Alors que le Tchad et le Soudan s’accusent de déstabilisation à leurs frontières, c’est désormais la Centrafrique qui est de plus en plus clairement entraînée dans le conflit d’Afrique centrale. Ahmat Yacoub, élu par l’opposition tchadienne pour organiser une conférence de paix, en mars prochain, confie à Afrik son point de vue sur le regain de tension dans la région.
Selon Ahmat Yacoub, les autorités tchadiennes sont à l’origine des violences interethniques survenues depuis le 31 octobre à l’est du Tchad. Plus de 200 personnes y auraient été tuées en une semaine suite à des attaques dont le mode opératoire rappelle celui des milices janjawid, au Darfour. Alors que les violences dans cette partie du Soudan se poursuivent, c’est au nord-est de la Centrafrique que la situation se détériore de nouveau. En visite à Khartoum, le ministre français des Affaires Etrangères, Philippe Douste-Blazy, a proposé dimanche au président Omar el-Béchir de déployer une force internationale le long des frontières tchadiennes et centrafricaines. L’ONU va elle-même bientôt présenter son plan de force internationale hybride (Union africaine/ONU) à Khartoum. Ahmat Yacoub, l’ancien secrétaire général du FNTR (Front national du Tchad Rénové), a été choisi fin octobre pour organiser une conférence de paix, le 1er mars prochain, à Addis Abeba (Ethiopie), avec toutes les parties prenantes au conflit (gouvernement, opposition locale et en exil, politico-militaires et société civile). Il livre à Afrik son analyse sur le regain de tension aux frontières soudano-tchadiennes.
Afrik : Est-ce la première fois que des violences de la nature de celles qui sont annoncées à l’est du Tchad ont lieu ?
Ahmat Yacoub : C’est la première fois avec ce caractère horrible et avec l’implication de citoyens tchadiens. C’est dû en grande partie au régime d’Idriss Déby, qui a distribué des armes aux citoyens. Il veut se servir d’eux pour se défendre.
Afrik : Contre qui ?
Ahmat Yacoub : Officiellement, contre la rébellion tchadienne. Il prépare et arme les civils contre les mouvements de l’opposition en leur faisant croire que ce sont leurs ennemis, des mercenaires envoyés par le Soudan. C’est aussi pour donner un signal fort à la communauté internationale. Pour leur dire : « attention, le conflit soudanais du Darfour pourrait déborder au Tchad ». Comme vous le savez, le président Déby est un partisan de l’intervention militaire de l’ONU au Darfour et il est capable d’utiliser tous les moyens pour arriver parvenir à cela.
Afrik : Cela veut-il dire que les civils se battent contre des rebelles… ?
Ahmat Yacoub : Ce que nous avons appris est que les affrontements ont lieu entre civils. Mais nous souhaitons qu’une enquête sérieuse puisse déterminer quelles parties étaient en présence. Selon nous, la seule solution, au Tchad comme au Soudan, est le dialogue. Nous appelons le président Idriss Déby à ne pas impliquer les civils dans sa stratégie de généralisation de la violence et à dialoguer avec l’opposition tchadienne pour trouver une issue définitive et durable à la crise interne qui déchire le pays.
Afrik : Comment s’est déroulée la conférence de l’opposition organisée en octobre dernier, à Paris, et à l’issue de laquelle votre projet a été retenu ?
Ahmat Yacoub : C’était la seconde du genre après celle de mars dernier, qui n’a pas été une réussite totale. En revanche, on peut considérer que la dernière a été une réussite à 99%, car toutes les sensibilités y étaient représentées. Même le maquis, qui est intervenu directement par téléphone et nous a apporté son soutien. C’est la première fois dans l’histoire du Tchad que l’opposition se prend en main. Nous étions auparavant habitués à être pris en charge par les étrangers.
Afrik : Quel projet avez-vous commencé à dessiner ?
Ahmat Yacoub : Nous disons que la structure étatique au Tchad n’est pas conforme à la réalité du pays. Le pouvoir est concentré dans les mains d’une seule personne, qui décide de tout et a droit de vie et de mort… Une forme d’état semi-présidentiel, avec un parlement fort, un pouvoir judiciaire indépendant et un Premier ministre disposant d’un réel pouvoir est plus appropriée. A l’image des régimes italiens, britanniques ou encore allemands. Depuis dix ans, nous disons que Déby doit partir, mais sans succès. Aujourd’hui, nous disons « stop ». Car le faire partir serait facile. Mais après un ou deux ans, il pourrait donner naissance à une nouvelle rébellion militaire qui déstabiliserait le pouvoir obtenu par la force. Le projet que j’ai défendu et qui a été accepté ne vise pas un changement d’homme mais de régime.
Afrik : Cela a dû être difficile à avaler pour certains opposants… ?
Ahmat Yacoub : Le projet n’est pas passé facilement. Il y a eu des participants qui prônaient la solution armée et rien que la solution armée, en raison de la personne du président tchadien, qui refuse de dialoguer et n’a jamais respecté ses engagements. Je suis moi-même de ceux qui ne croient pas en la sincérité de Déby. Depuis seize ans, des groupes armés et des opposants ont signé des accords séparés avec lui. Certains ont été assassinés ou sont aujourd’hui en fuite. Je dis simplement que pour l’instant, ce n’est pas un changement d’homme que nous recherchons.
Afrik : Les autorités françaises vous ont-elles soutenues dans l’organisation de la conférence de Paris ?
Ahmat Yacoub : Pas du tout. La France avait promis des facilités consulaires, mais elle nous a au contraire mis des bâtons dans les roues. Je remercie plutôt la technologie qui nous a permis de faire intervenir les personnalités qui n’ont pas pu faire le déplacement.
Afrik : Vous nous indiquiez dans une précédente interview qu’il était inévitable pour l’opposition de discuter avec la France en vue d’un règlement du conflit tchadien. Quel est le rapport du comité que vous présidez avec ce pays, ainsi qu’avec le Soudan ?
Ahmat Yacoub : Dans la feuille de route que notre comité a adoptée, il est question de prendre contact avec tous les pays en rapport avec la crise tchadienne, impliqués ou concernés. La démarche de prise de contact est engagée car il en va de notre intérêt de convaincre les partenaires du Tchad à nous aider pour concrétiser la paix.
Afrik : Que pensez-vous de l’initiative du ministre français des Affaires Etrangères, Philippe Douste-Blazy, de déployer une force internationale le long de la frontière tchado-soudanaise ?
Ahmat Yacoub : Je suis contre si c’est pour protéger le régime Déby et l’encourager dans son intransigeance de refus du dialogue. J’appelle plutôt la France à encourager le dialogue sincère entre Tchadiens pour la recherche d’une solution définitive à la crise tchadienne.
Afrik : Comment se porte le FNTR, dont vous êtes le conseiller ?
Ahmat Yacoub : Le secrétaire général Babikir Ismaïl, après sa mort (24 septembre dernier), a été remplacé par le colonel Adouma Hassaballah. Le FNTR s’est alors fondu dans le RND (Rassemblement national démocratique), une coalition de quatre mouvements, avant que cette dernière ne rejoigne l’UFDD (Union des forces pour la démocratie et le développement) du général Mahamat Nouri.