Les femmes libériennes victimes de viols sont de plus en plus nombreuses à parler de leur expérience et à chercher de l’aide, à mesure que la prise de conscience de leurs droits augmente. Mais la persistance des tabous sociaux fait que même si elles réclament justice, elles ne l’obtiennent pas toujours.
Les violences sexuelles sont toujours en première ou deuxième position (après les vols armés) sur les listes de crimes élaborées mensuellement pas les services de police de la capitale, Monrovia. Selon les statistiques de centres de traitement, la majorité des victimes de viols sont des enfants. Médecins Sans Frontières (MSF) à Monrovia a rapporté que leur plus jeune victime avait à peine 21 mois.
« La guerre civile est finie », a dit Tupee Kiadi, un habitant de Monrovia. « Mais la nouvelle guerre, c’est le viol, en particulier pour les adolescents et les bébés. Pendant la guerre, nous avions des soldats de maintien de la paix pour empêcher les débordements de violence… mais les femmes n’ont pas de soldats de maintien de la paix pour les protéger des viols ».
Pendant la guerre, les femmes et les filles étaient victimes de viols (souvent des viols collectifs) et d’esclavage sexuel. Plusieurs d’entre elles sont tombées enceintes. Depuis la signature de l’accord de paix en 2003, les crimes sexuels – et l’impunité – ont persisté dans l’ensemble du pays.
Sensibilisation
Afin de briser les tabous et d’informer les Libériens au sujet des services médicaux et psychologiques offerts gratuitement par MSF à Island Hospital, à Tweh Farm, dans l’ouest de Monrovia, MSF a lancé, le 26 octobre, une campagne dont le message était le suivant : « Le viol est une affaire d’hôpital et de clinique ».
Depuis quelques années, le nombre de visiteurs a augmenté, a indiqué Elias Abi-aad, psychologue pour MSF. Il espère que la campagne a permis de sensibiliser encore plus la population.
Selon Elizabeth Zro, travailleuse sociale et conseillère à la clinique, « le viol est un gros problème, mais les gens sont plus ouverts maintenant qu’il y a quelques années ».
La clinique de MSF accueille en moyenne 70 patients par mois, parmi lesquels 80 pour cent sont des filles de moins de 18 ans. Un peu moins de la moitié d’entre elles sont âgées de 12 ans ou moins.
Outre un examen médical, les femmes qui ont survécu à un viol ont droit à une protection contre les infections sexuellement transmises, aux traitements pour bloquer la transmission du VIH et éviter les grossesses si la visite médicale a lieu dans les 72 heures suivant le crime, à un certificat médical qui peut être utilisé devant les tribunaux et à plusieurs séances d’aide.
Deweh Gray, présidente de l’Association des avocates du Liberia (AFELL), a dit à IRIN : « Ce qui change dans les comportements, c’est le fait que de plus en plus de gens qui souhaitent avoir accès au système rapportent ces cas ».
Persistance des tabous
Bien qu’une amélioration de la sensibilisation ait été constatée, le viol demeure tabou dans de nombreuses familles, a dit Mme Zro. « De nombreuses communautés le remettent en question – ‘‘t’a-t-il vraiment violée ?’’, demandent-elles ».
Ce silence vaut également pour tous les sujets liés à la sexualité, à la planification familiale et à la santé reproductive, a-t-elle ajouté.
Certaines ONG, notamment l’organisation Catholic Relief Services (CRS), tentent d’encourager les familles à discuter ouvertement des violences sexuelles et de la santé sexuelle, ainsi que d’éduquer les enfants sur les contacts « normaux » et « abusifs ».
Ce n’est qu’en facilitant la discussion que la stigmatisation liée au viol peut être éliminée, a dit à IRIN Suena Samola, responsable de la santé et de la nutrition auprès de CRS.
Demander justice
En collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour la population (FNUAP) et d’autres institutions, l’AFELL a aidé le gouvernement libérien à mettre sur pied un tribunal spécial pour lutter contre le viol et les violences sexuelles en septembre 2008. L’Association tente maintenant d’encourager un plus grand nombre de femmes ayant survécu à des viols à porter plainte devant le tribunal.
Jusqu’à présent, le tribunal n’a traité que quatre cas. Il y a toujours un écart important entre le nombre de cas médicaux rapportés et le nombre de rapports de police déposés dans chaque comté, selon Sadiq Syed, conseiller en matière de violence fondée sur le genre (GBV, en anglais) auprès du FNUAP.
Cet écart s’explique en partie par les délais nécessaires aux tribunaux nationaux pour transmettre les dossiers au tribunal spécial, a-t-il ajouté.
Mais il a estimé que le processus devrait s’accélérer maintenant que les avocats commis d’office sont en place et que les ministères du Genre, du Bien-être social et de la Justice commencent à travailler plus étroitement sur les questions de violence sexuelle.
« Nous nous sommes rendus compte que tout le monde veut voir des dossiers aller devant le tribunal… mais la dynamique d’un procès pour viol n’est pas facile », a dit à IRIN Mme Gray, de l’AFELL. Des retards dans le traitement des dossiers signifient que les témoins peuvent disparaître ou que les preuves peuvent être détruites, ce qui entraîne l’abandon de certaines affaires.
Le FNUAP apporte son soutien au gouvernement en matière de GBV et a offert une formation à la moitié des 400 juges libériens sur la protection des témoins, la confidentialité et d’autres domaines cruciaux pour s’assurer du bon déroulement des procès pour viol.
Seulement cinq pour cent des juges libériens ont fait des études de droit, a indiqué M. Syed.
Felecia Coleman, procureure générale du tribunal spécial pour la lutte contre les violences sexuelles, a dit à IRIN que dans le comté de Montserrado, plus de 140 personnes attendaient d’être jugées pour des accusations de viol. « Le fait que des gens soient emprisonnés et que des procès soient en cours pour viol est un bon signe pour la lutte », a-t-elle dit.
Mais il faut offrir plus de formation aux policiers de la section « protection des femmes et des enfants », ont indiqué des travailleurs humanitaires. Et il faut plus de travailleurs sociaux pour conseiller les victimes, a ajouté M. Abi-aad.
« Le gouvernement ne prend pas les choses à la légère, mais il faut plus de travailleurs sociaux…le viol relève principalement de la psychologie », a-t-il dit à IRIN.
Le FNUAP travaille de concert avec le ministère du Bien-être social dans le but de former un plus grand nombre de travailleurs sociaux pour apporter leur soutien aux femmes qui ont survécu à des violences sexuelles, a indiqué M. Syed.
Les femmes continuent de vivre dans la crainte, a dit à IRIN Macdell Smallwood, une jeune fille de 13 ans qui habite Monrovia. « À cause des cas de viol à Monrovia, j’ai même peur de me balader avec mes amies…Nous ne pouvons pas sortir et jouer librement comme nous le faisions avant ».