Véronique Tadjo, née en 1955 à Paris de mère française et de père akan (Côte d’Ivoire), a grandi à Abidjan. Son enfance a été marquée par de nombreux voyages. Après quelques années passées au Kenya, en Angleterre, puis en Amérique Latine, elle vit en Afrique du Sud depuis huit ans. Poète et romancière, elle est aussi auteur de livres pour la jeunesse qu’elle illustre elle-même. Elle a reçu le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire 2005 pour Reine pokou. Loin de mon père (ed. Actes Sud, 2010) marque une réflexion plus personnelle sur son pays et sur la famille.
Après des années d’absence, Nina revient à Abidjan enterrer son père, le Dr Kouadio Yao. Ecrasée par un grand sentiment de solitude, elle fait face aux parents, aux voisins et amis. La famille se charge de l’organisation matérielle des funérailles, dans le strict respect de la tradition. Nina met de l’ordre dans les affaires paternelles et découvre des facettes insoupçonnées de ce père, qui a eu d’autres enfants.
Le fil conducteur de ce roman fortement autobiographique repose sur l’attente de la sœur de Nina, Gabrielle, qui a rompu tout lien avec sa famille depuis des années. De mère française, Nina est une métisse, en quête d’elle-même et d’un enracinement géographique. Elle observe avec curiosité et incompréhension parfois, la vie qui se déroule dans ce pays, qu’elle connaissait autrefois. L’exil et la guerre ont changé sa vision du pays. Les zones d’ombre et d’incertitude affleurent de toutes parts.
Un roman foisonnant
Ce deuil s’avère un voyage au bout d’elle-même, par la plongée dans l’univers paternel, à travers le carnet, les lettres, les photos, le guide de lutte contre la sorcellerie et autres documents trouvés dans le bureau.. La mort de son père réveille les souvenirs et suscite des interrogations sur sa place dans ce pays au bord du chaos. Elle découvre les conditions du mariage de ses parents ; les relations extraconjugales de son père ; son attachement aux traditions ancestrales, étonnant chez un homme éduqué. Elle imagine les raisons du choix de sa mère, musicienne, de rester vivre en Afrique, qui s’est isolée dans la musique, tout en l’initiant à l’art.
Nina constate que « L’homme qui lui avait donné la vie, avait truqué la réalité, joué sur les apparences, coulé le monde en rondelles.». Elle ne fait aucun reproche, n’émet aucun jugement. La mort du père apporte une réponse à sa quête identitaire: « Ses frères et sœurs qui lui donnent des racines la plantaient fermement dans la terre. Elle qui croyait avoir tout perdu, possédaient à présent plus d’attaches qu’avant. Etait-ce cela l’héritage du père ? »..
Les thèmes abordés foisonnent à travers l’organisation de ces funérailles et les retrouvailles avec un pays : la situation politique en Côte d’Ivoire ; la relation de couple ; l’attitude de la femme face à l’esprit polygame ; le rôle de l’intellectuel et de l’artiste en Afrique ; la nécessité de la conservation des œuvres des artistes pour les générations futures ; l’influence des marabouts dans la société; le métissage, l’expérience de la différence et le tiraillement entre deux cultures.
Le roman est une observation clinique sur la filiation, la tradition, le sort d’un pays à l’équilibre fragile qui sort d’une crise identitaire, à l’image de l’héroïne, Nina. L’attente et la confusion règnent. Reflet de la situation politique d’un pays, en attente d’élections et d’un retour à la normale?
Commander Loin de mon père (ed. Actes Sud, 2010)