Les travailleurs immigrés en Libye, originaires d’Afrique sub-saharienne, sont pris dans le feu de la guerre civile qui enflamme le pays depuis février dernier. Considérés comme des mercenaires dans l’Est, en territoire rebelle, ils sont directement visés par les combattants.
Les immigrés originaires d’Afrique sub-saharienne continuent d’avoir la vie dure en Libye. Au 21 juin 2011, plus de 183 000 d’entre eux ont ainsi quitté le pays depuis le conflit qui a éclaté en février dernier, indique un rapport de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Parmi eux, au moins 114 000 ont fui par leurs propres moyens vers le Tchad et le Niger. Au total, ce sont 262 000 ressortissants des pays voisins de la Libye qui ont fui les violences, selon un bilan établi au 13 juin par le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Maltraités
Les ressortissants de l’Afrique sub-saharienne sont particulièrement vulnérables, estiment les organisations de défense des droits de l’homme. En mars dernier Adrian Edwards, le porte-parole du Haut commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) rapportait les témoignages recueillis auprès de Soudanais à la frontière égyptienne (est de la Libye). Ils indiquaient « que des Libyens armés (faisaient) du porte à porte, forçant des Africains sub-sahariens à partir.» De même, les personnes rencontrées mentionnaient « la confiscation ou la destruction de papiers d’identité pour un grand nombre ». « Des incidents similaires à l’encontre d’un groupe de Tchadiens qui ont fui Benghazi, Al Bayda et Brega ces derniers jours nous ont également été rapportés », a ajouté le responsable du HCR qui a invité toutes les belligérants à reconnaître « la vulnérabilité des réfugiés et des migrants originaires d’Afrique sub-saharienne et (à prendre) les mesures nécessaires afin d’assurer leur protection ».
Dans l’Est du pays, fief des insurgés libyens, ces Africains sont devenus des parias depuis qu’ils y sont assimilés aux mercenaires africains à la solde du président Mouammar Kadhafi. « Les rebelles sont responsables de nombreuses attaques contre les étrangers et les Libyens noirs, soupçonnés d’être des mercenaires. Certains ont été assassinés », a confié récemment Donatella Rovera, conseillère d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique, à Rue 89. « Nous avons rentré des étrangers et des Libyens noirs qui ont été pris pour cible par les anti-Kadhafi. Le comportement des combattants de l’opposition à leur égard pose question. Ils ont commis des violations graves », a expliqué la militante. « Les gens du CNT sont contre ces pratiques, souligne Donatella Rovera, je les crois sincères mais ils ne contrôlent pas la situation.»
Des « mercenaires » pour les insurgés libyens
« Spoliations, insultes, passages à tabac, « licenciements » sans paiement : l’amalgame « noirs = mercenaires » a servi de prétexte à de nombreuses exactions à l’encontre de migrants d’Afrique sub-saharienne, mais aussi à de véritables attaques de la part de « groupes armés » non identifiés », indique également un rapport de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (Fidh) qui a effectué une mission du 8 au 15 mai 2011 dans la ville de Salloum, à la frontière entre la Libye et l’Egypte. Les informations collectées par les organisations des droits de l’Homme ont été confirmées par l’ambassadeur malien à Tripoli dans un document de l’OIM publié début juin. Il indique « que la vulnérabilité des Africains subsahariens à l’est du pays pousse les Maliens à fuir vers l’Egypte ». En outre, beaucoup d’immigrés africains se retrouvent bloqués dans leurs villages et villes de résidence. Selon le diplomate malien, « entre 8 000 et 10 000 » de ses compatriotes sont encore dans l’ouest de la Libye, « principalement à Sabha, Gadames, Ubari et Murzuk ».
Souvent en situation irrégulière, les Sub-sahariens offrent une main d’œuvre peu qualifiée qui s’est tournée vers la Libye pour profiter de sa bonne santé économique. Contrairement aux idées reçues en Europe, le pays ne constitue pas une simple escale avant le Vieux Continent. « La Libye n’est pas un pays de transition vers l’Europe, mais un pays de destination », a eu l’occasion de préciser le porte-parole de l’OIM Jean-Philippe Chauzny. Depuis 2008, néanmoins, l’état libyen est devenu le cerbère de l’Union européenne en matière d’immigration. L’Italie et la Libye ont signé un accord dans ce sens. « La réalité, c’est que l’Italie renvoie les gens vers un pays où ils subissent des mauvais traitements », affirmait Bill Frelick, directeur chargé de la politique des réfugiés à Human Rights Watch et auteur d’un rapport sur la question en septembre 2009.
Ceux qui ont choisi de déposer leurs valises dans la Jamahiriya arabe libyenne font tourner le secteur informel en dépit des expulsions et des menaces de rapatriement qui pèsent sur eux depuis ces dernières années. Les représentants de l’OIM ont ainsi rencontré des travailleurs migrants africains réfugiés à Tripoli, la capitale libyenne. Originaires du Ghana, du Togo, du Soudan, du Nigeria, du Cameroun, ils sont pour certains sans emploi parce que leurs employeurs ont pris le chemin de l’exil. « Ayant le sentiment de n’avoir aucune raison de rentrer chez eux, ils restent en Libye dans l’espoir vain de percevoir leur salaire de leurs anciens employeurs ou de trouver un autre emploi », peut-on lire sur le site de l’OIM. D’autres ont été invités à veiller sur les biens de leurs employeurs. Au risque de leur vie, ils espèrent toucher des salaires qu’ils n’ont pourtant pas perçus depuis février.