC, la communauté internationale ne cautionne les ambitions territoriales du Rwanda sur les deux provinces congolaises qui lui sont mitoyennes, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Le gouvernement rwandais ne s’en est d’ailleurs jamais caché. L’ancien chef de l’Etat rwandais, M. Pasteur Bizimungu réclamait à haute voix, en 1996, lors du déclenchement de la première guerre, la convocation d’une conférence de Berlin II, en vue de débattre une nouvelle fois du tracé des frontières entre le Rwanda et le Congo.
Selon le chef Kabare de la province du Sud-Kivu, le conclave des chefs coutumiers qui se tenait au moment où les deux chefs d’Etat du Rwanda et de l’Ouganda se rencontraient à Londres, a examiné une communication des chefs coutumiers originaires des deux provinces qui considèrent que l’enjeu de la crise actuelle dans la région des Grands Lacs se situe au Kivu : « On ne peut pas comprendre qu’en l’espace de deux ans, le Rwanda, aidé de l’Ouganda, attaque le Congo par les deux provinces du Kivu, sous prétexte de lutte pour les droits des Tutsi banyamulenge à la nationalité congolaise. Nous, chefs coutumiers, garants du patrimoine foncier et des valeurs culturelles nationales, sommes convaincus que toute solution qui ne prendrait pas en compte les problèmes du Kivu sera vouée à l’échec ».
Pour chef Atsongia, l’actuel conflit entre l’Ouganda et le Rwanda fait craindre une réédition des affrontements armés qui, par deux fois l’année dernière, ont opposé les troupes des deux pays pour le contrôle du diamant de la vallée de la Lindi, province orientale. Cela a coûté la vie à plus d’un millier de Congolais. Plus près de nous, du 20 au 25 août dernier, des affrontements ont eu lieu, bien que de moindre intensité, entre les deux armées qui se font face à Kanyabayonga, une bourgade située à 200 km de Goma. Les affrontements ne se sont pas intensifiés à cause de la présence des observateurs de la Monuc (mission d’observation des Nations Unies au Congo).
Cette concentration de troupes et d’armes de guerre a une incidence fatale pour la population locale qui se voit dépouiller de tout ce qu’elle possède. Sans aucune distinction, les différentes troupes armées pillent ensemble, domiciles, champs, commerces et fermes. Au point d’oublier qu’elles sont supposées être en guerre les unes contre les autres.