On les croyait condamnés en France, et pourtant les bars à chicha n’ont pas dit leurs derniers mots. Depuis l’application de la loi anti-tabac, le 1er janvier dernier, l’Union des Professionnels du Narguilé milite activement pour que les fumoirs ne ferment pas. Afrik.com a mené l’enquête.
Rue St Maur à Paris. Un homme fume sa cigarette sur le trottoir. Il s’appelle Samy, il est le propriétaire du 111, un bar à narguilé[[le narguilé est une pipe à eau très prisée en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie pour fumer]]. Pour lui comme pour tous les autres patrons de ces établissements, le décret anti-tabac, en application depuis le 1er janvier 2008 en France, est un « un coup dur ». Cette nouvelle loi interdit de fumer dans tous les lieux publics « couverts et fermés », – bars, cafés, restaurants, hôtels et boîtes de nuit, les salons de narguilé -. Prétexte invoqué, la nuisance du tabac pour les non fumeurs. « Que ce décret s’applique pour un café d’accord mais pour les établissements comme les nôtres qui sont des fumoirs, c’est ridicule, c’est comme si on interdisait à un boulanger de vendre du pain», explique Samy. Pour lui, le narguilé représente 70 à 90 % de son chiffre d’affaire, dur dans ces cas là d’appliquer la loi surtout que ces propriétaires ne bénéficient pas comme les buralistes d’une indemnisation.
La consommation du narguilé moins nocive que la cigarette
Alors, on joue sur les mots pour légitimer l’ouverture des bars à chicha. « Ce décret concerne les cigarettes pour la nicotine mais pas pour les narguilés qui eux n’en contiennent pas », certifie Chames, propriétaire d’un bar à narguilé baptisé l’Eden. « La théorie qui consiste à faire croire que la consommation d’une pipe à eau serait équivalente à 20 cigarettes est complètement fausse », ajoute-t-il. Alors dans les salons de narguilé, les patrons continuent d’offrir leurs services à leur clientèle même s’ils encourent une amende. Médecins de la santé publique, agent de la salubrité des communes, gendarmes et policiers, tous sont habilités à verbaliser en cas d’infraction, de quoi déclencher une légère paranoïa même si les patrons se disent dans l’ensemble confiants. « Hier, j’ai croisé deux policiers, ils m’ont assuré qu’ils n’allaient pas nous surveiller. Maintenant je fais quand même attention quand quelqu’un franchit le seuil de mon établissement », explique Chames.
Chichas never die
135 euros pour le patron et 68 euros pour le client pris en flagrant délit d’inhalation de fumée toxique. A ce prix là, on pourrait croire que les consommateurs réfléchiraient à deux fois avant de s’aventurer dans un bar à chicha. Mais eux aussi font de la résistance, assis sur des fauteuils confortables, narguilé en main, ils savourent impassibles le tabac au goût de pomme, de menthe… Entre deux volutes de fumée, un habitué explique qu’il vient ici pour discuter et se détendre, c’est son petit « passe-temps à lui ». « Plein de gens nous soutiennent, la clientèle ne s’est pas réduite. Les médias ont annoncé notre mort, donc beaucoup de personnes s’arrêtent devant notre bar, dubitatifs. Pourtant, on est loin de vouloir mettre la clé sous la porte », déclare Chames. Lui et Samy, on choisit de rejoindre l’Union des Professionnels du Narguilé représenté par Bachi Elou.
Contre une cotisation annuelle de 81 euros, les patrons de bars à chicha sont assurés de se faire défendre. « On dispose de quatre cabinets d’avocats chargés de contester les amendes », explique Patrice, patron du Jumeihra et un des membres fondateurs de cette Union. « On pensait qu’avec Nicolas Sarkozy qui s’était opposé, lors de la convention de l’UMP pour la santé le 27 juin dernier, contre le décret anti-tabac, on ne risquait rien. Mais voilà, la loi est passée, donc on a créé ce syndicat », note Patrice. « Outre les amendes, des emplois aussi sont menacés », ajoute-t-il. La plupart des propriétaires de ces fumoirs ont investi et doivent encore rembourser leurs emprunts. Même si les patrons se montrent prudents, ils ne peuvent pas s’empêcher de croire que cette loi les vise personnellement. « On n’est dupe de rien, notre profession rassemble 95 % d’entrepreneurs français d’origine maghrébine. En gros, pour beaucoup, elle n’est qu’un regroupement d’arabes propriétaires de gourbis folkloriques », déplore Karim, patron de l’Oasis du désert. En dépit d’une loi anti-tabac pénalisante, qu’on se le dise, les bars à chicha ne sont pas prêts de partir en fumée…