L’église catholique d’Algérie est dans l’expectative, deux semaines après que le parlement algérien ait adopté une loi qui punit le prosélytisme de prison ferme. L’archevêque d’Alger, Monseigneur Henri Teissier, espère que les autorités sauront faire la différence entre dialogue et propagande. Quant aux évangélistes qui officient depuis plusieurs années, notamment en Kabylie, principaux visés par le texte, ils n’ont plus que leurs yeux pour pleurer.
Crédit photo Sébastien Cailleux
Retour de flamme post-caricatures de Mahomet ou poisson d’avril ? L’association « Belgique et chrétienté » appelle à manifester le 1er avril 2006 devant l’ambassade d’Algérie, à Bruxelles, pour protester contre la loi anti-prosélytisme adoptée le 20 mars dernier par le parlement algérien. Celle-ci prévoit des peines allant de deux à cinq ans de prison ferme et de 500 000 à 1 000 000 de dinars (5 à 10 000 euros) d’amende contre toute personne qui « incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion ». Aucun texte n’était jamais allé aussi loin que cette « ordonnance relative aux conditions de pratique des rites religieux non musulmans », en Algérie, pays où la Constitution reconnaît la liberté de culte et où l’Islam est la religion d’Etat.
Deux semaines après son adoption, Monseigneur Henri Teissier, archevêque d’Alger depuis 1988, attend de voir comment la loi va être appliquée. « Il y a eu une présentation positive de la loi par le Président Abdelaziz Bouteflika, qui a dit que le prosélytisme ne correspondait pas à l’église algérienne et que nous avons toujours vécu dans le respect de l’identité algérienne, explique-t-il. Nous avons par ailleurs été sensibles à l’expression ‘église algérienne’, car elle signifie que nous sommes à l’intérieur de la société ». En revanche, « nous regrettons que le texte s’achève sur des sanctions assez lourdes. Je pense que dans le domaine du religieux, nous devons pouvoir nous rencontrer dans le respect et la confiance, si la liberté existe dans la relation avec l’autre pour le comprendre, et pas pour l’annexer ».
« Interdiction des campagnes clandestines d’évangélisation »
Le ministère des Affaires religieuses, par la voix de son porte-parole, Abdellah Temine, a clairement désigné l’ennemi et l’objectif de la loi : « l’interdiction du prosélytisme et des campagnes clandestines d’évangélisation ». Depuis près de cinq ans, la presse algérienne, s’interrogeant sur son ampleur, s’est faite l’écho de plus en plus puissant de campagnes d’évangélisations qui auraient particulièrement touché la Kabylie. Avant que les médias étrangers ne s’emparent de la question. Dès 2004, le ministre des Affaires religieuses, Bouabdallah Ghlamallah, était contraint d’intervenir dans le débat, apparemment sans grande préparation. Il s’est d’abord offusqué du « prosélytisme chrétien en Kabylie », en évoquant le « risque d’effusion de sang », pendant l’été 2004, avant de se rétracter quelques semaines plus tard et de déclarer que «l’évangélisation n’est pas un danger» et que «chacun est libre de se convertir à la religion qu’il estime bonne pour lui », se souvient El Watan.
A l’époque, la Wilaya (région administrative) de Tizi-Ouzou comptait quinze églises, dont seulement deux agréées par les autorités, selon ces dernières. Le nouveau texte interdit l’exercice du culte autre que musulman en « dehors des édifices prévus à cet effet et subordonne [leur] affectation à l’obtention d’une autorisation préalable ». Des sanctions sont également prévues contre toute personne qui « fabrique, entrepose, ou distribue des documents imprimés ou métrages audio-visuels ou tout autre support ou moyen, qui visent à ébranler la foi musulmane ».
Où commence le prosélytisme ?
Reste que la grande liberté d’interprétation de la nouvelle loi en inquiète plus d’un. « Si quelqu’un vient me poser des questions et que je lui réponds, pourrais-je être accusé de prosélytisme ? se demande le pasteur de l’église protestante Hans Hausenberger, qui effectue de longs séjours en Algérie depuis plusieurs années. Je pense que tout dépendra du comité qui va être élu. Il est encore trop tôt pour juger ». Sur ce point, estime Monseigneur Henri Teissier, « si la loi est appliquée avec vérité, chacun pourra reconnaître que les divers services que nous rendons, en matière culturelle ou sociale, ne sont pas des moyens détournés de dévier quelqu’un de sa conviction. Donc, normalement, cette loi n’aura pas de conséquence sur notre manière d’être et de faire. A condition toutefois que ceux qui viendraient observer nos activités puissent les comprendre et ne pas chercher des jugements négatifs », conclut celui qui a adopté la nationalité algérienne depuis 1966.
Mustapha Chérif, ancien ministre algérien de l’Enseignement et islamologue spécialiste du dialogue des cultures et des religions, réputé modéré, va dans le même sens : « je suis confiant car le législateur a bien compris qu’il s’agit de réglementer une activité et de lui donner un cadre légal. Il est conscient que la déontologie et l’éthique sont en la matière globalement respectés par l’église catholique. Mais il y avait un vide juridique et le prosélytisme évangélique nord américain a dépassé des limites que même l’église catholique a condamné. »
En 2002, un rapport de l’Onu avait comptabilisé environ 10 000 catholiques et de 5 à 20 000 protestants en Algérie. Aucune donnée sérieuse n’existe sur le nombre d’Algériens musulmans convertis au christianisme.