Les tribulations d’un mystagogue


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La littérature qui devrait dominer l’actualité d’un pays normal vient souvent de ses femmes et de ses hommes libres, jouissant de leurs droits citoyens et exerçant avec talent leur pensée critique, leur ingéniosité et leur créativité esthétique dans l’intérêt bien compris de la civilisation politique entière, où la vitalité de l’espace public est la condition de préservation du bon sens et de l’objectivité chez tous les acteurs. Or, avec ses taux de corruption officielle records, sa démocrature sanglante et moribonde, sa jeunesse massivement livrée au désoeuvrement et à la débrouille, son image de marque internationale enténébrée par un pouvoir politique abonné aux voies de fait et opposé à la modernisation effective du système de représentation des citoyens, son opinion publique pavlovisée par l’homophobie et les transes soporifiques de l’anticolonialisme dogmatique, le Cameroun est loin d’être un pays normal.

Que s’ensuit-il dès lors ? Sa littérature dominante vient donc désormais de ses prisonniers, et parmi ces prisonniers, de ceux d’entre eux qui sont emprisonnés dans des conditions qui leur laissent encore le loisir de méditer, de lire et d’écrire. Voici donc le Cameroun suspendu aux lèvres de certains des prisonniers de Paul Biya, espérant d’eux qu’ils disent enfin pourquoi et comment la misère de notre pays daterait de leur révolte et de leur embastillement récents et personnels. Voici un pays entier, tenté d’espérer que ceux-là même qui ont servi les régimes monstrueux d’Ahidjo et de Biya au plus haut niveau, en seront les fossoyeurs allègres. Voici le Cameroun espérant que ses tyranneaux d’hier, se révoltant enfin contre leur chef tyran d’antan pour sauver leur seule et unique peau, servent enfin le dessein de faire émerger un pays démocratique, pluraliste, écologique, prospère et juste pour tous. Singulière histoire.

Mais qui aveuglera le regard du critique lucide de notre tragédie ? Voici ce qui reste visible, malgré tout ce que l’on veut nous bien nous faire oublier. La terrible inégalité instaurée par la prédation effrénée de la bourgeoisie militaro-administrative de Paul Biya au sommet du Cameroun se traduit subrepticement dans le deux poids deux mesures des conditions d’incarcération subies par les Camerounais. La prison camerounaise a aussi ses hiérarques : infime élite qui cache mal la masse anonyme des laissés-pour-compte des cellules inhumaines du pays ; élite de prisonniers davantage attachés à leur propre sort qu’à la critique structurelle de leur implication personnelle d’antan dans le système qui a rendu possible les prisons inhumaines de Yoko, Tcholliré, Mantum, New Bell, Kondengui, où ont croupi depuis les années 60, des milliers de femmes et d’hommes innocents, confondus avec les délinquants de tous poils et parfois à jamais rangés aux calendes grecques de la nation camerounaise. C’est dans le cadre de ce clivage sibyllin, où les inégalités du jour se conjuguent avec celles de la nuit, que s’inscrit toutefois le courage littéraire tardif des Titus Edzoa, Polycarpe Abah Abah, Jean-Marie Atangana Mebara, Marafa Hamidou Yaya, et autres locuteurs médiatiques de nos prisons, que l’on pourrait partiellement interroger du point de vue de ce que Léo Strauss a appelé « L’art d’écrire en temps de persécution ».

Sans donner ici carte blanche à cette littérature des prisonniers d’élite de Paul Biya[[Je fais allusion à mon dernier article sur ce sujet, « L’étrange rhétorique des prisonniers d’élite de Paul Biya ».]], dont la part d’amnésie est proportionnelle à la part de culpabilité inavouée dans la tragédie camerounaise, il s’agira donc pour moi de lire ici le dernier livre de Titus Edzoa en me servant de trois questions : 1) Que nous dit Titus Edzoa dans ses Méditations de prison [[Titus Edzoa, Méditations de prison (Yaoundé, Cameroun), Echos de mes silences, Préface d’Odile Tobner, épouse de feu Mongo Beti, Présidente de « Survie France », Paris, Karthala, 2012.]] et comment nous le dit-il ? 2) Que nous cache Titus Edzoa et comment le cache-t-il ? 3) Pourquoi Titus Edzoa omet-il, dans ses Méditations de prison, de s’interroger sur les conditions de naissance de l’élite républicaine qu’il a choisi dès les années 80 de servir, au risque de nous suggérer par son amnésie stratégique que le Cameroun, de l’Indépendance du 1er janvier 1960 à l’incarcération du citoyen Titus Edzoa en 1997, avait à sa tête un régime politique légitime et démocratique ? Pourquoi, comme le remarque si finement Odile Tobner, veuve de Mongo Beti, à la fin de la préface qu’elle a délivrée au livre de Titus Edzoa, l’auteur mobilise-t-il « Tous ces traits admirables pour toucher parfois au sublime, mais aussi pour la plus extraordinaire esquive de soi, de ce qu’il a vécu personnellement avant, qui reste le secret bien-gardé qui sous-tend son écriture .»[[Odile Tobner, préface aux Méditations de prison de Titus Edzoa, op. cit., p.10]] ? Pourquoi diable servir au peuple bridé du Cameroun, les seuls « échos de ses silences », comme le souligne si bien l’un des sous-titres de l’ouvrage de Titus Edzoa ? On verra au terme de nos explorations si le titre de notre propre recension, « Les tribulations d’un mystagogue », ne se justifie pas dès lors.

En vingt six chapitres courts et saisissants, Titus Edzoa mobilise une plume fine et acerbe pour cerner les enjeux profonds de son expérience carcérale. Choisi à dessein, le genre introspectif de la méditation, dont les grandes références sont à chercher dans les sagesses de l’Orient et de l’ancienne Egypte Noire dont l’auteur est friand, mais aussi dans les arcanes de la philosophie occidentale, trouve en effet ses lettres de noblesse dans les œuvres encore vivantes d’un Saint Augustin, d’un René Descartes, d’un Jean-Jacques Rousseau ou encore d’un Edmund Husserl. Le livre de Titus Edzoa, dans la sphère strictement politique, n’est pas, toutes proportions gardées, sans faire penser aux ouvrages d’autres bagnards célèbres des grandes régimes totalitaires, comme L’archipel du Goulag de Soljenitsyne, ou Nelson Mandela avec Long Walk to Freedom ou Conversations with Myself. Méditer dans ces conditions extrêmes, c’est descendre en soi-même, à la recherche de la part éternelle du Soi qui persiste sous les décombres éphémères du Moi. Reconstituer du fond du chaos, un cosmos. On peut enfin y voir, dans le contexte camerounais, la reprise d’un thème témoignant du drame fort ancien des prisons nationales, comme en témoigna par exemple le livre de Nouk Bassomb, Le Quartier Spécial : Détenu sans procès au Cameroun, en 1992. Edzoa médite donc à haute voix, pour témoigner de sa tragédie pendant que ses paroles peuvent encore avoir le secours de son visage vivant. Il y a dans cette sorte de méditation, une ambiance testamentaire qui ne saurait laisser notre affectivité intacte. Méditer dans ces conditions, c’est parler pour faire honte à ses propres actes. C’est s’efforcer de se saisir soi-même en vérité, afin d’offrir le meilleur de soi autour de soi, à sa famille, à ses amis, à son pays, à son siècle, à l’humanité éternelle. La méditation, nous dit Titus Edzoa transforme la prison[[Voir en particulier le rapport intime que l’auteur tisse avec la prison au chapitre 4 de l’ouvrage, intitulé « La prison, ma prison », ce dur cachot qui paradoxalement, se mue en temple de profondes métamorphoses intérieures chez l’incarcéré qui ainsi vogue vers d’autres dimensions de l’être universel.]] en son contraire, en « une porte de liberté, la vraie, celle construite par et dans une souffrance toute particulière, ferment prodigieux de l’âme »[[ Titus Edzoa, op. cit., p.13]]. La méditation, ainsi entendue comme liberté spirituelle surpassant l’incarcération physique, n’exempte pas le méditant de la diction de son malheur ici bas. La souffrance du corps, de l’âme et de l’esprit du plus méditatif des prisonniers qui soit, impose l’impossible désincarnation de la matérialité[[Au sens que le philosophe Emmanuel Lévinas donne à ce concept dans Le temps et l’autre, P.U.F., 1947, p. 39 : « La matière est le malheur de l’hypostase. Solitude et matérialité vont ensemble ».]] comme limite massive aux générosités de l’espérance spirituelle. On a beau croire qu’on est libre en esprit, on ne peut manquer de se heurter au choc d’être prisonnier dans et de son corps. Telle est la terrible réalité de la prison, sa matérialité insurmontable, sa structure de calvaire sempiternel pour l’intelligence du prisonnier. Certes, nous suggère l’auteur, la prison, dans une société bien réglée, devrait servir à la reconstruction physique, psychique et spirituelle de ses pensionnaires. Mais quand elle se change en « un enfer dont les flammes consomment le condamné pour l’éternité »[[Idem, op. cit., p.45]], comment ne pas y voir l’abjection même d’une société sans foi ni loi, sans don ni pardon ? On comprend dès lors l’imprescriptible devoir de dénonciation qui anime l’écrivain pénitentiaire : « Parler de la torture est une chose, l’avoir subie en est une autre. »[[Idem, op. cit., p.32]] nous assure Titus Edzoa.

Le livre se veut donc, avec ses accents christiques ou osiriens qui connotent un idéal sacrificiel, comme la parole d’un torturé qui a heureusement préservé sa faculté de se penser et de s’exprimer, au nom de tous ceux que la malemort aura réduit aux cendres silencieuses de l’insignifiance anonyme. Par cet aspect, le livre fait en partie réplique à l’objection de principe que nous adressions au début de cette recension quant au privilège des prisonniers d’élite de Paul Biya. Mais on demeure frappé par le silence remarquable de Titus Edzoa sur les conditions d’incarcération de ses autres pairs dans les bagnes du pays, signe non seulement qu’il en est séparé par les siennes, mais aussi qu’elles ne sont pas forcément au cœur de son ouvrage. L’introspection méditative narcissicise nécessairement une description qui se coupe sciemment du réel, où certes un Coq, un Moustique, deux Papillons, un Cafard ou une Souris acquièrent plus de célébrité sous la plume de l’auteur que Ruben Um Nyobè, Ernest Ouandié, Osendé Afana, ou les étudiants assassinés et/ou violemment embastillés et exilés par le régime de Paul Biya pendant que Titus Edzoa en était l’un des fidèles et virulents lieutenants. Divins caprices de la mémoire ! Titus Edzoa sait-il que ses victimes dans l’Université camerounaise des années 90 attendent toujours qu’il reconnaisse ses forfaits arrogants à leur égard ? Sait-il que sa mémoire sélective ne prive pas les Camerounais du souvenir de son implication dans le déni démocratique sanglant qui perpétua le séjour illégitime de Paul Biya au Palais d’Etoudi en 1992 ? Certes, elle ne manque pas à l’auteur, la mémoire, quand il faut restituer le sens et le contexte des pièces à convictions du procès politique dont il est victime. Les Chapitres 22, 23 et 24 du livre sont entièrement dévoués à l’examen des empirismes de ce vaudeville judiciaire, d’où il ressort clairement à notre avis que Paul Biya et sa justice aux ordres n’ont ni grade ni qualité pour instruire le procès tatillon et cynique qu’ils imposent à l’auteur. Toutefois, l’histoire des autres damnés historiques de la terre du Cameroun n’aurait-elle pas pu mériter un procès au moins comparable ? Pourquoi, derechef, cet acharnement à esquiver ce que Titus Edzoa a « personnellement vécu avant » ?

Les dix premiers chapitres du livre sont consacrés à la description par l’auteur de sa descente aux enfers, depuis l’onde de choc de 1997 lorsqu’il signe publiquement son dissentiment envers le régime de Paul Biya, jusqu’aux multiples manœuvres dilatoires mises en œuvre par ses bourreaux cyniques pour prolonger ad vitam aeternam une incarcération politique qu’aucun argument juridique ne fonde en raison. La critique edzoaienne de la pratique extrajudiciaire camerounaise culmine dans une mise à l’examen de conscience des magistrats de nombreux pays africains, accroupis dans une délectation de la justice basochienne qui est l’ expression tangible de la violation outrancière des principes de la conscience universelle et du bon sens de l’homme du commun : « Il est ahurissant que dans ces pays, par l’injustice caractérisée, tout citoyen soit en permanence un détenu en sursis qui s’ignore, contrairement à la propagande protectrice hypocritement brandie. Par l’injustice, l’Afrique est seule responsable et coupable de ses propres crimes. »[[Idem, op. cit., p.45]] Mais d’où vient donc la formidable résistance du prisonnier Titus Edzoa aux forces qui l’étranglent au Cameroun ?

Non pas de la mémoire des résistants de l’histoire nationaliste et humaniste du Cameroun. Non pas de l’amour et de l’attachement pour tous ses compatriotes assassinés lors de la colonisation allemande, franco-britannique, ou pour les héros nationaux de la lutte pour l’indépendance du Cameroun, rassemblés notamment dans cette Union des Populations du Cameroun que les régimes Ahidjo et Biya se sont successivement appliqués à démolir, encore moins pour les Camerounais et les Camerounaises de longue date assassinés par le régime de Paul Biya depuis. Non, la conscience du résistant pénitentiaire Edzoa est essentiellement spirituelle. Elle ne s’historicise que par éclairs. Elle ne transite ni ne transige jamais avec l’histoire nationale du Cameroun qu’à partir de 1997. Jamais, les sacrifices des bagnards réels du passé réel de la lutte pour l’humanisation politique du Cameroun réel ne sont au cœur de la motivation intérieure de notre méditant. Et quand il évoque ces sacrifices ignorés, c’est en en s’abritant derrière l’icône citoyenne du grand Mongo Beti, dont il ne cite pas Main basse sur le Cameroun, encore moins Remember Ruben. On dit que Titus Edzoa aurait goulûment lu le volume Kamerun : une guerre cachée aux origines de la Françafrique, publié en 2010. Il n’en évoque aucunement les péripéties, faites d’événements qu’il a occultés quand il rejoignit la nébuleuse Biya. Et pour cause ? Le choix du mystère pour amenuiser le poids de l’histoire.

A partir du onzième chapitre et pratiquement jusqu’au vingt et unième, Titus Edzoa procède à l’exhumation de la pensée ésotérique qui sous-tend sa résistance à la barbarie politique du régime de Paul Biya qu’il assimile par plusieurs annotations au pouvoir des ténèbres. L’auteur nous dit dès l’entrée de cette sorte de petite initiation aux mystères qui font vibrer son âme profonde, qu’il a résolument choisi la voie du mysticisme, par opposition à celle de la sorcellerie dominant l’esprit du pouvoir camerounais qu’il décrit dans toute sa hideur de la p.57 à la page 60 de l’ouvrage : « Décapant et fantasmagorique, c’est un empire qui, en permanence, se voit métamorphosé de l’illusion la plus étonnante à une prétendue réalité, submergé par l’ignorance et l’obscurantisme ! Et pour causes ? Pour acquérir, paraît-il, toujours plus de pouvoir, plus de puissance, afin de posséder, accumuler force richesses, dans l’ostentation qui terrifie : dominer tout et dominer tous[…] Royaume de l’occultisme et de la sorcellerie »[[Idem, p. 58]]

C’est donc ici que Titus Edzoa nous administre la pédagogie des grands mystères fondateurs de l’humain, se faisant ainsi mystagogue. A la sorcellerie du biyaïsme, Edzoa oppose « le mysticisme dans son authenticité », non pas la lutte citoyenne organisée en laquelle il ne croit manifestement pas beaucoup. Initiation, ésotérisme et symbolisme, le mysticisme ouvre à cette queste spirituelle permanente qui dote l’individu de l’intériorité mentale et spirituelle dont la société bénéficiera par effet de ricochet. La société libre de Titus Edzoa est donc d’abord celle de l’inspiration par le Gnothi Seauton Socratique, cette « prodigieuse épopée de l’Homme vis-à-vis de lui-même »[[Idem, p. 66]]. Mais le Professeur Edzoa fait semblant d’ignorer que Socrate discutait certes avec lui-même, mais également avec ses contemporains, dont il n’ignorait ni le passé, ni le présent tragique, puisqu’il voulut bâtir avec eux, contre les tyrans de tous poils, l’expérience salvatrice de la république. Titus Edzoa botte en touche le choix qu’il fit du camp des oppresseurs, au moins au sortir de ses études de médecine à la fin des années 80, lui qui fut l’enfant de cette New Bell où le nationalisme camerounais avait pourtant écrit dans la sueur, le sang et les larmes, les lettres d’or du désir de souveraineté et de démocratie de notre peuple. Certes, nous ne négligerons pas dans cette critique l’importance cruciale d’une spiritualité individuelle qui donne aux citoyens l’ascèse personnelle nécessaire à la reconnaissance de la valeur de la personne humaine en soi-même et en tous les autres. Mais lorsque Titus Edzoa nous invite à remplacer la compréhension critique de notre histoire par les seules subtilités des mystères des nombres, du nombre d’or, et la culminance de l’accomplissement de soi dans la réalisation mystique de l’Homme-Dieu, nous doutons fermement de ses dires et nous éloignons de sa conception de Dieu : « Dieu, c’est cette infinitude secrètement inscrite en l’Homme, pour en faire, non seulement son image et son miroir, n’en déplaise à Voltaire, mais une réalité vivante dont la découverte constitue la raison essentielle de son existence !.. »[[Idem, op.cit, p.109]]

Certes le Dieu de Voltaire que raille Edzoa n’était qu’un idéal humain, élaboré pour des raisons pratiques. Voltaire disait ainsi qu’il aimerait que sa femme croie en Dieu car il en serait moins cocu. Mais le Dieu mystique d’Edzoa n’en n’est qu’une version plus narcissique. Puissance impersonnelle que l’homme peut incarner par la purification symbolique de son âme, le Dieu d’Edzoa est à portée d’opération théurgique, ce n’est en fait pas un Dieu-Personne, mais un Dieu-principe[[Idem, op. cit., p.108]] , « présent partout et en tout…chacun de nous en est l’essence secrète, faisant de nous des petits dieux comme « notre » Dieu ».[[Idem, op. cit., p.108]] La différence entre un Dieu-Personne, reconnu et révéré comme transcendance incommensurable à la puissance finie de l’Homme et un Dieu-Principe, maîtrisable par les opérations magiques et théurgiques coupe le sujet de la médiation nécessaire par l’amour du prochain. Cette relation gnostique directe à la réalité divine vient remplacer ici le nécessairement engagement du citoyen inspiré dans les combats réels des humains de son temps, en vue de bâtir des civilisations dignes de l’humanité et de l’exemplarité transcendante de la divinité. Le mysticisme edzoaien se place donc exactement à l’endroit où il avait omis de prendre en compte l’histoire longue de son pays, celle qui explique davantage que sa révolte tardive de 1996, son malheur et ceux de tous les autres Camerounais. Nous avons ainsi un Messie pour soi qui a oublié tous les vrais Messies de notre peuple, ceux qui se sacrifièrent pour Nous.

A vrai dire, le livre mérite à plus d’un égard la désignation de « tribulations d’un mystagogue », sans que nous ayons par ce propos, le moindre désir de donner ce coup de pied de l’âne qui signe les pires bassesses camerounaises contemporaines. « Tribulations », le livre raconte les souffrances et espérances réelles d’un homme victime du cynisme et de la violence arbitraire d’un système politique qu’il combat pour des raisons spirituelles, omettant de fait les raisons historiques qui auraient pu donner à cette spiritualité exigeante ses lettres de noblesse dans le souci réel pour l’Orphelin, le Pauvre, la Veuve, l’Etranger et le Vieillard au Cameroun. Par cette omission de l’histoire au profit de l’éloge de l’humanisme désincarné des Grands Mystères des religions, le livre vire à la mystagogie, cette démagogie subtile qui sous couvert d’humanisme, refuse d’assumer les conditions réelles de la tragédie réelle du peuple camerounais. L’auteur, par cette occultation, ne peut dès lors espérer le satisfecit de ceux qui veulent rebâtir réellement le Cameroun sur les bases irréfragables de la Justice et de la Vérité. Car la seule mystique qui vaille pour les Camerounaises et les Camerounais, doit préalablement épouser leur histoire et combattre leurs ennemis réels, avec toutes les ressources de la culture et de l’humanité. Cette mystique nationale frappée de au coin de notre histoire et de notre pensée politique critique, je l’ai pour ma part désignée sous le vocable d’upécisme. Pourqu oi ? Toute mystique qui occulte l’histoire est une mystagogie de plus.

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