Elle est l’une des grandes voix du gospel aujourd’hui. L’Américaine Liz Mc Comb, qui a choisi la France comme port d’attache comme avant elle ses prédécesseurs les jazzmen des années 50, sort un 11e album somptueux (“I believe”, distr. Naïve). Tout y est parfait: la voix, chaude, puissante et expressive; l’orchestration, avec des musiciens en osmose parfaite avec l’artiste, et qui révèlent chacun leur singularité au cours de l’album. Elle est en concert les 9, 10 et 11 décembre à Paris, à l’église St Sulpice.
Dans son nouvel album, I believe, Liz Mc Comb interprète un répertoire constitué essentiellement de chants traditionnels restés anonymes et devenus universels, comme “Trouble in my way”, “Humble me” ou “Down by the riverside”. Mais elle revivifie la tradition par des arrangements très jazzy, voire swinguants – et s’accompagne même de guitares électriques et de percussions, totalement absentes du gospel des origines. Liz garde de sa culture afro-américaines la croyance que musique et spiritualité sont intimement liées. Et dans ses concerts, et même à la seule écoute de ses disques, on le perçoit de manière évidente: l’esprit du gospel est là, totalement. Il n’y a pas de mots pour le définir: comme le “duende” du flamenco ou le “tarab” en musique arabe, c’est quelque chose qui se ressent pendant l’écoute, comme un souffle, un esprit, une présence, quelque-chose de “plus” que les seules notes de la voix et des instruments, qui est là et qui nous touche. La grâce? Liz appelle cela “l’esprit de la musique”… Nous l’avons rencontrée à Paris, alors qu’elle est en tournée en France pour 3 mois.
Afrik.com : Parlez-nous de votre passion pour le gospel…
Liz Mc Comb : Je suis impliquée dans le spirituel, pas dans le politique. Même si les deux s’entremêlent. Parce que le spirituel parle contre l’injustice. Et si Dieu me met face à une injustice, je dois en parler. Mais dans le gospel il y a surtout l’amour pour les gens, et Dieu veut que nous montrions l’amour que nous avons les uns avec les autres. C’est ce qui manquait dans nos sociétés. L’économie nous met à genoux, parce que nous dépendions de l’argent que nous avons. Mais maintenant Dieu nous a fait réaliser qu’il y a plus dans la vie que les seules valeurs monétaires.
Afrik.com : C’est cela qui explique, selon vous, l’énorme succès du gospel en ce moment?
Liz Mc Comb : Le gospel est très populaire depuis environ 15 ans. La nouvelle génération et l’ancienne génération ont joint leurs efforts pour que nous entendions ce message. Les nouveaux artistes ont beaucoup fait pour s’adresser à la jeune génération, à travers le rap gospel, ou le hip-hop gospel. Il y a par exemple de jeunes groupes comme Kirk Franklin, et d’autres, qui ont réussi à amener les jeunes à ce que le message du gospel a toujours été, mais de telle façon qu’ils puissent l’entendre. Et cette graine a été plantée il y a 20 ans. Il y a des groupes qui chantaient, comme The five blind boys of Alabama (groupe formé en 1939, ndlr), ils chantent depuis 60 ans, et si vous écoutez leurs cd… mon Dieu ! Il y a eu beaucoup de grands artistes, Bessie Griffin (1922-1989, ndlr), Mahalia Jackson (1911-1972, ndlr), tous ces gens venaient ici en Europe. Mais leur public était un public limité, et maintenant c’est en train d’atteindre le grand public.
Afrik.com : Vous-même, comme on le voit dans cet album, vous faites partie de ces artistes qui rénovent le gospel, en introduisant dans vos chansons des guitares électriques par exemple, et en les laissant faire de grands solos – et pourtant, vous préservez l’esprit du gospel…
Liz Mc Comb : Aux Etats-Unis, on a toujours fait ça. Quand j’étais petite, et que nous chantions le gospel, nous avions un piano, un orgue électrique, des guitares, et des percussions, et tout ça n’existait pas dans la plupart des églises où se chantait le gospel. Mais dans notre église nous avions tout ça: on swinguait, et c’était quelque chose de totalement nouveau.
Afrik.com : Quels sont les artistes qui vous ont inspirée?
Liz Mc Comb : J’ai grandi avec The five blind boys of Alabama, The Staple singers (groupe célèbre aux USA dans les années 70, ndlr), Mahalia Jackson, Clara Ward (1924-1973, ndlr)… Mais plus que ça, quand j’étais petite, j’ai participé à des ateliers de gospel avec James Cleveland (1931-1991, ndlr). J’écrivais des chansons, et je voulais me montrer, mais en même temps j’étais très timide. J’ai toujours été impressionnée par cette musique. Et ces gens ne chantaient pas pour un public: ils chantaient pour Dieu. Parfois ils étaient payés. Parfois non. Comme les Barrett Sisters (duo de jazz yiddish célèbre aux USA dans les années 40 à 60, ndlr). James Cleveland a dit un jour : “il n’y a pas de concurrence dans le gospel”. Et j’ai appris ça très tôt. Mais maintenant il y a une nouvelle génération, pour laquelle le gospel est une route pour devenir une star. Mais le gospel rassemble les gens, il ne les divise pas. Et quand vous écoutez l’esprit de compétition et d’orgueil, ce n’est pas du gospel. Et c’est ce qu’une bonne partie de la nouvelle génération de gospel ne comprend pas… Tout cela, je l’ai appris de ces gens: souvent j’étais avec eux, je portais leurs bagages, j’étais comme un valet: j’avais un tel désir d’apprendre ! Je voulais seulement apprendre et grandir. Et ça n’a jamais cessé. Jusqu’à aujourd’hui je considère qu’il faut toujours apprendre et grandir. Et on peut apprendre de n’importe qui.
Afrik.com : Et parmi les artistes d’aujourd’hui?
Liz Mc Comb : Barbara Streisand: beaucoup de gens ne l’aiment pas, vont dire “c’est de la variété”. Mais elle sait chanter, non? Céline Dion aussi. Et Aretha Franklin, l’une de mes préférées. La hiérarchisation des artistes est faite seulement par les compagnies de disques…
Afrik.com : Votre mère était pasteur, et vous avez commencé à chanter petite fille. Mais on dirait que vous n’avez pas choisi de faire carrière dans le gospel tout de suite…
Liz Mc Comb : Moi je voulais chanter. Point. Je voulais être à Broadway ! J’ai fait du théâtre, j’ai fait beaucoup de choses à part le gospel. Mais au début de ma carrière je voulais être à Broadway. Je suis partie à New York, j’ai vu Eubie Blake (1887-1983, compositeur et pianiste afro-américain de ragtime, ndlr) (Liz se met à nous chanter à tue-tête, le visage radieux, “I am just wild about Harry, and Harry is just bad about me, tadadadada!”…., ndlr). J’adorais les comédies musicales, et je voulais simplement en faire partie ! C’est de la musique qui vous rend heureux, tout simplement. Il y avait des chansons, des claquettes, et de la danse. J’étais amoureuse des deux frères Greg et Maurice Hines, qui chantaient tout en faisant des claquettes et en dansant. Je vivais une vie d’artiste: choriste dans des choeurs d’accompagnement, ou bien en studio d’enregistrement…
En fait, ce n’est pas moi qui ai choisi le gospel: c’est le gospel qui m’a choisie. J’avais enregistré plusieurs chansons de ma composition, que j’ai envoyées à un producteur. Il n’a pas du tout aimé. Ma cousine Annie, qui vivait à New York, m’a dit: “envoie-lui du gospel”. Et là, il a aimé. J’ai intégré un groupe, “The roots of rock’n roll”, qui faisait du jazz, du blues et du gospel. On a fait une tournée de deux ans en Europe. Et c’est là que tout a démarré. J’étais étonnée de la manière dont tout ça a démarré rapidement.
Afrik.com : Quels sont quelques-uns de vos souvenirs artistiques les plus forts?
Liz Mc Comb : Une fois au Liban, j’ai entendu un chœur chanter, a capella (sans instruments, ndlr). Des voix magnifiques. Je me suis dit “ils savent vraiment chanter!”. Et ça m’a rendue humble. Une autre fois, c’était au Maroc: après le concert, j’étais avec le groupe de percussionnistes et on fêtait le concert, ils ont commencé à jouer, je me suis mise à danser, et l’esprit est descendu de manière tellement forte, vous comprenez? C’est l’esprit, et il vous choisit: il choisit simplement un corps pour y vivre. Et j’ai souvent expérimenté cela.
Mais mon souvenir le plus marquant, c’est quand je suis partie la première fois en voyage, pour une tournée en Europe. J’étais une jeune fille, et je regardais le monde avec de grands yeux. C’était ma première tournée en Europe. J’étais dans l’avion – je n’avais jamais pris l’avion avant ça. Je n’ai jamais raconté ça encore. Je n’étais montée que dans des bus, parce que dans le gospel, quand on faisait une tournée, c’est en bus. Mais là j’étais dans l’avion, et je partais pour l’Europe: je n’arrivais pas à y croire ! Je n’arrêtais pas de toucher le siège, de regarder par la fenêtre, et je me disais “Yeah!!!!!”, mais je ne le disais à personne. Je n’avais pas un centime, et j’étais si heureuse, vous comprenez? (son visage s’éclaire, ndlr). Je n’oublierai jamais cela. Je voulais apprendre tout ce que je pouvais apprendre. Et mon manager m’a regardée et m’a dit: “ne perds pas ça. Ce que tu as maintenant. J’étais aussi comme ça”…
Afrik.com : Comment expliquez-vous le succès du gospel, et le vôtre en particulier, dans les pays les plus divers – car vous vous produisez dans le monde entier?
Liz Mc Comb : Je chante avec mon cœur. Je dis la vérité avec mon coeur. Qui est une histoire humaine. Et je crois que quand vous venez avec une vibration du cœur, tout le monde comprend. Si vous mentez les gens sentent que vous mentez. Il s’agit juste d’une vibration du cœur, et de compassion, et ceci est une histoire pour le monde entier.
Le site de Liz Mc Comb
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