Chère Safiya. Nouria, une chercheuse de l’Université libre de Bruxelles que je ne connais pas, m’a envoyé le 6 janvier un courriel très urgent : c’est ainsi que j’ai appris ce que tu affrontes et les raisons pour lesquelles ils t’ont mise à mort.
Je suis un député belge, membre d’une assemblée parlementaire de 150 élues et élus. Et il m’a semblé immédiatement qu’un député belge se doit de joindre sa voix et ses actes à ceux de tous tes supporters pour obtenir ta grâce.
Pourquoi la Belgique doit-elle se mobiliser en masse pour te sauver ? Pourquoi tous ses responsables politiques doivent-ils ensemble tout faire pour garder au petit que tu as mis au monde la maman à laquelle il a droit ?
Pour toutes les raisons qui font qu’un être et un Etat civilisés doivent dire non à la peine de mort comme au machisme intolérable dont tu es victime. Bien sûr.
Mais aussi parce que le 22 septembre 1998, une autre femme nigériane fuyant un mari qu’on voulait lui assigner de force, mourait dramatiquement.
Mais ce n’était pas au Nigeria, sous une législation pénale barbare. C’était ici à Zaventem (aéroport international de Bruxelles), lors d’une sixième tentative d’expulsion violente. Ta soeur s’appelait Semira Adamu. Elle avait écrit peu avant à ses amis : la dignité tranquille d’une jeune femme en lutte pour le respect de son droit, mais aussi la peur terrible que lui inspiraient les coups de plus en plus durs que les gendarmes lui assénaient pour la contraindre à embarquer et à se taire. Et elle a succombé dans l’avion, horriblement étouffée par des policiers assassins.
Au-delà de la tenue du » procès Semira » qui a été intenté par notre Ligue des droits de l’Homme contre ces policiers et leurs supérieurs (y compris Louis Tobback, le ministre de l’Intérieur de l’époque) – procès qui tarde pour de mystérieuses raisons -, notre pays a donc une dette, une lourde dette à l’égard des femmes du Nigeria.
Je ne peux m’empêcher de penser à ce qui te serait arrivé, à toi, Safiya Husseini, si, comme Semira, tu avais pu fuir ton pays et t’ouvrir à l’administration belge de ce que tu avais enduré.
T’auraient-ils crue, cette fois ? Ou t’auraient-ils fait subir le même sort que Semira, que de cyniques imbéciles ont tenté, après sa mort, de faire passer pour une prostituée fascinée par les lumières de la capitale de l’Europe ?
T’auraient-ils accueillie comme le mérite toute femme qui fuit de graves mauvais traitements directement liés à sa condition de femme ? Ou bien t’auraient-ils enfermée dans un de leurs centres à Bruxelles, Bruges ou Anvers, claquemurée comme une criminelle (avec en moins l’information sur la durée prévisible de ta détention) dans un espace de non-droit ?
Après l’Italie et la France, la Belgique va se mobiliser pour arrêter cette barbarie commise au nom de la religion. Interpellant d’urgence notre Ministre des Affaires étrangères, membre jusqu’en juillet de la » Troïka » européenne (en tant que ministre des Affaires étrangères du pays qui vient d’assumer la présidence de l’Union), j’ai appris qu’il avait l’intention de » prendre contact » avec le Président Obasanjo pour obtenir ta grâce au cas où ta peine est maintenue*.
Ton cas et le problème général de l’application de la Charia en matière pénale devraient aussi être mis en avant dans les prochaines semaines par la Commission européenne, qui prépare actuellement un nouvel accord de coopération avec le Nigeria.
Je vous envoie donc de Bruxelles, à ton bébé et à toi, la solidarité de milliers de Belges. Leurs rangs gonflent chaque jour pour clamer, avec l’une des pétitionnaires en ta faveur, » Ne prenez pas la vie à celle qui la donne « .
Courage !
Vincent Decroly est député en Belgique