La littérature africaine connaît un succès grandissant hors d’Afrique. Tant mieux. Riche, diverse, elle occupe une bonne place sur les étals des librairies françaises, belges, suisses, canadiennes. Kourouma, Sansal, Choukri, Chraïbi, Khadra, les noms des écrivains africains font partie de l’horizon de tous les Francophones, ce sont des amis dont on lit les pages avec délectation et admiration.
Ils se sont imposés par leur talent et leur courage. Et aussi parce qu’ils ont su rester authentiques. Ils décrivent la société africaine avec des yeux africains. Ils ne se sont pliés aux exigences éditoriales et/ou commerciales pour satisfaire le public occidental. » L’univers, c’est mon village « , disait à juste titre Amadou Hampâté Bâ. Du courage, il en faut, en plus du talent, pour être écrivain en Afrique, sans être le porte-parole du pouvoir ou le scribe de l’homme fort du moment. Littérature engagée, littérature enragée. Il en faut pour dénoncer les travers et la corruption. Le talentueux romancier algérien Boualem Sansal confie être écrivain en France, et fonctionnaire en Algérie. C’est tout le drame des écrivains du Continent, stars ailleurs et anonymes chez eux. Admirés, lus dans le reste de la Francophonie, leurs livres restent inaccessibles pour la plupart de leurs concitoyens.
La politique du livre est pratiquement inexistante en Afrique. Le premier livre de Yasmina Khadra a mis huit ans pour être publié ; il fallait qu’il passe par les multiples commissions de censure. Censure et accouchement au forceps. Pour qu’un auteur publie dans son pays, il faut qu’il soit reconnu à Paris. Sinon, il reste un écrivain médiocre, local. Les gouvernants africains ont assassiné, et le mot est faible, le talent, l’artiste. L’Egypte a interdit, ce mois-ci, » le Pain nu » du romancier marocain Mohamed Choukri, plus de vingt ans après sa parution ! Dommage que le ridicule ne tue point ! Si l’Afrique veut taire ses intellectuels, elle a pris le bon chemin. Si au contraire elle veut sortir du coma intellectuel, il faut qu’elle libère la parole, qu’elle mette en place une politique d’édition. Sinon, les dirigeants d’aujourd’hui auront des comptes à rendre à tous les lecteurs de demain, qu’ils auront frustrés de leur identité littéraire.