Depuis des années, le Zimbabwe mime la démocratie et le multipartisme. Avec le départ de Mugabe, on aurait pu penser que ce théâtre glisse vers la réalité. Malheureusement, il n’en est rien.
Dans son article, James Hamill, affirme que le parti au pouvoir depuis 4 décennies, la Zanu-PF, capture le pouvoir et distribue les rôles. Cette gouvernance clientéliste est jalousement protégée par le nouveau président, lui-même fruit du système. Si l’on rajoute à cela que l’armée fait toujours la pluie et le beau temps…. On a du mal à se réjouir de ce changement dans la continuité.
Le nouveau président du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa, a été accueilli prudemment, espérant de lui qu’il ramène le Zimbabwe sur une trajectoire plus démocratique. Il a évoqué une nouvelle démocratie «en train de se développer» au Zimbabwe. Mais c’était un vœu pieux car il existe trois principaux obstacles à une rupture décisive avec le système politique corrompu et dysfonctionnel qui sévit dans le pays: la Zanu-PF (L’Union nationale africaine du Zimbabwe-Front Patriotique) au pouvoir, son président et son principal soutien, l’armée.
Le monopole politique de la Zanu-PF
La Zanu-PF constitue un formidable obstacle au progrès démocratique du pays. Le Zimbabwe a maintenu l’apparence extérieure d’une démocratie multipartite depuis l’indépendance en 1980. Mais c’est bien une dictature à parti unique. Dans la sphère politique, la Zanu-PF a instauré la culture de jeu à somme nulle: elle doit toujours l’emporter et ses adversaires doivent être écrasés. Certes les partis d’opposition existent officiellement, mais ils n’ont pas été autorisés à remporter des élections. Si une telle possibilité se présentait – comme ce fut le cas en 2002, 2008 et 2013 – les élections seraient truquées pour préserver le statu quo. La Zanu-PF fournit l’exemple le plus éloquent de la culture de l’exceptionnalisme qui a caractérisé le parti de la libération au pouvoir incluant: sa conviction qu’il a le droit de gouverner indéfiniment ; son refus de se considérer comme un parti politique ordinaire ; sa fusion avec l’appareil étatique, et sa diabolisation d’autres partis comme des «ennemis de la libération» cherchant à rétablir le colonialisme ou la domination de la minorité blanche.
La façon dont la Zanu-PF a colonisé l’Etat depuis près de quatre décennies signifie qu’il existe un vaste réseau de clientélisme établi pour faciliter le pillage des ressources de l’État. Le changement démocratique et la gouvernance éthique constituent une menace mortelle pour ces réseaux, et il est peu probable que de tels privilèges soient abandonnés sans une résistance intense.
Un nouveau président consacrant la continuité
Le sombre passé de Mnangagwa n’incite pas à croire à un nouveau départ. Il a exercé les fonctions de «ministre de la justice» de Mugabe jusqu’en novembre 2017. Il a joué un rôle crucial dans l’effondrement de l’état de droit et l’implosion de l’économie zimbabwéenne. De même, il a joué un rôle central dans les violations flagrantes des droits de l’homme qui ont caractérisé le régime de la Zanu-PF. Cela inclut les meurtres commis dans les années 1980 dans le Matabeleland. C’est un passé dont il a nié toute responsabilité. Son langage plus conciliant ne se traduit pas dans ses actions. Après son élection, il a nommé une administration composée de copains, de partisans de l’armée et de « vétérans de la guerre. » Ces nominations semblaient consolider le pouvoir de la faction désormais dominante de la Zanu-PF: les « sécurocrates » de la vieille garde qui avaient mis en échec la faction tout aussi maléfique du G40 de Grace Mugabe par le biais des armes à feu plutôt que par un processus démocratique.
Après avoir attendu tant d’années pour décrocher le poste suprême, il est difficile de risquer la perte de son butin durement gagné en misant sur un programme de démocratisation.
Les militaires, gardiens du temple de l’autoritarisme
Le rôle joué par les forces de défense zimbabwéennes dans la destitution du président prouve leur place d’acteur politique privilégié et déterminant de l’ensemble du système politique. L’armée n’a jamais été un gardien neutre de la constitution. Elle a bien au contraire toujours été une extension hautement politisée du parti au pouvoir, une sorte de milice politique. Auparavant, son rôle était limité à la répression des opposants au parti au pouvoir et au maintien de sa domination. Le principe d’un régime civil a été respecté même si ce modèle de relations civilo-militaires n’a pas respecté des normes démocratiques. Mais avec le coup d’État, les militaires ont franchi une ligne. Ils ont déterminé l’issue des luttes de pouvoir au sein même du parti au pouvoir.
De la même manière que l’armée a été politisée, le système politique a été fortement militarisé. C’est le cas de plusieurs anciens combattants militaires clés qui ont été nommés au gouvernement, comme Mnangagwa a été candidat de l’armée à la présidence. Il s’agit essentiellement du visage civil du régime quasi-militaire au Zimbabwe.
Voir le retrait de Mugabe par l’armée comme une bonne nouvelle, c’est ignorer le fait qu’elle n’a aucune notion de l’intérêt national ou qu’elle considère cet intérêt national comme synonyme du sien et de celui de la Zanu-PF. Il s’agit d’une «démocratie de caserne» efficace au Zimbabwe. L’armée a obtenu un veto sur les dirigeants du parti au pouvoir et sur le processus politique au sens large. Elle se réserve également le droit de rejeter les résultats d’élections qu’elle n’approuve pas ou de prendre des mesures qui pourraient empêcher ces résultats de se concrétiser.
Il est dangereusement naïf de s’attendre à ce qu’une telle force facilite une véritable transition démocratique lorsque sa raison d’être a toujours été de préserver le régime du parti unique (sous la direction de son choix), de neutraliser les opposants, et de préserver ses propres réseaux de corruption.
Des perspectives troublantes
La véritable démocratisation – par opposition au simple maintien des formes procédurales d’un gouvernement démocratique – est un anathème pour le parti au pouvoir, son président et les forces armées du Zimbabwe. Il est évident que leur tâche sera triple dans les prochains mois. Ils doivent obtenir un soutien pour un semblant de libéralisation ; arrêter les ennemis politiques pour corruption plutôt que de s’attaquer à la corruption en soi, et installer l’écran de fumée d’une rhétorique démocratique théâtrale. Leur espoir est que cette sombre mascarade suffise à garantir l’aide, les investissements et l’approbation de donateurs extérieurs, alors que rien même que rien n’a changé dans les relations de pouvoir à l’intérieur du pays. Dès lors, toute personne attachée à la démocratie au Zimbabwe – à l’intérieur ou à l’extérieur du pays – devrait commencer à se mobiliser contre ce projet le plus tôt possible.
James Hamill, maître de conférences en politique et relations internationales, Université de Leicester. (version élaguée)