Bonjour Monsieur,
J’ai neuf ans. Il paraît que le 1er décembre, c’est la journée du sida. Ma mère m’a demandé de vous écrire une lettre. Elle ne peut la corriger car elle est illettrée. Mon père aussi ne peut pas le faire. Ma mère dit qu’il est mort. Tué par les rebelles – c’est comme ça qu’on appelle les hommes armés chez moi. Je soupçonne que ma mère ne connaisse pas l’identité de mon père. Violée. Mais je crois ma mère. Je dois donc vous écrire cette lettre. Car j’ai le sida, ma mère aussi. Il faut que vous la lisiez vite. Au cas où vous aurez envie de me répondre. Car, vous le savez, le temps presse. Je ne sais pas si je serai toujours vivant lorsque votre réponse me parviendra. Au fait, je m’en fous de votre réponse. Adressez-là aux vivants, aux survivants.
Quand ma mère ne tousse pas, elle rigole. Elle dit que c’est drôle de donner une journée au sida alors que cette maladie nous en prend les meilleures. Elle dit aussi que l’argent que vous allez dépenser pendant cette journée aurait servi à guérir tous les malades du village et même de la région. Ma mère est comme ça : sceptique. Moi, je dis que ce n’est pas possible parce que vous êtes trop intelligent. Elle se remet à tousser.
Voilà, j’aimerais vous parler des médicaments. Je sais qu’ils ne seront pas pour moi. Trop tard. Le soir, j’entends ma mère prier et pleurer. Elle prie pour qu’elle meure avant moi. Elle dit à mon oncle que cela ne se fait pas qu’une mère enterre son fils. Donc les médicaments. Il paraît que tout le monde s’est mis d’accord pour les médicaments génériques. J’en suis très content. Mais personne au village n’a vu de médicaments.
Entre ses accès de fièvre et ses toux, qui la laissent exténuée, ma mère me dit qu’un grand président qui nous ressemble refuse de fournir à ses concitoyens des médicaments anti-rétroviraux. Pas efficaces, dit ce monsieur. Et surtout chers. Ma mère dit que le dernier argument avait force de loi. Il ne faut pas, Monsieur, en vouloir à ma mère. Je vous avais averti qu’elle est sceptique quant à la nature humaine.
Il faut que je me dépêche de finir cette lettre. Il paraît que l’espérance de vie chez nous est moins de 40 ans. Ma mère rigole franchement. Elle n’a que 25 ans. A nous deux, cela fait 34 ans. Nous doutons d’arriver jusqu’à 40 ans. En additionnant nos âges.
Bien à vous Monsieur
P.S. : J’ai oublié de me présenter. Mon village s’appelle Afrique. Mon nom a peu d’importance. Celui de ma mère aussi. Laissez-moi votre réponse sur le forum.