Leurres et lueurs du passé : A quoi pourrait-on comparer les héros du passé ?


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« Il est toujours joli le temps passé », « les morts sont tous des braves types », chantait Brassens. Au Cameroun, la seule vraie supériorité de ceux que l’on célèbre la larme à l’oeil, l’allure martiale, le verbe austère, sur nous autres, vivants, corrompus et très optimistes sur notre avenir, la voici : ils sont morts et enterrés. Eussent-ils été vivants qu’ils nous auraient fait suer au moins autant que les personnalités publiques que nous dédaignons actuellement. L’époque coloniale n’a pas le monopole des grands hommes et il faudrait d’autant plus apprendre à apprécier les mérites que nous voyons au même titre que ceux que nous supposons aux bâtisseurs qui nous ont précédés.

Sans iconoclasme, sans faire du mauvais esprit, en essayant de me garder de tout blasphème, j’ai essayé de retracer à grands traits le côté obscur de certains parmi nos grands hommes. L’exercice aura le mérite qui n’est pas mince de nous enseigner que le consensus, la perfection et la sainteté ne sont pas de ce monde. Ceux qui ont été capables d’actions très chevaleresques ont souvent été aussi l’objet de vices très grands, de là l’indulgence attendue de chaque citoyen dans l’appréciation de ses contemporains.

SAMBA PAUL MARTIN A l’école primaire, il était naguère présenté comme un résistant à la colonisation allemande, un martyr, qui aurait dit avant d’être exécuté : « Tuez-moi, mais vous n’aurez pas le Cameroun ! » En ce temps-là, la conscience nationale était-elle donc déjà si grande chez nos roitelets ? En réalité, le chef Madola a été tué pour une banalité, mieux eût valu qu’il mourût écrasé par un arbre qui lui serait tombé dessus.

Que lui reprochait-on ? On accusait notre héros d’avoir envoyé une pirogue contacter un bateau ennemi qui croisait dans les parages du Grand Batanga, par Ebolowa. En tout cas, il serait complaisant d’y voir, dans cette exécution comme dans celle de Douala Manga Bell, les premiers soubresauts d’un nationalisme rampant. Ces chefs tribaux défendaient des intérêts communautaires ou ponctuels. Alors la chansonnette « nous te louons Samba/ce que tu nous avais dit, c’était bien la vérité/ nous te louons Paul Samba » de quoi parle-t-elle ? On veut des idoles, alors on fabrique des icônes.

UM NYOBE RUBE Syndicaliste et homme politique né en 1913, près de BoumNyebel, de paysans païens. Techniquement, il était très peu « colonisé ». Ni croyant, ni « prince », il avait néanmoins fait ses études dans des écoles protestantes, tant qu’il n’en fut pas expulsé. Plus tard, il le leur rendra bien en persécutant les chrétiens et l’église.

Si Charles Assalé représentait le Cameroun au Conseil Economique et Social français dès 1947. Dès 1952, Um Nyobé, lui se présenta chaque année à la tribune des Nations Unies comme pétitionnaire du Cameroun, avec ses revendications d’indépendance et d’unification. Après la dissolution de son parti, il opta naturellement pour l’illégalité, pire la lutte armée, pour hâter l’indépendance du Cameroun.

« Il faut, disait-il avec aplomb, agir pour éviter l’irréparable. Nous avons dit que les heures de la patience étaient comptées. Nous constatons qu’elles s’épuisent. »

En vérité, le mouvement pour l’indépendance était enclenché dans la plupart des ancienne colonies, la lutte armée ne masquait-elle pas des ambitions pouvoiristes ? Um Nyobé songeait désormais aux honneurs et aux privilèges qui devaient lui échoir, son assassinat le 13 septembre 1958, selon nous, intervient dans un contexte de lutte entre rivaux politiques plutôt que de lutte pour l’indépendance.

Beaucoup de Camerounais le considèrent comme le père de l’indépendance, il n’est pas impossible qu’ils n’aient pas tort, mais il serait plus juste de considérer Um Nyobé comme l’un des artisans les plus emblématiques, sans plus. Il s’est certes battu pour notre indépendance qu’il n’a finalement jamais vue, mais il n’en est pas un martyr !

DUALA MANGA BELL RUDOLF Fils du roi Manga Ndumbé, dont il hérita la chefferie le 02 septembre 1908, à 35 ans, devenant un fonctionnaire de l’administration allemande. Il en percevait une pension annuelle de 3.000 marks. L’administration coloniale avait décidé de procéder à des expropriations pour cause d’utilité publique. Le roi revêtit ses attributs de chef traditionnel et devint l’âme de la résistance à l’expropriation du Plateau Joss, dont la population évincée s’estimait insuffisamment indemnisée.

Destitué de ses fonctions officielles, il fomenta un soulèvement des chefs supérieurs et prit contact avec les Britanniques. En essayant au même temps la voie du droit, puisqu’il s’offrit les services de deux avocats allemands et envoya illégalement un émissaire en Allemagne, Ngosso Din, qui se fit arrêter et rapatrier, pour être finalement jugé, condamné et exécuté par pendaison avec son mandant pour haute trahison. « Gens de Douala, je m’adresse à vous pour vous annoncer que Manga Bell est condamné aujourd’hui à la pendaison parce qu’il s’est montré un traître au Kaiser et à l’empire » signé le Gouverneur Ebermeier.

OSENDE AFANA La légende raconte que sa tête fut rapportée à Ahidjo, qui l’avait exigée, après son assassinat le 15 mars 1966. Collaborateur d’Ernest Ouandié, Abel Kingué , et Felix Mounié, ce brillant économiste fit le choix fatal d’entrer dans le maquis. Certaines personnes (Mongo Beti notamment) ont laissé entendre qu’il aurait été trahi par ses propres camarades. Hogbe Nlend, ancien ministre de Biya, selon Mongo Beti qui l’avait publiquement interpellé sur ce sujet, pourrait aider à élucider le mystère de sa mort.

Que lira-t-on demain au sujet des héros contemporains ?

NJAWE PIUS Un pionnier du journalisme d’idées, qui payait assez mal ses journalistes quand même ! Il a revêtu les habits de politicien, de militant des droits de l’homme, mais l’ultime réalité, c’est que c’était un entrepreneur qui a vendu ses services à une opposition qui a échoué et pour laquelle il est mort.

Ni la CAMDIAC, ni aucun membre de l’opposition camerounaise n’ont mentionné son nom pendant et après la dernière campagne présidentielle : belle reconnaissance !

TUMI CHRISTIAN Opposant au régime de Biya, fondateur de l’imprimerie MACACOS, homme d’affaires avisé, homme politique écouté, cet archevêque émérite ne doit pas beaucoup manquer à Biya.

Ce clerc a-t-il souvent prié pour notre Président ? En quels termes ? Dieu l’a-t-il exaucé ? Ou bien a-t-il donné raison à Biya, qui vraisemblablement ne songe pas à la retraite ? C’est Jésus qui avait raison : à césar ce qui est à césar, à Dieu ce qui est à Dieu.

Quid de Biya, Ahidjo, André-Marie Mbida ?

Face à une population, une masse non critique, quels sont les critères pouvant être convoqués pour servir d’étalons sur la valeur de nos hommes publics ? Certains noms émergent dont l’enrobage historique et les scintillements du « temps passé » camouflent les insuffisances ou la médiocrité… Chacun y va de son petit héros familial, pour faire bon genre, il est de bon ton de marteler dans les prises de parole publiques, d’un air convaincu, telle personnalité ou tel fait d’armes qu’on lui prête.

Alors que n’existent à leurs sujets aucunes biographies et des jugements historiques contradictoires, épars… L’on a développé dans ce pays un martyrologe officieux et un victimaire controversé qui tendent à nous présenter comme des héros nationaux de simples combattants vaincus de causes qui ont appartenu à tous.

Les définisseurs et les défenseurs d’une mémoire sélective doivent par exemple nous dire ce qu’ils veulent faire du corps d’Ahidjo, qui repose en paix au Sénégal, quand celui d’André-Marie Mbida gît à Efok dans l’indifférence universelle ? Une façon comme une autre d’embêter le président Biya, de se donner bonne conscience, de se constituer en donneur leçons, et allonger les vues généralement courtes d’un discours politique en mal de ressorts « affectifs » puissants ?

S’être fait assassiner n’est pas un mérite ultime et la patrie devrait toujours être reconnaissante aux grands hommes qu’ils meurent pendus au fin fond de la forêt tropicale, empoisonnés entre deux avions ou internés dans un luxueux pavillon de la Pitié-Salpêtrière.

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