Grands bouleversements en Libye; depuis la fin brutale de Mouammar Khaddafi et l’extrême instabilité qui s’est installée dans le pays, les puissances occidentales sont en mal de relais auprès des nouvelles autorités, un terme tout aussi difficile à cerner que les institutions nationales.
Il y existe très peu de pays où un Premier ministre en exercice peut être kidnappé, puis libéré par des ravisseurs apparemment plus puissants que lui ! L’aventure vécue par Ali Zeidan, victime d’ex-rebelles en désaccord avec sa politique, a juste rappelé, en octobre dernier, à quel point le pouvoir central peinait encore à imposer son autorité aux nombreux groupes armés restés actifs sur l’ensemble du vaste territoire libyen. Aujourd’hui, la fréquence des enlèvements et des assassinats impunis n’est que le corollaire des rivalités féroces entre différentes factions politico-confessionnelles ou des clans régionaux. Qu’elles soient djihadistes ou mafieuses, toutes ces forces centrifuges donnent le tournis aux chancelleries occidentales, divisées par les successeurs de Khaddafi en « amies » et « ennemies ». Quand ce n’est les deux. C’est le cas de la France.
A priori, le pays de Nicolas Sarkozy, très en pointe, comme on sait, dans le déboulonnage du « Guide » et la mise en selle des « révolutionnaires » qui occupent aujourd’hui la scène, devrait être aux premières loges pour engranger les bénéfices de son soutien. Les besoins de reconstruction sont énormes et la manne pétrolière, bien que touchée par les affrontements meurtriers entre clans pour son contrôle, reste hautement attrayante. Sur place, néanmoins, les soupçons de collusion avec Khaddafi, qui aurait financé la campagne électorale de 2007 de l’ancien président français à coup de dizaines de millions de dollars, valent à ce dernier le courroux de plusieurs milieux libyens qui l’accusent de « corruption » et font rejaillir l’opprobre sur une partie de son camp politique, surtout depuis les déclarations fracassantes – à charge – d’un ancien intermédiaire tombé en disgrâce, le Franco-Libanais Ziad Takieddine. Si le feuilleton politico-judiciaire est loin d’être clos, il existe au moins une certitude : pour ses anciens amis et encore plus pour le gouvernement actuel de François Hollande, Takieddine est « grillé ». L’homme dont le patrimoine immobilier est estimé à plus de 40 millions d’euros fit pourtant les beaux jours de l’industrie française de l’armement en négociant plusieurs gros contrats, notamment avec l’Arabie Saoudite, la Syrie, le Pakistan – et la Libye. Plus maintenant. Autre coup dur pour les « réseaux » français, on a appris, à la mi-janvier, l’assassinat de Hassan Aldroe, vice-ministre libyen de l’industrie, considéré comme le relais de la France en Libye…
Alors, la Libye, quel numéro de téléphone? A qui s’adresser pour conclure de belles affaires dans un pays toujours instable et déconcertant, où les hommes les plus influents ne sont pas ceux qu’on croit ? La récente visite à Tripoli d’un ancien membre du gouvernement Sarkozy présente donc, à ce titre, un intérêt certain. C’est avec beaucoup d’égards, bien que en toute discrétion, que Gérard Longuet, ex-ministre de la Défense, a été reçu en janvier dans la capitale et à Misrata. Au menu, des questions sécuritaires telles la formation des troupes, la remise à niveau de l’armée de l’air, le contrôle des frontières, dossiers mis en chantier, pour certains, avant son départ du ministère en 2012.
A Tripoli, Longuet a eu droit à une réception privée chez le ministre libyen de la Défense, Abdallah Al-Thani. Signe de l’époque troublée que vit le pays, son fils venait tout juste d’être relâché d’une prise d’otage de plusieurs mois… A Misrata, ville martyre en quête de reconstruction, le vice-président de l’UMP a pu rencontrer tout le gratin politico-militaire pour plusieurs réunions de travail, avant de recevoir une médaille en reconnaissance au soutien de la France lors de la « révolution ». Ici, seuls les bons souvenirs étaient mis en avant… A y regarder de plus près, on découvre un homme de l’ombre dans l’organisation de bout en bout de ce périple incluant plusieurs chefs d’entreprise français, Mohamed Benjelloun, dont on sait juste qu’il est un Suisse d’origine marocaine, visiblement très introduit auprès du nouveau pouvoir libyen, mais aussi au Moyen-Orient. Devant ses hôtes, le ministre Al-Thani l’a qualifié « d’ami authentique qui ne s’est pas compromis avec Khaddafi ». Une condition qu’on sait désormais essentielle pour entamer une relation fructueuse avec ceux qui octroient désormais contrats et milliards…
Au- delà des aspects commerciaux, la France, engagée dans des opérations militaires au Mali et en République Centrafricaine, ne saurait se passer de relais crédibles en Libye, point focal des stratégies militaro-industrielles dans une région qu’elle a bien contribuée à déstabiliser pour longtemps.
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